Actualité: Vice-président de l’Institut pour les Œuvres de Religion depuis 1989, le banquier fribourgeois Philippe de Weck remet son mandat (qui court jusqu’en 1999) pour la fin de l’année. A l’approche de ses 80 ans, il se retire avec la satisfaction d’a
APIC – INTERVIEW
Rencontre avec Philippe de Weck, qui quitte la vice-présidence de la «banque du Vatican»
L’IOR, désormais une banque «propre en ordre»
Jacques Berset, Agence APIC
Matran, 13 octobre 1997 (APIC) A la veille de quitter, pour raison d’âge, son mandat de vice-président du conseil de surveillance de la «banque du Vatican», le banquier fribourgeois Philippe de Weck peut se retirer avec la satisfaction du devoir accompli: les finances de l’IOR sont «propres en ordre», et l’institut bancaire dégage des profits suffisants pour financer le tiers du budget du Saint-Siège. De fait, l’IOR revient de loin. Sa réputation était – demeure! – tellement sulfureuse que Philippe de Weck voulait même en changer le nom pour bien montrer la rupture avec le passé. Notre interview.
Qui, dans le public, ne connaît pas le fameux IOR, l’»Istituto per le Opere di Religione» – l’Institut pour les Œuvres de Religion – rendu célèbre par la figure controversée du prélat américain Paul Marcinkus, un «amateur qui a joué au banquier» et qui a précipité l’IOR dans une crise profonde lors du «krach» du Banco Ambrosiano ? Une faillite qui fut le plus grand scandale financier de l’après-guerre en Italie et qui coûta à l’IOR 250 millions de dollars.
Une transaction douloureuse, mais nécessaire pour éviter des procès ruineux qui dureraient encore, relève Philippe de Weck. Père du rédacteur en chef du grand hebdomadaire allemand «Die Zeit», à Hambourg, le banquier fribourgeois plaide pour l’ouverture aux médias: la transparence des finances vaticanes ne peut que servir la cause de l’Eglise et rendre crédible son discours sur l’éthique dans le monde des affaires.
APIC: Quel est au fond le but d’une institution financière comme l’IOR, destinée à faire du profit. Une notion d’ailleurs souvent considérée avec réticence chez les catholiques, tant les relations de l’Eglise avec l’argent sont encore entachées d’ambiguïté et de sentiment de culpabilité…
Ph. de Weck: Le but de l’IOR est de gérer des fonds et des fortunes d’entités religieuses, en
premier ceux des grandes congrégations, masculines et féminines. Les statuts sont très
clairs: les clients ne peuvent être que des organisations religieuses, qui plus est reconnues par le Vatican. L’IOR fait de la gestion de fortune avec les titres déposés à la banque, pour laquelle elle reçoit des droits de garde ou des commissions. S’il s’agit de fonds, la banque reçoit des dépôts pour lesquels elle paie des intérêts. L’Institut travaille tout à fait comme une banque normale. La seule différence est que la clientèle, obligatoirement, ne relève que d’une seule catégorie, car l’IOR n’a pas le droit d’avoir une clientèle privée.
Des principes de gestion professionnels
En ce qui concerne les principes de gestion, ils sont les mêmes que ceux de l’UBS, par ex. Si l’on veut conseiller de bons titres à la clientèle, lui verser des intérêts normaux, il faut travailler en matière financière avec les mêmes techniques que tous les autres.
Il y a toutefois une différence, car l’IOR étant installé sur le territoire du Vatican, l’Institut ne paie pas d’impôts. Par contre, le Vatican en reçoit les dividendes. L’année dernière, nous lui avons ainsi versé quelque 70 millions de francs, un montant approchant le tiers du budget annuel du Vatican. S’il n’y avait pas cet apport, il faudrait y engloutir tout le Denier de Saint-Pierre. Désormais, on n’y a plus recours pour éponger les pertes du Vatican.
L’éthique dans les affaires, c’est possible, mais sans fanatisme!
S’il n’y avait pas l’Institut, les banques externes gagneraient plus d’argent et le Saint-Siège serait en déficit; je n’ai donc pas de scrupules à ce que nous fassions de bonnes affaires pour soulager les finances vaticanes. Toute personne a le droit de faire des opérations commerciales, économiques et financières, pourvu qu’elles soient honnêtes. Dans ce domaine, il n’y a pas de compromis possible.
Respecter l’éthique dans les affaires est somme toute assez facile pour nous. En effet, l’IOR ne possède pas de placements en actions, mais seulement en obligations d’Etat et de grandes sociétés industrielles. Nous ne rencontrons pas de problèmes éthiques pour le moment. Il ne nous viendrait pas à l’idée de placer de l’argent dans l’industrie d’armement…
Nous plaçons d’autre part avec le «triple A», c’est-à-dire la meilleure qualité: nous ne prenons aucun risque. En matière d’actionnariat, nous connaissons une seule exception: l’IOR d’avant la réforme avait une participation au Banco Ambrosiano. Nous avons conservé une participation de l’ordre de 2,1% au capital de cette banque.
Nous l’avons conservée et nous avons bien fait, car l’actuel successeur du Banco Ambrosiano – l’Ambroveneto -, résultat de la fusion avec la Banca Cattolica del Veneto – marche bien. C’est à peu près la meilleure banque non étatique en Italie. L’Ambroveneto est en train de fusionner avec la grande Cassa di Risparmio delle Provincià Lombarde à Milan, ce qui en fera la plus grande banque italienne non étatique. Nous allons suivre maintenant l’augmentation du capital, mais resterons à 2,1%. Dans un certain avenir, nous vendrons une partie de ce capital parce que le montant devient un peu trop considérable par rapport à nos fonds propres.
Bien sûr, avec la participation dans l’Ambroveneto, nous ne pouvons plus tout contrôler. D’autre part, il ne faut pas non plus, sous prétexte d’éthique, devenir fanatique et empêcher les gens de travailler. Il y a des choses qui sont très difficiles à voir, par exemple dans l’industrie pharmaceutique. Savoir si on produit des contraceptifs…Mais si vous êtes vigilants et de bonne foi, il n’est pas nécessaire d’engager des détectives privés pour vérifier chaque placement.
APIC: La fortune et les revenus du Vatican sont souvent l’objet de spéculations, voire carrément de fantasmes. On parle même parfois de «pouvoir obscur» de la finance vaticane. Quelle est en réalité la hauteur du bilan de l’IOR ?
Ph. de Weck: L’ordre de grandeur du bilan est de 7 milliards de francs suisses, cela correspond à celui d’une banque cantonale comme celle de Fribourg. A titre de comparaison, celui de l’UBS est de 450 milliards ! L’IOR est un nain, j’ai dû m’habituer à de toutes autres proportions.
Certes, un certain public s’imagine que le pouvoir financier du Vatican est immense, c’est la raison pour laquelle je vous donne volontiers ces chiffres. A propos du budget et des revenus du Vatican, on peut dire qu’ils sont modestes: moins de 200 millions de francs, (cinq fois moins que Cologne, le plus grand diocèse d’Allemagne, ndr). Le Saint-Siège tire ses revenus de ses biens mobiliers, notamment de placements résultant du solde de l’indemnité versée par l’Etat italien dans le cadre des Accords du Latran, en 1929. Ces placements ont une valeur de près de 600 millions de francs. Les immeubles en sa possession valent dans les 420 millions de francs, soit une fortune totale d’environ un milliard de francs. Cette dernière est toutefois grevée au bilan de 210 millions de francs destinés à payer les retraites du personnel, parce qu’il n’y a que quelques années que le Vatican a introduit le système de capitalisation des rentes.
L’an dernier, le rendement de cette fortune a été d’environ 58 millions de francs, soit un taux d’environ 6 %. L’IOR, avec un capital de l’ordre d’un milliard de francs suisses, a un rendement d’environ 7 % (soit 70 millions, qui vont en très grande partie au Saint-Siège). Le reste du budget du Saint-Siège provient de contributions des diocèses du monde entier (plus de 33 millions de francs), ainsi que des revenus d’institutions liées au Saint-Siège, comme l’Osservatore romano, Radio Vatican, la Typographie vaticane, etc.
A côté de l’entité «Saint-Siège», il faut ajouter «l’Etat de la Cité du Vatican», dont les ressources, pour l’essentiel, sont représentées par les Musées et la vente de timbres de la Poste vaticane. Egalement à part, le Denier de Saint-Pierre (environ 50 millions de dollars annuellement) est alimenté par les dons directs au pape, notamment pour des actions de charité.
On ne puise plus dans le Denier de Saint-Pierre
Les évêques du monde entier reçoivent depuis quelques années le bilan consolidé du Saint-Siège, un document rédigé par la Préfecture économique du Saint-Siège. Il renseigne sur les coûts de toutes les activités du Saint-Siège: activités administratives, congrégations, nonciatures, etc. Ce document, bien fait – on y voit la patte du cardinal Edmund Casimir Szoka, que Jean Paul II a fait venir des Etats-Unis pour mettre de l’ordre dans les finances vaticanes – est tout à fait transparent. C’est aussi bon qu’un compte de Nestlé! La seule remarque que je ferais, c’est que l’on devrait confier la révision à une fiduciaire connue au niveau international, et pas seulement à un réviseur de la place.
Les comptes du Saint-Siège se bouclent désormais sans puiser dans le Denier de Saint-Pierre, ce qui n’était pas le cas durant de nombreuses années. Les comptes du Denier de Saint-Pierre, destiné aux charités du pape, ne sont pas publiés.
APIC: A voir la restructuration et la professionnalisation de l’IOR, on peut en conclure que le Vatican a tiré la leçon de l’amateurisme aventurier d’antan…
Ph. de Weck: C’est un fait; le Vatican a tiré les leçons de l’affaire que j’appellerais «Ambrosiano-Marcinkus», parce que ces noms sont quand même très mêlés. Il a donné en 1989 de nouveaux statuts à l’IOR. Ces derniers prévoient une chose très importante: la banque doit être dirigée par des laïcs compétents en matière financière et bancaire. Avant la réforme, l’Institut était dirigé par des ecclésiastiques ne connaissant rien aux affaires.
Ces statuts sont très clairs: tous les pouvoirs reviennent au conseil de surveillance, qui équivaut à un conseil d’administration. Il a tout simplement à rendre des comptes à la commission des cardinaux «grands argentiers» du Vatican, qu’on pourrait comparer à une assemblée générale. Le conseil des cardinaux détermine également le montant du bénéfice à distribuer et son affectation.
APIC: Remettre sur pied l’IOR a dû être une tâche gigantesque…
Ph. de Weck: C’était de ma part, je crois, un acte courageux d’avoir accepté ce mandat à la tête de l’IOR en 1989, si l’on pense à la réputation qu’avait et qu’a encore cet Institut. Sans parler de sa situation financière alors très précaire. J’ai été sollicité par le cardinal Casaroli, secrétaire d’Etat du Vatican. Il me connaissait, car j’avais fait partie, avec M. le Dr. Abs, ancien président de la Deutsche Bank, d’un petit groupe qui a conseillé le Vatican dans le cadre de la liquidation du Banco Ambrosiano. Nous avons plaidé pour le versement d’un dédommagement de 250 millions de dollars, pour éviter un procès qui aurait coûté beaucoup plus cher et qui aurait empêché la reconstruction de l’Institut.
Nous sommes arrivés à l’IOR en 1989, au lendemain du départ de Mgr Marcinkus – sinon nous ne serions tout simplement pas venus ! – avec un conseil composé de façon intelligente par le cardinal Casaroli. En faisaient également partie l’Italien Angelo Caloia, professeur d’économie et président de la banque italienne Mediocredito Lombardo, à Milan (élu président de l’IOR); l’avocat américain Thomas Macioce, de New York, spécialisé dans les affaires financières (remplacé après sa mort par Virgil C. Dechant, président des Knights of Columbus, la puissante organisation catholique américaine des chevaliers de Colomb); le banquier allemand Theodor Pietzcker, l’un des directeurs de la Deutsche Bank, ainsi que le professeur espagnol José Angel Sanchez Asiain, ancien président du Banco Bilbao-Vizcaya, l’une des plus importantes banques espagnoles.
Tout était à faire, de A à Z
La clef du succès du redressement de l’IOR a été le fait que nous nous entendions parfaitement, entre professionnels. De 1989 à 1994, je me rendais tous les mois à Rome. Nous avons dû tout construire progressivement. Comme il n’y a pas de droit bancaire dans la Cité du Vatican où nous sommes domiciliés, il fallait que nous rédigions un règlement très perfectionné. Nous avons ensuite décidé des «lignes-directrices» pour la politique de la banque, notamment en matière de blanchiment d’argent sale, puis préparé un organigramme. Il n’y avait auparavant rien de tout cela, sauf des statuts. Je ne sais pas comment ils pouvaient travailler. Du parfait amateurisme. Le président faisait ce qu’il voulait. Il y avait bien la commission des cardinaux, mais ils n’avaient pas de compétences en matière bancaire.
APIC: Vous avez dû faire face à un héritage très lourd…
Ph. de Weck: Très, très lourd. Le versement des 250 millions de dollars pour l’affaire du Banco Ambrosiano avait entamé fortement les réserves. Au bout d’un certain temps, nous avons eu recours à un conseiller extérieur. J’ai beaucoup insisté pour que ce soit un étranger, pour éviter qu’il y ait trop de relations locales. Nous avons désigné une fiduciaire suisse: Revisuisse à Zurich, qui appartient au groupe mondial Price Waterhouse.
Ils ont tout contrôlé durant deux ans, car nous voulions obtenir la certification donnée aux principales banques dans le monde, en se basant sur les normes internationales. Les bilans 95 et 96 ont donc été certifiés par Price Waterhouse, selon l’expression consacrée, «fair and true – normes internationales». Cela a été un travail gigantesque. Maintenant, l’IOR voit son profit progresser d’année en année et c’est une banque désormais certifiée.
APIC: Malgré la réforme de l’IOR, sa réputation sulfureuse lui colle toujours à la peau !
Ph. de Weck: Evidemment, nous traînons comme vous dites une réputation sulfureuse. Il y aurait une solution pour améliorer cette situation; ce serait de publier les comptes. Mais jusqu’à présent, le Vatican ne s’y est pas résolu. Certes, comme l’IOR ne fait pas appel au public, il n’est pas tenu de le faire. De même les banques privées suisses comme Lombard Odier & Cie ou Pictet & Cie n’en ont pas non plus l’obligation. Mais si l’IOR est dans cette catégorie, je suis d’avis depuis longtemps que la seule façon de couper court aux rumeurs et de redorer le blason de la banque vaticane, est de jouer au maximum la transparence.
Nous l’avons fait en 1993, par exemple, lors du scandale des pots-de-vin dans le cadre de l’»affaire Enimont». Cela a été une grande nouveauté en Italie: comme il était avéré que des fonds servant à la corruption – il s’agissait de 70 millions de francs – avaient transité par l’IOR, nous avons communiqué tous les comptes à la justice italienne. Notre conseil d’administration a demandé dès le début que l’on collabore avec la justice italienne et le Vatican n’a émis aucune objection concernant le secret bancaire. Si nous sommes face à une affaire pénale, nous faisons comme la Suisse. S’il y a une demande d’entraide judiciaire et qu’elle apparaît justifiée, nous procéderons comme dans le cas «Enimont».
Une autre affaire vient de surgir: pendant la guerre, l’IOR aurait réceptionné des livraisons d’or en provenance régime oustachi fasciste de Croatie. Dès que la nouvelle nous a été connue, le conseil d’administration a demandé au service de révision interne – que nous avons mis en place lors de la réforme de la banque – de faire des recherches dans les archives. Lors de la dernière séance de septembre, nous avons reçu un premier rapport. Le service de révision n’a rien trouvé, mais a cependant constaté que les archives des années 40 avaient été en partie détruites. A certaines périodes, des documents ont été détruits, faute de place.
Ce n’est pas sûr que nous arriverons à reconstruire les transactions qui se sont passées pendant la guerre. Il faut noter – à l’instar de ce qui se passe avec les banques suisses – qu’il n’y avait aucune prescription légale quelconque obligeant la banque à garder des documents au-delà de dix ans. C’est possible que l’on trouve tout de même quelque chose; nous avons en tout cas la volonté de faire toute la lumière. (apic/be)