Abus sexuels: cinq mesures clés d'une réforme radicale
Parmi les nombreuses mesures évoquées pour limiter les abus au sein de l’Eglise, quelles sont celles qui pourraient déboucher sur une réforme radicale? Elements de réponses en cinq points, basés sur l’expérience de l’Eglise et des associations de victimes en Suisse romande.
1. Ecouter les victimes
Durant le sommet, le témoignage des victimes a jalonné la réflexion des évêques. Ils ont permis de prendre conscience de l’ampleur du phénomène. Les abus sexuels ne sont pas seulement un problème européen ou américain. Ils ont lieu sur tous les continents et dans tous les diocèses. Un des objectifs du sommet était précisément d’ouvrir les yeux des épiscopats «incroyablement naïfs», selon le mot de Frederico Lombardi, épiscopats qui considèrent aujourd’hui encore que leur pays n’est pas concerné par ce fléau. Mgr Felix Gmür, président de la Conférence épiscopale suisse, assure que cette rencontre a permis une véritable prise de conscience universelle.
L’évêque du diocèse de Bâle témoignait également de sa douleur et de sa honte face à la souffrance des victimes. Leur offrir un espace de parole permet ainsi de prendre la mesure de ce qu’est en réalité un abus sexuel: une vie irrémédiablement blessée. Brisée parfois. Leur témoignage permet aussi de saisir la terrible ambiguïté spirituelle qui s’ajoute à la violence physique lorsqu’il est convenu d’appeler le bourreau «mon Père».
Impossible, pour les responsables d’Eglise, de prendre en considération le drame d’un abus sexuels – et donc la manière d’y faire face – sans se donner la peine d’écouter attentivement le témoignage des victimes.
2. Faire la lumière
La prise de conscience passe également par un travail de recherche sur ce qui s’est réellement passé. Le nombre d’abus connus, les périodes, les victimes, les lieux, etc. Autant d’informations qui se retrouvent souvent dans les archives des diocèses. Les évêques pourraient ouvrir ces archives à des historiens indépendants, capables de fournir un travail académique qui n’édulcorerait ni d’exagèrerait rien.
Dans un souci de transparence que beaucoup appellent de leurs vœux, les diocèses et le Vatican gagneraient à rendre public les résultats de ces recherches, de même que les statistiques mises à jour du nombre de cas d’abus sexuels connus et dénoncés à la justice.
3. Cerner les causes structurelles
«Il manque encore quelque chose à ma guérison, témoignait une victime belge. Que l’Église entame une œuvre de réparation et de reconstruction en s’imposant à elle-même une réflexion fondamentale». Une réflexion courageuse sur les causes structurelles qui, en son sein, favorisent les abus sexuels.
A commencer par le cléricalisme. Car la plupart des abus sexuels sont, dans ce contexte, précédé d’un abus de pouvoir où le prêtre profite de son statut pour manipuler sa victime. Le prêtre n’est pas une sorte de démiurge, entre Dieu et les hommes, mais avant tout un être humain, solidaire de ses pairs. Le pape l’a rappelé à plusieurs reprises: «Chers frères, fuyez le cléricalisme. Dire non aux abus, qu’ils soient de pouvoir, de conscience ou de tout autre type, signifie dire non avec force à toute forme de cléricalisme».
C’est aussi le discours sur la sexualité qui, dans l’Eglise, doit être réinterrogé. Particulièrement lorsqu’il oscille entre deux extrêmes. Pessimisme, d’un côté, où tout ce qui touche ou sexe est en soi mauvais. Idéalisme, de l’autre, lorsque tout ce qui a trait au sexe se situe dans une sorte de spiritualisme éthérée. «Il faut considérer la sexualité comme une valeur fondamentale et très heureuses, affirmait en ce sens le prêtre belge Gabriel Ringlet. Et s’interroger sans crainte sur les conditions d’une vie affective riche, diversifiée, même si elle ne s’exprime pas sexuellement».
4. Prévenir
Les abus ne seront jamais complètement éradiqués dans l’Eglise, mais ils peuvent être fortement limités si un certain nombre de mesures sont mis en place. Un examen permettant de mesurer la maturité psychologique des candidats au sacerdoce ou à la vie consacrée, stipule en ce sens un document des conférences épiscopales à l’occasion du sommet sur la protection des mineurs. Ou encore formuler des codes de conduite obligatoires pour tous les clercs, religieux, personnels de service et bénévoles, afin de définir les limites appropriées dans les relations personnelles.
En Suisse, différents diocèses collaborent avec l’association ESPAS – Espace de soutien et de prévention pour les personnes concernées par les abus sexuels – pour offrir aux personnes engagées en Eglise des cours de prévention des abus sexuels à destination des catéchistes, prêtres, religieux et religieuses, assistants pastoraux et séminaristes qui sont en contact avec des enfants.
5. Réparer
L’œuvre de réparation passe d’abord par la justice. Les responsables d’Eglise sont tenus de dénoncer à la justice civile tout cas d’abus commis dans leur diocèse. Le temps de la dissimulation semble en passe d’être révolu, d’autant que la tolérance zéro, prônée par le pape actuel, s’étend à toute tentative de cacher des faits avérés.
La réparation passe également par la justice ecclésiale qui peut, au terme d’une procédure canonique, renvoyer de l’état clérical les prêtres ayant commis un abus, voire des évêques ayant dissimilés des faits. La procédure canonique pourrait être plus rendue plus efficace et transparente, selon les vœux des victimes relayés par certains évêques lors du sommet sur la protection des mineurs.
Autre élément déterminant: offrir aux victimes des lieux d’écoute, d’accompagnement et de conciliation à l’intérieur, mais aussi à l’extérieur de l’institution – pour les victimes qui ne souhaitent plus entendre parler de l’Eglise. Et envisager une réparation financière. La conséquence d’un abus, c’est aussi des frais de thérapie et parfois une aspiration professionnelle à laquelle il a fallu renoncer. Même si un geste matériel reste symbolique, il atteste de la responsabilité de l’Eglise qui ne s’engage pas simplement à prier ou à demander pardon, mais s’implique matériellement auprès des victimes. (cath.ch/pp)
Le Vatican se donne deux mois pour rendre sa copie
Le sommet sur les abus sexuels, qui s’est achevé le 24 février 2019 à Rome, a déçu certaines victimes qui espéraient la promulgation immédiate de mesures concrètes et radicales. Rome édictera prochainement des normes en vue de renforcer la prévention et la lutte contre les abus. «Au plus tard, d’ici deux mois», promet le modérateur des débats, le Père Frederico Lombardi. L’Eglise entend sans doute se laisser le temps de synthétiser toutes les propositions émises lors du sommet et pour en rédiger un vadémécum susceptible d’aider les évêques du monde entier à comprendre «leurs devoirs et tâches».
