Actualité: La commission française d’enquête sur les sectes vient de rendre un nouveau rapport sur la situation financière, patrimoniale et fiscale des sectes. Le Père Jacques Trouslard, spécialiste des sectes réagit.
APIC – Interview
Jacques Trouslard, prêtre du diocèse de Soissons et spécialiste des sectes
«Toute atteinte aux droits de l’homme doit être condamnée»
Par Jean Claude Noyé, pour l’agence APIC
Paris, 20 juin 1999 (APIC) La commission française d’enquête parlementaire sur les sectes a rendu au gouvernement un rapport alarmiste sur la situation financière, patrimoniale et fiscale des sectes. Pour le Père Jacques Trouslard, du diocèse de Soissons, spécialiste des sectes, co-auteur du livre : «Sectes : état d’urgence», un renforcement de la législation est aujourd’hui nécessaire pour permettre de réprimer le délit de manipulation mentale.
Aux yeux du Père Trouslard, L’Eglise de France prête trop l’oreille aux discours de certains universitaires et sociologues qui préfèrent le terme de «nouveaux mouvement religieux» à celui de sectes et prônent une attitude de grande tolérance. Il ne faut pas aborder les sectes sous l’angle religieux, répond-il, mais il faut les considérer à l’aune des droits de l’homme. Or toute atteinte aux droits de l’homme doit être condamnée.
APIC: Les députés ont élaboré 30 propositions pour renforcer la loi existante. Ils vont jusqu’à envisager la création d’un délit de manipulation mentale. Qu’en pensez-vous ?
Père Jacques Trouslard : Jusque là les sectes passaient à travers toutes les mailles : ce sera maintenant plus difficile avec ce rapport qui m’a donné une grande satisfaction. Il donne tort aux universitaires, tel Massimo Introvigne, qui refusent le terme secte, au prétexte que ce mot est péjoratif et qu’il crée une discrimination religieuse. Ils préfèrent parler de «nouveaux mouvements religieux». C’est pour moi la plus grande bêtise. Un : parce que la plupart des sectes, aujourd’hui, n’ont rien de religieux. Deux : parce que de nouveaux mouvements religieux peuvent être créés et être authentiques, donc la confusion avec les sectes serait préjudiciable. Trois : parce que d’anciennes religions peuvent avoir des dérives sectaires. Ainsi, pour ne citer qu’eux, les Témoins de Jéhovah, l’Opus Dei ou l’Office culturel de Cluny.
APIC: Les Témoins de Jéhovah et l’Office culturel de Cluny se défendent pourtant avec vigueur d’être des mouvements sectaires…
J.T.: Quand l’Office culturel de Cluny, soi disant catholique, a été répertorié dans le rapport parlementaire de 1996 comme une secte, cela a suscité beaucoup de réactions hostiles dans l’Eglise, y compris parmi des évêques qui ne connaissent pas le fond du dossier. Cet office est de nouveau épinglé pour endoctrinement et manipulation des adeptes, rupture avec les familles, acquisition de biens appartenant à des adeptes à leur dépens. Il y a eu plusieurs procès avec un ancien adepte qui s’est vu déposséder de sa propriété d’Entrevaux.
APIC: Les Témoins de Jéhovah font de très grands efforts pour acquérir une image honorable dans l’opinion publique.
J.T. : J’ai assisté jeudi 17 juin au procès intenté par eux contre maître Pesenti, avocat qui, au plan tant national qu’international, a combattu de nombreuses sectes. Tout le procès a parfaitement démontré comment les Témoins de Jéhovah cherchent, par tous les moyens, y compris judiciaire et quel que soit l’objet des procès, à se faire reconnaître comme fidèles d’une authentique religion afin d’obtenir le statut d’association cultuelle. Cela pour bénéficier d’avantages financiers comme les exonérations fiscales mais surtout afin d’obtenir un statut d’honorabilité. Or, en France, le ministère de l’Intérieur (responsable des cultes), sur instruction du Conseil d’Etat, ne reconnaît pas les Témoins de Jéhovah comme association cultuelle, contrairement à ce qu’ils ont affirmé ici et là.
APIC: Que répondez vous à l’argument selon lequel on ne peut pas s’attaquer aux sectes car une législation spécifique serait une atteinte aux libertés fondamentales, à commencer par la liberté religieuse ?
J.T. : Je le réfute. Derrière cet argument, il y a le refus de reconnaître la manipulation mentale. Or je prétends de toutes mes forces qu’on peut établir celle-ci. L’arrêt de la cour de Lyon concernant le suicide d’un adepte de la scientologie constitue une véritable jurisprudence qui devrait permettre d’établir le délit de manipulation mentale dans ses diverses formes : contrainte morale, captation mentale, manoeuvres frauduleuses, etc. Je me bats pour cela depuis 17 ans mais ne suis hélas pas écouté. L’Eglise de France elle-même est sur un mauvais pied car elle prête par trop l’oreille aux travaux des universitaires ci-dessus évoqués. Je le dis et le redis : il ne faut pas aborder les sectes sous l’angle religieux. L’aune à laquelle il faut les considérer c’est les droits de l’homme qui, pour moi, prennent leur source dans l’Evangile de Jésus-Christ. Toute atteinte aux droits de l’homme doit être condamnée.
APIC: Pouvez-vous nous présenter un exemple de renforcement de la législation existante pour limiter le pouvoir de nuisance des sectes ?
J.T.: La nouvelle loi sur le renforcement de l’obligation scolaire qui vise les écoles privées hors contrat avec l’Etat, véritables niches à sectes. Désormais les familles des enfants fréquentant ces établissements devront déclarer à la mairie que leurs enfants sont bel et bien scolarisés. Lesdites écoles seront maintenant désormais soumises à des contrôles annuels portant désormais non seulement sur l’hygiène des locaux mais aussi sur les acquis scolaires. La loi prévoit que les enfants concernés doivent obtenir le même niveau que les enfants scolarisés dans les établissements d’enseignement public ou les établissements d’enseignement privés sous contrat avec l’Etat. Je m’en réjouis car cela va dans le sens d’une protection accrue des enfants.
APIC: On évoque également l’éventualité de créer des agréments dans le secteur pour la santé. Qu’est-ce-à-dire ?
J.T.: Quantité de médecins, psychiatres notamment, ont créé des associations ou organisent des colloques à viséée sectaire. Il s’agit de les empêcher d’agir par exemple en mandatant des médecins de confiance appelés à siéger dans les divers ministères délivrant des agréments et auprès des cours d’appel régionales afin d’éclairer de leur compétence telle ou telle affaire judiciaire. On attend notamment d’eux qu’ils donnent un avis médicalement assisté sur la validité des diverses techniques psychologiques et psychothérapeutiques propagées, sachant que beaucoup de sectes se nichent dans ce que l’on appelle le développement personnel et les psychothérapies. (apic/jcn/mp)