Actualité: Le week-end dernier, l’archevêque Tadeusz Kondrusiewicz, administrateur apostolique de la Russie européenne septentrionale à Moscou, a célébré une série de messes en la cathédrale St-Nicolas de Fribourg à l’invitation de l’œuvre d’entraide cath
APIC Interview
Russie: L’Eglise catholique renaît de ses cendres au milieu d’un grand dénuement
Après le temps du martyre, le temps de la récolte
Jacques Berset, agence APIC
Moscou/Fribourg, 20 novembre 2001 (APIC) Après sept décennies de persécution, la petite Eglise catholique de Russie renaît de ses cendres au milieu d’un grand dénuement. Sans l’aide matérielle de diverses conférences épiscopales européennes et américaines et d’œuvres d’entraide comme Renovabis et l’Aide à l’Eglise en Détresse, affirme Mgr Tadeusz Kondrusiewicz, l’Eglise russe ne pourrait reconstruire ses structures démantelées par la répression stalinienne.
L’archevêque Kondrusiewicz, administrateur apostolique de la Russie européenne septentrionale à Moscou, est cependant confiant: sa petite communauté se développe. Elle est de mieux en mieux acceptée par la société russe. S’il y a de multiples développements positifs à la base, l’Eglise catholique n’est pas vraiment reconnue comme partenaire par le Patriarcat de Moscou. La hiérarchie orthodoxe n’a pas abandonné ses préjugés anti-catholiques, bien que la récente visite de Jean Paul II en Ukraine ait fait diminuer la tension.
En mai dernier, l’Eglise catholique a célébré le 10ème anniversaire de la restauration de ses structures ecclésiales anéanties par les bolcheviks après la Révolution d’Octobre. Alors qu’il dirigeait le diocèse de Minsk, en Biélorussie depuis la fin 1989, Mgr Tadeusz Kondrusiewicz fut nommé administrateur apostolique de la Russie européenne le 13 avril 1991. Il s’installa le 28 mai 1991 à Moscou, qui était encore à l’époque la capitale de l’URSS.
APIC: Comment se développe l’Eglise catholique en Russie une décennie après la chute du communisme ?
Mgr Kondrusiewicz: L’Eglise catholique dans la Fédération de Russie se développe à son rythme: au «boom» des premières années de liberté, après la dislocation de l’Union soviétique en décembre 1991, a succédé une période d’enracinement de la foi. Lors du rétablissement de la hiérarchie catholique dans l’ex-URSS il y a dix ans, sur un territoire six fois plus grand que l’Europe de l’Ouest, il n’y avait que dix paroisses. Aujourd’hui, plus de 200 sont enregistrées. Depuis huit ans, nous disposons d’un séminaire et depuis les premières ordinations de prêtres russes, en 1999, nous avons une quinzaine de prêtres autochtones dans notre administration apostolique, sur 115 prêtres actifs.
A Saratov, pour la Russie d’Europe méridionale, la première ordination aura lieu vendredi prochain, 23 novembre. En Sibérie, à Novosibirsk et Irkoutsk, les premiers prêtres autochtones ont été ordonnés l’an passé. Nous avons également deux radios et un journal, ce qui nous permet de voir l’avenir avec confiance. Nous constatons des développements prometteurs dans nos paroisses. Ce ne sont plus seulement les babouchkas, les grands-mères, qui viennent à la messe, mais des jeunes familles qui ont soif de spiritualité. Parmi ces chercheurs de Dieu, de nombreux intellectuels, des étudiants.
APIC: Vous construisez de nouveaux lieux de culte faute de pouvoir récupérer les anciens…
Mgr Kondrusiewicz: Dans la région dont j’ai la charge – je suis administrateur apostolique de la partie nord de la Russie d’Europe – nous essayons de récupérer certaines de nos églises. Les autorités aimeraient plutôt nous vendre ce qui nous appartenait autrefois. Aucune législation ne prévoit la restitution des biens ecclésiastiques confisqués. Pour récupérer la cathédrale de l’Immaculée Conception à Moscou, nous avons dû lutter plusieurs années. Nous avons ensuite payé nous-mêmes les rénovations. Les bâtiments du séminaire à Saint-Pétersbourg n’ont été restitués qu’en partie; le gouvernement veut vendre le reste pour faire de l’argent. Il n’y a pas de lois interdisant la privatisation de ce type d’édifices.
Dans la région de Kaliningrad (l’ancienne Königsberg), nous construisons de nouvelles églises, dont celle de St-Adalbert; dans la région de Tver, en Russie centrale, également. A Tver même, une ville de 460’000 habitants à 170 km de Moscou, en direction de St-Pétersbourg, nous sommes en train de construire une nouvelle église. Celle qui existait avant avait été détruite durant la campagne d’élimination décidée par Staline.
A St-Pétersbourg, notre séminaire va accueillir une librairie, qui sera ouverte au public. Les instituts universitaires nous réclament déjà de la littérature spirituelle, sur saint Augustin, par ex. Cela signifie que la société russe n’est pas hostile à notre présence. Nous venons d’autre part de recevoir la permission des autorités de bâtir notre curie à Moscou, près de la cathédrale catholique de l’Immaculée Conception. Nous avons déjàà débuté les premiers travaux de construction. Des permis de séjour pour de nouveaux prêtres (plus de 85% des prêtres sont étrangers) nous on été octroyés. Les difficultés persistent pour les évêques d’origine étrangères, qui ne sont pas reconnus.
APIC: A Saratov, en Russie d’Europe, Mgr Pickel est d’origine allemande, et à Irkoutsk, en Sibérie orientale, Mgr Mazur est citoyen polonais…
Mgr Kondrusiewicz: Ces deux évêques n’ont pas reçu de permis de séjour permanent. Par conséquent, ils ne peuvent être, selon la loi russe, à la tête d’organisations religieuses en Russie, parce qu’ils sont étrangers et n’ont pas reçu un visa permanent. Leurs administrations apostoliques n’ont pas encore été enregistrées, et c’est là la difficulté, car la juridiction civile ne correspond pas à la juridiction canonique. Pour tous les papiers officiels, Mgr Clemens Pickel doit venir me voir à Moscou, et Mgr Jerzy Mazur doit passer par Mgr Joseph Werth, à Novosibirsk. Pour enregistrer légalement les paroisses, les autoritésrusses ne reconnaissent pas la signature de Mgr Pickel et de Mgr Mazur.
Du point de vue du droit canon, il y a quatre administrations apostoliques en Russie: Russie d’Europe septentrionale et méridionale, et Sibérie occidentale et orientale. Mais du point de vue de la loi russe, il n’y en a que deux: la Russie d’Europe et la Sibérie, alors que les deux ont été divisées territorialement en 1999. Le système fonctionne dans la pratique, mais l’évêque non reconnu n’est pas considéré comme un partenaire par le gouvernement.
APIC: Etes-vous sensible à la dimension œcuménique de votre présence en Russie ?
Mgr Kondrusiewicz: Dans le but de développer nos relations, nous avons créé le Comité consultatif chrétien interconfessionnel – une structure de dialogue que nous avons mise sur pied à notre propre initiative, indépendamment de l’Etat – qui rassemble la trentaine de communautés et Eglises chrétiennes présentes en Russie. Le Comité est coprésidé par le métropolite orthodoxe Kyrill de Smolensk, le pasteur baptiste Peter Konovalchik, pour les communautés protestantes, et moi-même.
Etant l’un des trois coprésidents de cette instance de dialogue, je veille à ce que notre activité pastorale soit menée dans le plus grand respect de nos frères orthodoxes. Nous ne faisons que donner aux croyants d’origine catholique et à ceux qui découvrent le Christ, après de 70 ans d’athéisation forcée et de persécution religieuse, l’aide dont ils ont besoin.
Généralement, les relations entre les protestants sont très bonnes, de même qu’avec les musulmans. Avec les orthodoxes les rapports se développent positivement, malgré les réticences au sommet. A Saint-Pétersbourg, au séminaire de «Notre-Dame reine des Apôtres», où nous avons plus de 80 séminaristes, nous invitons des professeurs de l’Académie théologique orthodoxe à venir donner des cours. Des orthodoxes et des protestants russes ont participés avec des compatriotes catholiques aux Journées Mondiales de la Jeunesse (JMJ) à Rome!
APIC: La hiérarchie orthodoxe vous accuse pourtant de faire du «prosélytisme»…
Mgr Kondrusiewicz: Certes, on nous accuse parfois de «prosélytisme». Mais nous rappelons que la présence de structures catholiques en Russie remonte au XIIème siècle déjà, avec l’érection des premières paroisses catholiques à Smolensk et Novgorod. L’établissement des premières structures ecclésiastiques remontent au XIIIème siècle.
La présence catholique en Russie n’a fait qu’augmenter au cours des siècles avec la politique de déportation de groupes nationaux d’origine catholique (Polonais, Lituaniens, Biélorusses, Allemands, etc.) Le problème est que les orthodoxes ne comprennent pas que des individus se convertissent librement au catholicisme, par choix. Aujourd’hui, nos fidèles sont des Russes qui viennent principalement de familles mixtes. Quant aux convertis, il s’agit pour la plupart de personnes isolées qui ne fréquentaient pas le culte orthodoxe ou n’appartenaient à aucune Eglise. Ils ont fait un choix individuel et libre.
APIC: La notion de territoire canonique de l’Eglise orthodoxe nous semble étrange…
Mgr Kondrusiewicz: Pour l’Eglise orthodoxe, quelqu’un qui est né russe doit être automatiquement orthodoxe. La notion de «territoire canonique» est pour nous totalement incompréhensible à la lumière de la foi: le Christ a-t-il divisé le monde en sphères d’influence? Nous avons une autre conception de la liberté religieuse. Nous ne discutons pas de la présence de diocèses orthodoxes dans les pays catholiques…
D’autre part, avec 1% de la population, l’Eglise catholique vient loin derrière certaines sectes et d’autres communautés religieuses. Le vrai danger, l’Eglise orthodoxe devrait le reconnaître, est plutôt représenté par des centaines d’organisations qui attirent la jeunesse, notamment par les moyens financiers dont elles disposent. Des sectes sataniques ont profané des cimetières…
Ces sectes qui poussent comme des champignons profitent du vide spirituel laissé par des décennies d’athéisme officiel. Nous aurions intérêt à affronter ensemble cette menace, plutôt que nous engager dans un combat stérile entre orthodoxes et catholiques. L’un des thèmes de la quatrième réunion du Comité consultatif chrétien interconfessionnel, en mai dernier, à laquelle étaient invités les jeunes de diverses confessions chrétiennes – orthodoxes, protestants, catholiques – portait justement sur les cultes destructeurs et les mouvements religieux sectaires.
APIC: La législation religieuse de 1997 n’a pas réussi à endiguer les sectes…
Mgr Kondrusiewicz: La nouvelle législation religieuse de 1997, qui voulait effectivement lutter contre l’invasion des sectes d’origine étrangère, affecte davantage les Eglises historiques comme les protestants et les catholiques. Des sectes très actives agissent sans se faire enregistrer, et c’est d’autant plus facile qu’elles n’ont souvent pas de structures visibles. Elles apportent leurs idéologies qui sont souvent délétères pour la société, notamment au niveau des valeurs familiales, de la liberté des individus, souvent manipulés. Certains scientologues ou moonistes occupent des places influentes dans le système d’éducation… D’autres avancent masqués, sous le couvert d’aide alimentaire à une population très appauvrie par les changements économiques et une transition trop brutale.
En raison de l’héritage laissé par 70 ans d’athéisme, qui ont laissé un champ de ruines spirituelles, les gens ont perdu le sens moral. La frustration est grande chez beaucoup de jeunes Russes qui ne rêvent que de quitter leur pays et de vivre à l’étranger. Ce phénomène touche également les jeunes catholiques. Sans l’aide des chrétiens occidentaux, nous ne pourrions rien faire, nos gens sont trop pauvres, ils n’ont déjà pas suffisamment de quoi faire vivre leur famille.
Mes fidèles, en effet, à l’image de la société russe en général, sont souvent très démunis. Nos paroisses sont très pauvres et nous ne recevons aucun subside de l’Etat. Sans aide extérieure, nous cesserions d’exister comme entité. Dans les campagnes, les gens souffrent de la faim et du froid, certains en meurent. Les structures sociales ont été réduites à néant dans de vastes régions et l’espérance de vie est désormais de vingt ans inférieure à celle des Occidentaux.
Nos gens n’étaient pas préparés au processus de privatisations, à ce capitalisme sauvage et primitif qui s’est installé chez nous, à ce fossé social qui s’est creusé entre une petite minorité d’enrichis et la masse des gens qui continue de s’appauvrir. Aujourd’hui, quelques uns, les fameux «nouveaux Russes», sont devenus extrêmement riches, mais souvent grâce à des pratiques mafieuses.
APIC: Espérez-vous toujours une visite de Jean Paul II en Russie dans un avenir proche?
Mgr Kondrusiewicz: J’espère de tout mon cœur que le pape vienne en Russie, car il a été invité officiellement à plusieurs reprises par le président russe: par Gorbatchev et Eltsine, invitation que Vladimir Poutine a confirmée. Notre Conférence épiscopale a également invité le Souverain pontife, et en soi, cela devrait suffire. L’invitation de la part des orthodoxes n’est donc pas une condition sine qua non pour une telle visite. Lorsque le patriarche de Moscou Alexis II s’est rendu en Lituanie ou en Autriche, il n’a pas demandé la permission de Jean Paul II ! Pour faire progresser le dialogue œcuménique, il serait mieux cependant qu’une invitation soit également lancée par l’Eglise orthodoxe. Mais nous nous contenterions du précédent de la Grèce, où l’Eglise orthodoxe a laissé entendre: «Nous n’invitons pas, mais nous ne sommes pas contre…»
La visite deJean Paul II en juin dernier en Ukraine a été bien accueillie dans les milieux orthodoxes, surtout parmi les jeunes. Finalement, elle s’est révélée très positive, comme le relèvent les sondages d’opinion: immédiatement après la visite, le taux d’acceptation parmi les Russes était de 53%, un taux qui est monté à 60% lors du dernier sondage. Cette visite a suscité une grande espérance et davantage d’ouverture dans la société russe. Je suis personnellement convaincu que la venue du pape peut aider la société russe à apprendre comment on peut vivre dans la paix et dans la coopération. Elle peut contribuer à pacifier les esprits et aider à construire des ponts entre l’Est et l’Ouest de l’Europe. (apic/be)