Actualité: Mai 68, un ancien raconte 30 ans après

APIC – Interview

France: 30 ans après mai 68

François Baudin: de l’extrême gauche au Christ

Jean-Claude Noyé, pour l’Agence APIC

Paris, 1er avril 1998 (APIC) 30 ans après, la plupart des militants gauchistes de mai 68 ont rejoint les rangs. François Baudin, activiste de la Gauche Prolétarienne, est passé de l’établi au bureau de directeur, de Mao à Jésus-Christ.

Directeur régional adjoint de l’AFPA (Association pour la Formation Professionnelle d’Adultes) en Lorraine, François Baudin, historien de formation, a raconté cet engagement intense et décrit le mouvement ouvrier lorrain dans plusieurs ouvrages. Aujourd’hui proche de l’Eglise catholique, il nourrit un intérêt particulier pour la vie cistercienne. De Mao à saint Bernard, il confie son engagement au service de la justice et du plus pauvre, sur les pas du Christ.

APIC: Mai 68 a été une explosion sociale et politique à la fois inattendue et spectaculaire. Vous avez été au cœur de cette «révolution». . .

F. B. : Ce fut un temps de prise de parole très intense. Lycéen à Troyes, J’allais discuter dans les usines ou à la Bourse du travail avec les ouvriers. Je lisais «La Cause du peuple», journal maoïste dont Jean-Paul Sartre lui-même m’a donné un exemplaire sur un boulevard parisien. J’ai rejoint la Gauche Prolétarienne en mai 1970 et le Secours Rouge, fondé par Georges Montaron et d’autres chrétiens de gauche. Mon militantisme s’est intensifié: j’ai quitté la faculté pour travailler en usine comme «établi». D’abord en région parisienne, puis en Lorraine, au laminoir de Pompey, de 1972 à 1974.

APIC: Qu’est ce qui vous motivait?

F. B. : Un esprit de service du peuple, d’engagement total qui supposait de quitter sa famille, son univers. Avec un envoi quasi-missionnaire vers les pauvres: les immigrés, les OS (Ouvriers Spécialisés), le sous-prolétariat. La classe ouvrière était investie d’une mission prophétique: elle voyait juste, dessinait l’avenir, se révoltait. Nous voulions la radicaliser politiquement mais en partageant sa condition, persuadés de recevoir beaucoup d’elle car nous remettions en cause la division capitaliste entre travail intellectuel et travail manuel. On était prêt à aller au sacrifice suprême. Nous avions nos martyrs: Christian Riss, Pierre Overney, Gilles Tautin. De fait, notre conception de l’engagement en tant que sacrifice pour la justice, à l’instar du Christ, était très mystique. Mais la réalité nous a rattrapé.

APIC: C’est-à-dire?

F. B. : Nous sommes devenus plus modestes. On s’est rendu compte que les choses ne se passaient pas comme on les pensait, que la réalité était plus dure, plus complexe. D’autre part une certaine apologie de la révolte, de la violence -»venger ses morts»- a amené la plupart d’entre nous à prendre leurs distances. Finalement la Gauche Prolétarienne s’est auto-dissoute en 1974.

APIC : Un échec?

F. B. : D’une certaine manière oui et que j’ai essayé de raconter dans «La mer gelée en nous», pour comprendre ce qui a été vécu. Je me suis ensuite investi dans la formation professionnelle comme moniteur d’alphabétisation. Une façon d’être encore au service des plus pauvres: les immigrés.

APIC: Depuis quelques années, on connaît aussi votre intérêt pour la vie monastique. Quel a été votre cheminement?

F. B. : Il a fallu qu’un mûrissement se fasse. Mais je vois là aussi une continuité: lycéen, la lecture des Evangiles inspirait ma soif de justice. Quand j’étais «établi», les copains de l’usine m’appelaient «le curé» ou «Jésus», car ils avaient pressenti le côté sacrificiel de cette démarche. Le monachisme c’est la prière, la quête de contemplation, mais aussi la recherche, – à travers ces règles garantes de liberté – de l’utopie de la fraternité. Utopie qui a aussi animé le gauchisme. Saint Bernard, la grande figure de l’Ordre cistercien, est à la fois homme d’action, un vrai bâtisseur, et pleinement homme de prière, un mystique. Cet équilibre entre action et contemplation est pour moi un idéal de réussite dans la vie. (apic/jcn/ab)

20 avril 2001 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 3  min.
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