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APIC – Interview

Congo: Rencontre avec Kapupu Diwa Mutimanwa, premier intellectuel pygmée d’Afrique

«Nous les pygmées, nous sommes de nulle part !»

Maurice Page, agence APIC

Fribourg, 29 octobre 1998 (APIC) Ils ne sont pas victimes d’un génocide physique, mais d’un génocide social et culturel. Les pygmées d’Afrique sont pourtant les premiers habitants du continent. Marginaux dans leur propre pays, les petits hommes de la forêt sont menacés dans leur existence même. Pour les Occidentaux l’image du pygmée se limite souvent à celle de Tintin au Congo.

«Nous les pygmées, nous sommes de nulle part. La plupart des trois millions de pygmées d’Afrique n’ont pas de nationalité, pas de citoyenneté, ni même d’identité reconnue.» Au journaliste qui s’étonne, Kapupu Diwa Mutimanwa tend un bout de carton jaunâtre: «Regardez ce papier». Cette carte de membre du Programme d’intégration et de développement du peuple pygmée PIDP tient lieu d’unique papier d’identité pour la plupart des quelque 50’000 pygmées du Kivu. Premier intellectuel pygmée du Congo, Kapupu a décidé de se battre la dignité de son peuple.

«Je suis un des premiers pygmées à avoir mis le pied à l’université avec le concours des missionnaires protestants et catholiques. J’ai fréquenté les universités de Kisangani et de Bukavu.» L’histoire de Kapupu Diwa Mutimanwa symbolise à elle seule un certain colonialisme dont les effets perdurent aujourd’hui encore, trois décennies après l’indépendance. «A l’époque on pensait que le pygmée était le grand frère du singe. On nous considérait comme des gens sans intelligence, seulement doués d’un instinct avancé. J’ai pu accéder à l’école et à l’université dans le cadre d’une expérimentation. Il s’agissait de voir si réellement le pygmée avait la capacité d’étudier.»

«Mon grand-père était à la cour royale du Mwami, car dans la culture bantoue, il y a toujours un pygmée à la cour. C’est la raison pour laquelle j’ai été choisi tout gosse comme ’échantillon’.» Enfermer un jeune pygmée dans un pensionnat religieux ne fut pas une chose simple. Kapupu s’enfuit plusieurs fois, jusqu’au moment où les Xavériens décident d’intégrer aussi sa famille. Son père est installé près du couvent où les religieux lui confient de menus travaux. Peu a peu le jeune garçon prend goût à l’étude. «J’ai voulu apprendre le français et cela a été une grande stimulation.»

Son identitéé pygmée ? il n’en est alors pas question. «J’en ai pris conscience un peu paradoxalement grâce au système des jésuites. En me disant «nous ne t’avons pas fait étudier pour rien», ils m’ont finalement indirectement façonné à défendre mon peuple.» Aujourd’hui Kapupu dirige le PIDP, unique organisation du Congo fondée et gérée par et pour les pygmées.

Un peuple marginal depuis toujours

Les pygmées ont toujours été une population marginale, dès les premiers contacts avec un monde qui n’était pas le leur. L’envahisseur bantou a repoussé le pygmée toujours plus loin, comme une sorte de pionnier dans la forêt. Nomade, chasseur et pêcheur, le pygmée se déplaçait librement dans le forêt. Le bantou, sédentaire, agriculteur ou éleveur avait une autre vision du monde. Il n’y avait que quelques familles pygmées qui vivaient à la cour ou en contact avec de la société bantou. L’exclusion et la marginalisation se sont perpétuées depuis, explique Kapupu.

Paradoxalement cependant la culture bantou reconnaît le pygmée comm premier détenteur du sol, comme dépositaire de la terre. «Ainsi le mwami, le roi, devait systématiquement être intronisé par un pygmée. C’est une façon de dire «je suis bien le propriétaire légitime de la terre puisque les pygmées me l’ont cédée». C’est pourquoi mon grand père vivait à la cour royale.

L’arrivée des Blancs a encore renforcé ce phénomène. «Pendant très longtemps, nous pygmées, n’avons pas vu le Blanc. Au Blanc qui posait des questions sur les pygmées, le bantou répondait: ’N’allez pas vers eux, ce sont des sauvages agressifs et méchants’». Le pygmée a donc été écarté des apports positifs de la colonisation, en particulier l’instruction scolaire.

Un génocide social et politique

L’exclusion perdure aujourd’hui. «Il ne s’agit pas d’un génocide physique mais d’une sorte de génocide social et politique. Nous ne sommes de nulle part. La plupart des pygmées n’ont ainsi pas de citoyenneté, ni même d’identité reconnue. En corollaire, les pygmées ne paient pas d’impôts. Certains des gens de mon peule s’en réjouissent, moi je trouve cela très grave, car cela signifie ne pas participer au développement du pays et n’avoir pas droit aux aides ou aux subventions. Encore une fois le pygmée est déconsidéré.»

Le premier travail de Kapupu consiste donc à ressusciter la conscience pygmée. Dans nos pays, le terme même de pygmée est une injure. Les parents disent à leurs enfants pour les gronder «tais-toi, pygmée !» ou encore «ne fais pas comme les pygmées !». Le phénomène se renforce encore souvent parce que les pygmées parvenus à un meilleur niveau social ont tendance à se couper de leur racines.

«Moi-même j’étais haut-fonctionnaire à la Communauté économique des Pays des Grands Lacs (CEPGL). Au moment où j’ai décidé de quitter ce poste pour défendre la cause pygmée, mes supérieurs et mes collègues ne l’ont pas compris. On m’a dit que veux-tu aller faire avec ces pygmées ? Laisse-les donc !».

«Mon premier travail concerne donc l’acceptation de l’identité pygmée. Quand on l’appelle par son nom «mutwa», le pygmée se fâche. Il faut qu’il apprenne à répondre «oui je suis pygmée et je suis très fier de l’être, car je suis le premier habitant de ce pays.»

Ensuite vient la question de la reconnaissance officielle par les autorités politiques et administratives. Les pygmées doivent dire qu’ils existent et qu’ils ont droit à la vie. «C’est un long chemin, je ne vais certainement pas en voir le bout… peut-être mon fils.»

Employés de parcs ou braconniers

Ce sont surtout les pygmées qui ont quitté la forêt qui se trouvent confrontés à la misère. Lors de la création de parcs nationaux, les pygmées ont été tout simplement chassés de la forêt sans indemnisation d’aucune sorte. «Les animaux sont mieux protégés que nous. Or les pygmées sont parmi les meilleurs protecteurs de l’environnement. Toute une série de tabous et de mythes empêchent une exploitation abusive des ressources naturelles», explique Kapupu.

Les parcs naturels procurent des recettes importantes aux Etats, mais rien n’a été restitué aux indigènes, ni en argent, ni en infrastructures. La question de la délimitation de territoires indigènes, comme cela se pratique en Amérique latine n’est absolument pas à l’ordre du jour. Les pygmées sont devenus pisteurs pour les parcs ou braconniers. Comment empêcher le braconnage si les populations locales ne bénéficient d’aucun avantage de la présence d’un parc. Si le pygmée n’est pas conscientisé, il sera tenté de piller les parcs.»

La houe, la machette et les vêtements

Pour Kapupu, si tous les efforts de développement ont jusqu’à présent échoué, c’est par ignorance de l’identité du pygmée. «Prenons un exemple très simple: certaines organisations ont amené des houes ou des machettes aux pygmées; immédiatement ces derniers, qui n’en avaient pas l’usage, sont allés les vendre aux populations bantoues. Pour les habits, la question est la même: pourquoi donner un habit qui ne sera jamais lavé, ni raccommodé ? Si on avait demandé au pygmée ce qu’il voulait, il aurait dit «amène-moi de l’eau !» Même des leaders indigènes font ce genre de bêtises en raisonnant à la place des pygmées. En fait ils s’éloignent ainsi de leur base. Ce n’est pas moi, Kapupu, qui dois dire ce que mon peuple doit faire, mais c’est à lui d’exprimer ses besoins.»

Ainsi pour les pygmées qui vivent encore dans la forêt, le développement ne doit pas empêcher leur mode de vie traditionnel itinérant. Pour l’alphabétisation, il ne faut par exemple pas créer des écoles fixes, mais un système mobile avec des enseignants qui se déplacent. A la saison des pluies par exemple, les pygmées restent au même endroit. Seuls les hommes quittent le village pour de brèves périodes de chasse. On peut alors travailler avec les enfants ou les femmes. Idem pour les postes de santé, il faut imaginer des cliniques mobiles.

«Avant mon départ, nous avons eu une session pour former des secouristes vétérinaires pour le petit élevage. Comment faire avec quelqu’un qui ne sait ni lire ni écrire ? On ne peut pas parler de deux centilitres… par contre tout le monde est capable de mesurer une contenance avec un bouchon de bouteille.»

Le savoir traditionnel des pygmées est en voie de disparition. Il ne faut pas se contenter de petits projets de développement éphémères, mais aussi préserver le savoir ancestral, estime Kapupu. Les pygmées du Rwanda ont ainsi pratiquement tout perdu. Ils n’ont de pygmées plus que le nom, ne connaissent plus la chasse, et se contentent aujourd’hui de pratiquer la poterie.

A cause des maladies, des changements de style de vie, il est rare aujourd’hui de trouver encore des pygmées de plus de 70 ans. «Mon père qui ne sait ni lire ni écrire, connaît pas moins de 700 plantes et leurs usages. Il s’agit de préserver et de protéger cet héritage pour que lui aussi il ne soit pas pillé par quelques chercheurs ou industriels. C’est une richesse que nous devons exploiter. Il faut donc d’abord valoriser les connaissances anciennes. Le développement n’est pas absolu mais relatif.» (apic/mp)

27 avril 2001 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 7  min.
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