L'Eglise et les prêtres traversent actuellement une période sombre | © Giuseppe Milo/Flickr/CC BY 2.0
Suisse

Abus sexuels: les prêtres romands se sentent stigmatisés

Les scandales d’abus sexuels en série et les tensions dans l’Eglise, qui défrayent la chronique depuis quelques mois, ont sensiblement écorné l’image de l’institution. Entre indignation, sentiment d’injustice ou mise en perspective, des prêtres de Suisse romande expriment leur ressenti en cette période troublée.

«Je suis horrifié lorsque j’entends ce qui s’est passé», confie Gérald Voide, curé de Troistorrents-Morgins, en Valais. «Je vis, comme mes confrères, avec l’angoisse de ce qui va encore être révélé dans la presse». Cette sidération, cette indignation face aux comportements infâmes de prêtres, dans le monde entier, sont les premiers sentiments exprimés par les ministres romands interrogés par cath.ch. Ils ne peuvent simplement pas croire qu’autant de serviteurs de l’Eglise aient failli dans leur mission. «Je suis triste et en colère de savoir que des prêtres ont ainsi trahi la confiance des fidèles, trahi le Christ», s’indigne François-Xavier Gindrat, curé in solidum de Bienne-La Neuveville. Les prêtres sont également outrés de constater que beaucoup d’évêques ont passé sous silence ces agissements. L’abbé Gindrat fustige ainsi «l’incompétence et l’incurie de certains responsables d’Eglise». François Dupraz, curé modérateur de la paroisse Notre-Dame à Lausanne, réaffirme la nécessité d’une «tolérance zéro». «Les prêtres pédophiles doivent être interceptés, mis hors d’état de nuire et si possible soignés ou incarcérés, s’il n’y a pas prescription de leurs crimes».

L’ombre du soupçon

Les prêtres interrogés rappellent toutefois que les problèmes d’abus ne concernent qu’une infime minorité des ministres. «Je n’oublie pas que le 99,…% des prêtres vivent sur ce plan là leur ministère en pleine fidélité au Christ», souligne le Père Dupraz. Malgré cela, ils ressentent bien qu’un climat de malaise et de suspicion s’est développé dans le sillage de la médiatisation de ces affaires. Ils ne cachent pas que cette atmosphère nuit parfois à la relation avec les fidèles. «Peut-on encore seulement poser la main sur l’épaule d’un enfant?», se demande Gérald Voide. «Il y a toujours un arrière-fond de crainte». François Dupraz explique qu’en 23 ans de ministère, il est progressivement passé d’une «confiance absolue en la personne du prêtre» à une «méfiance parfois diffuse» par rapport aux enfants.

«Nous demeurons impuissants face à ce que pensent les gens»

Tous les prêtres interrogés affirment que cette situation n’a pourtant pas changé leur pratique avec les enfants. Bien avant ces affaires, ils ont appliqué des principes de prudence qu’ils estiment suffisants. «J’ai toujours fait preuve d’un maximum de transparence», explique François-Xavier Gindrat. Les quatre hommes d’Eglise font en sorte de ne jamais se retrouver seul avec un enfant. Ou alors, lors d’occasions spéciales telles que les confessions, certains s’assurent que les parents soient à proximité. Ils évitent également tout geste qui pourrait être mal interprété.

Pas d’agressivité

Pour François-Xavier Gindrat, il est «difficile de ne pas se sentir soupçonné». Gérald Voide ne peut s’empêcher de se demander «ce que les gens pensent» lorsqu’ils le voient avec son col romain.

Marc Passera, curé in solidum de la paroisse St-Joseph de Genève, explique ne pas ressentir de culpabilité. «Pourquoi serait-ce à nous de porter ce fardeau, alors que de tels agissements sont à l’opposé de ce à quoi nous nous sommes engagés et que nous essayons de vivre du mieux que nous pouvons?» L’abbé genevois remarque avec sagesse que «nous demeurons impuissants face à ce que pensent les gens».

«Les choses devaient sortir pour que l’Eglise commence sa purification»

Aucun des prêtres approchés n’a pourtant été apostrophé ou agressé en rapport aux récents scandales. Tout au plus, quelqu’un a-t-il demandé au Père Dupraz: «Pourquoi restes-tu dans cette Eglise?» Marc Passera assure qu’il a «rarement été interpellé à propos des abus sexuels dans l’Eglise, et toujours en traitant de la question de manière très générale». Ils n’ont pas non plus remarqué une désaffection particulière des fidèles, même s’ils admettent que ce genre de choses est difficile à déterminer. «Lorsque des parents n’inscrivent soudain plus leur enfant au catéchisme, on se demande si ce n’est pas en lien. Mais il est impossible de le savoir», remarque l’abbé genevois.

Médiatisation et purification

Au-delà du soupçon ambiant, les prêtres souffrent de la généralisation et des préjugés. «Le fait qu’un ministre de Dieu trahisse à ce point la confiance mise en lui est gravissime et mérite indignation. Poser l’équation prêtre=pédophile relève cependant de la calomnie à l’état pur», s’offusque François Dupraz.

Les ecclésiastiques ressentent un malaise particulier face au traitement médiatique des abus sexuels dans l’Eglise, même s’ils estiment qu’il a ses avantages. «Les choses devaient sortir pour que l’Eglise commence sa purification», admet Gérald Voide. «C’est une bonne chose si l’Eglise a pu ainsi, malgré elle, contribuer à sonner l’alerte sur ce fléau dans la société», relève François-Xavier Gindrat.

Une presse orientée?

Malgré tout, le sentiment d’un «deux poids deux mesures» des médias est très fort chez les prêtres. «On a l’impression qu’ils se focalisent sur l’Eglise, alors qu’il ne s’agit de loin pas du groupe social dans lequel la pédophilie est la plus répandue», note le curé de Bienne-La Neuveville. Pour Marc-Louis Passera, il s’agit de «distinguer la réalité du ‘discours sur la réalité’. Avec les termes ‘abus sexuels’ ou ‘pédophilie’, on donne le sentiment de savoir clairement de quoi on parle, alors qu’on évoque de manière assez floue un domaine aux limites peu définies».

«L’impureté affecte la société dans son ensemble»

L’abbé genevois pense que «dans ces affaires, les médias sont orientés, notamment par des préjugés et des schémas de pensées. Le schéma habituellement répandu est que l’Eglise cache des choses, mais que des ‘héros’ sont là qui vont les découvrir». François-Xavier Gindrat relève que «des figures politiques ou culturelles qui ont commis ou justifié des actes pédophiles sont plutôt laissées tranquilles par les médias». Marc-Louis Passera n’est ainsi «pas sûr que la ‘place publique’ que sont les médias soit le meilleur endroit pour gérer ces problèmes graves avec efficacité et intelligence». Il encourage les personnes à rechercher des renseignements par eux-mêmes, au-delà de l’enceinte médiatique, «afin de se faire une idée réelle de la situation en conservant la possibilité d’une lecture critique».

Le mal de toute la société?

Les prêtres romands ont le sentiment de servir de bouc émissaire d’un mal qui agit bien au-delà de l’Eglise. «J’ai parfois l’impression que la société veut garder bonne conscience sur la question de la sexualité en focalisant sur la pédophilie, souligne Gérald Voide. Même s’il s’agit d’un phénomène particulièrement infâme, il y a d’autres fléaux qui blessent la sexualité humaine, tels que la prostitution, la traite des êtres humains ou la pornographie. L’avortement n’est-il pas également une maltraitance qui concerne des millions d’enfants dans le monde chaque année, et qui est considérée comme tout à fait normale par la société?» François Dupraz rappelle que «l’impureté affecte de nos jours et plus que jamais la société dans son ensemble. Elle ferait bien de revenir tant qu’elle le peut encore aux valeurs évangéliques».

Le spectre de la division

Les prêtres ont également fait part de leur tristesse face aux tensions provoquées par ces affaires à l’intérieur de l’Eglise. Le cas de Mgr Carlo Maria Vigano qui accuse le pape François d’avoir couvert un cardinal abuseur les a notamment marqués. Si Marc-Louis Passera relativise, en soulignant «qu’il n’y a rien de nouveau et qu’il y a toujours eu des clans et des factions opposées» dans l’Eglise, les autres prêtres disent souffrir de cet état de fait. «Qui croire, où est la vérité», se demande ainsi Gérald Voide, pour qui «cette violence provoque des inquiétudes quant à l’unité de l’Eglise». François-Xavier Gindrat note que «l’on ressent un profond malaise et une profonde division dans l’Eglise actuellement, et ce n’est pas facile à vivre».

Les quatre prêtres de Suisse romande restent cependant confiants dans l’avenir de l’Eglise et en sa capacité à surmonter cette épreuve. François Dupraz se sent encouragé de ne percevoir chez ses fidèles «ni paranoïa, ni agressivité», mais plutôt «un amour sincère de l’Eglise et de ses ministres». (cath.ch/rz)

L'Eglise et les prêtres traversent actuellement une période sombre | © Giuseppe Milo/Flickr/CC BY 2.0
30 septembre 2018 | 17:20
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 6  min.
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