Actualité: A l’heure où les familles d’Alois et Gladys Estermann et de Cédric Tornay rendent à la terre les corps des victimes du drame du 4 mai au Vatican, l’Eglise et la Suisse s’interrogent sur l’avenir de la Garde pontificale.
APIC – Enquête
Rome: Après le drame du 4 mai la Garde Suisse pontificale remise en question
Un vent de réforme doit souffler sur la Garde Suisse
Maurice Page Agence APIC
Fribourg, 15 mai 1998 (APIC) «La Garde Suisse se porte bien, elle est capable et désireuse de prendre au sérieux et sans condition sa tâche de sécurité. Elle est prête pour l’année Sainte 2000 et pour le deuxième millénaire. Elle est en mesure de s’adapter aux rapides changements de notre époque». Le drame du 4 mai au Vatican avec le meurtre du commandant Alois Estermann et de sa femme Gladys et la mort du vice-caporal Cédric Tornay a apporté un cinglant démenti à ces propos du colonel Roland Buchs, tenus à la veille de son départ à fin novembre dernier.
Aujourd’hui au Vatican comme en Suisse, personne ne peut s’épargner un solide examen de conscience quant au rôle et au fonctionnement de la Garde Suisse pontificale. La beauté de l’uniforme, la longueur de la hallebarde, le poli des casques et le poids de la tradition séculaire ne suffisent plus à masquer les lézardes de l’édifice. Non que les problèmes aient été ignorés ou niés auparavant, mais il a fallu une tragédie pour qu’ils sortent au grand jour. Le fait que seul un tiers des Gardes prolongent leur service au-delà des deux ans du premier engagement n’était pas perçu comme l’indice d’une crise.
«Il faut revoir le commando, le statut et les règlements de la Garde. Je suis persuadé que le colonel Estermann, avec sa grande expérience, aurait entamé rapidement ce travail», n’hésitait pas à affirmer le Père Roland B. Trauffer, secrétaire de la Conférence des évêques suisses, à son retour de Rome le 8 mai. «Une analyse sur ce qui doit être revu sera faite.»
Une nécessité que le chapelain de la Garde Alois Jehle admet aussi même s’il reste très prudent : «Si l’Eglise est ’semper reformanda’ (toujours à réformer) a fortiori un organisme humain tel que la Garde Suisse peut l’être. Je ne peux guère m’exprimer cependant sur d’éventuelles réformes, cela n’est pas de ma compétence.»
Analyses et commentaires convergent pour déterminer trois séries de problèmes. Un travail très astreignant avec des journées et des périodes de garde trop longues, un accompagnement personnel et humain pas toujours bien adapté, des conditions de vie spartiates dans une caserne vétuste. Difficultés inhérentes à toute structure militaire ou dysfonctionnements graves ? Les jugements divergent.
Un service trop astreignant pour un effectif insuffisant
«La Garde Suisse est moderne dans sa conception de l’engagement, dans sa forme d’organisation, dans sa technique de formation et dans ses moyens auxiliaires. […] Elle tient la comparaison avec les services de sécurité de chaque pays et de chaque chef d’Etat, elle dépasse même la plupart d’entre eux en qualité et en expérience», ces paroles du commandant Buchs au mois de novembre apparaissent aujourd’hui passablement péremptoires.
Le service de garde est très astreignant, on parle de rotation de garde sur 16 heures. «En principe un garde a congé tous les trois jours mais il peut arriver qu’il doive assumer son service durant quinze jours sans interruption», témoigne Stephan Starkl, président de l’Association des anciens Gardes Suisses.»
«Si on avait quelques gardes en plus des 100 prévus par le règlement on pourrait changer bien des choses», souligne le colonel Roland Buchs, «mais par les temps qui courent une augmentation du budget de fonctionnement n’est pas bien vue.» Lorsque que l’effectif n’est pas complet comme durant l’automne dernier, où il a fallu tourner à 85 hommes, la surcharge est bien réelle, renchérit Nicolas Betticher, attaché de presse de la Conférence des évêques suisses, qui connaît bien la Garde pour y avoir séjourné régulièrement. Une telle accumulation de fatigues n’est pas viable et la situation devient rapidement difficilement supportable. Etabli à 110 par Pie X, ramené à 90 par Paul VI, l’effectif de la Garde a été fixé à 100 hommes par Jean Paul II, 4 officiers, 25 sous-officiers,75 hallebardiers et un aumônier.
En outre un garde de piquet devant une des portes du Vatican doit savoir faire preuve de beaucoup de patience et de doigté face aux sollicitations polies ou agressives des visiteurs ou des prélats.
Une tension que la rigueur de la discipline n’aide pas à évacuer. «Alois Estermann était un homme droit, mais intransigeant dans le service, un ’vieux’ militaire» déclare un collègue. Selon le porte parole du Vatican lui-même, une des raisons de l’acte de folie du caporal Tornay est une lettre d’avertissement courtoise mais ferme du commandant ad interim pour «manque grave au règlement de la garde». Concrètement une absence de nuit injustifiée et sans retour à la caserne.
Une tension dont témoigne aussi cet ancien garde: «Comme j’étais plus âgé que les autres, j’avais déjàà 25 ans, et que j’étais à la fois officier et instituteur, je faisais peur à certains instructeurs. Je me souviens qu’une fois j’ai dû en secouer un, en lui disant qu’il pouvait m’enguirlander s’il le voulait…»
Les jeunes ne sont plus ceux des années 60
Les jeunes qui sont aujourd’hui à la garde ne sont plus ceux des années 60. Il faut donner un cadre qui corresponde aux changements, commente Nicolas Betticher. A côté du service, ils ont besoin d’un encadrement spirituel et culturel. Les gardes devraient pouvoir bénéficier au maximum de leur séjour à Rome pour apprendre la langue, connaître la ville, sa culture. On pourrait faire beaucoup plus dans ce sens mais il faut aussi des moyens et du personnel
«Un encadrement psychologique peut aussi se révéler nécessaire lors de moments de tensions. L’aumônier n’a pas le rôle d’un psychologue. Je pense plutôt que c’est le rôle du commandant de gérer ce problème humain. C’est la raison pour laquelle il faut une personnalité bien profilée.»
«J fais tout mon possible pour que les gardes se sentent bien ici soit religieusement, soit personnellement. La spiritualité est un aspect important, mais il faut aussi tenir compte de l’humain», remarque l’aumônier de la Garde Alois Jehle. Dès mon arrivée à la Garde, j’ai institué un Conseil de pastorale qui organise les activités pastorales et les événements culturels.
Une des dernières mesures importantes a été la rénovation de la bibliothèque avec l’aide de la Conférence des évêques suisses pour un montant de 75’000 francs. Une salle de rencontre ouverte jusqu’à minuit, avec une cuisine et des WC, où on peut organiser des fêtes a été inaugurée en novembre dernier. «A partir de l’été 1997 j’ai en outre entrepris ce que j’ai appelé les rondes spirituelles, chaque vendredi entre 22h et 24h je fais une tournée dans les palais apostoliques pour discuter avec les gardes en service à ce moment là. Les réactions sont très positives.»
Une offre spirituelle abondante, mais un intérêt mitigé
Côté spirituel l’offre est abondante, à côté des célébrations liturgiques quotidiennes on trouve un groupe de lecture biblique, des conférences spirituelles et culturelles ainsi qu’une retraite annuelle par groupe linguistique. Mais cela ne concerne que le petit nombre. Le minimum exigé des jeunes gardes est la participation à la messe du dimanche qui rassemble tous les soldats à la chapelle. «Je suis conscient que la majorité des jeunes qui entrent à la garde ne sont plus habitués à suivre régulièrement la messe du dimanche, c’est pourquoi une de mes principales tâches est d’introduire les recrues à la célébration de la messe», relève l’aumônier. Quelques cours d’instruction religieuse font ainsi partie de la formation de base.
Chaque garde reçoit de la Secrétairerie d’Etat une Bible et le Catéchisme de l’Eglise catholique. «Dans le peu de temps que j’ai à ma disposition, je ne peux pas construire grand chose, en outre très souvent la motivation manque chez les gardes, peut-être aussi parce que les cours supplémentaires tombent toujours sur des jours libres en même temps que les exercices militaires», déplore Alois Jehle dans son rapport.
Selon le colonel Buchs, un garde qui connaît des problèmes personnels peut s’adresser au commandant, à l’aumônier, à un des officiers, à un camarade ou à une personne extérieure. Mais la garde ne dispose pas d’un service social ou psychologique spécialisé. Pour certains l’aumônier qui a rang de lieutenant-colonel, n’aurait pas l’indépendance et la liberté de manoeuvre nécessaires. «Certains sont arrivés frustrés, aigris, ils n’ont pas été heureux. Quelques-uns ont même été renvoyés», relève un ancien.
Une caserne vétuste
La caserne de la garde suisse est aujourd’hui vétuste. Les recrues dorment en dortoir, les gardes en première année dorment à deux ou trois par chambre. A leur frais, les gardes peuvent y installer radio, télévision et frigo. Il faut être marié pour disposer d’un logement personnel et cela n’est possible qu’avec l’approbation du commandement et pour autant qu’un logement soit disponible.
«Je connais des cas où des gardes ont refusé la chambre individuelle qu’on leur offrait,» rassure Nicolas Betticher. Mais c’est un fait que lorsqu’on sort d’un appartement ou d’un studio agréable et qu’on arrive dans des locaux insuffisamment équipés où il faut faire la queue devant les douches, cela engendre des tensions. Il en est de même des lieux collectifs, la caserne n’a par exemple pas de cafétéria. Les responsables de la garde sont conscients des changements nécessaires, mais là encore c’est une question de moyens. Une fondation est en projet pour récolter des fonds en Suisse afin d’y remédier. «Si des sponsors généreux se présentent comme par le passé, on peut davantage moderniser l’habitation des gardes et des officiers», note le colonel Buchs. Un déménagement de la garde ne paraît cependant pas envisageable à cause de l’histoire et aussi de la situation centrale extraordinairement pratique.
Une solde modeste, mais des avantages en nature
La Garde Suisse est à la charge du Vatican qui assume les salaires. Au tout début de son service le garde reçoit en lires l’équivalent de 1000 francs suisses par mois puis ce montant passe à 1800 francs dont sont déduits 100 francs pour la nourriture et le logement. L’AVS est à la charge complète du garde qui doit également s’acquitter de la taxe militaire ! Enfin la lessive de son linge personnel est également à ses frais.
«La solde du garde suisse n’est pas seulement le montant qu’il reçoit en lires. A côté il profite de bien des avantages matériels du Vatican, explique le commandant. Services sanitaires gratuits, pas d’impôts, possibilité d’acheter à meilleur prix tous les articles qu’il souhaite, y compris voiture et essence, sans parler des valeurs immatérielles comme les amitiés, les rencontres, la vie de foi, la culture.»
A mon avis cette solde me semble honnête, je n’ai jamais entendu de garde s’en plaindre, souligne Nicolas Betticher. Naturellement la situation est autre pour celui qui a une famille à faire vivre là il faudra davantage calculer. C’est viable, même si évidemment on ne peut comparer ces salaires avec ceux d’un directeur en Suisse. Le commandant qui dispose d’un appartement de fonction peut compter sur un salaire d’environ 5’000 francs par mois.
Un recrutement qui connaît des hauts et des bas
Le recrutement de nouveaux gardes reste un souci constant. Il connaît des hauts et des bas. Ainsi en 1970, ils n’étaient plus que 41 Gardes suisses à vouloir protéger le pape. L’existence même de la Garde fut alors sérieusement menacée avant de pouvoir redresser la barre cinq ans plus tard. «Nous avons eu des problèmes ces deux dernières années. Ils s’expliquent par la situation économique plutôt difficile de la Suisse, mais aussi par le fait qu’un service à l’Eglise est plutôt moins désiré qu’il y a quelques années. Vous connaissez la situation suisse par rapport à tout ce qui touche Rome et le Saint-Père, ce qui n’aide pas non plus», expliquait Alois Estermann àà la veille de sa mort. «Il faut certainement trouver d’autres méthodes pour motiver les jeunes à venir ici. C’est un défi permanent. La Garde Suisse n’est pas un produit que l’on vendrait en faisant de la publicité pendant un mois. Nous avons continuellement besoin de personnel nouveau.»
En novembre le commandant Buchs soulignait: «La garde Suisse pontificale dont nous aurons besoin demain est formé d’hommes libres et de chrétiens inébranlables dans la foi, entraînés pour l’exercice de leur profession, conscients de la valeur de la tradition et le l’histoire, ouverts à l’examen critique de tous ce qui est nouveau dans la vie». Une denrée rare en somme. (apic/mp)