Brésil: Pastorale des favelas à Rio de Janeiro face aux bulldozers des JO
Aider les habitants menacés d’expulsion en vue de la Coupe du Monde 2014 et des JO 2016
Rio de Janeiro, 31 janvier 2012 (Apic) Les aménagement urbains au Brésil, liés à l’organisation de la Coupe du Monde 2014 et des Jeux Olympiques 2016, touchent les bidonvilles de Rio de Janeiro. Créée en 1977, la Pastorale des favelas de l’archidiocèse de Rio tente d’apporter son soutien à des milliers d’habitants des quartiers pauvres de cette mégapole située dans le sud-est du pays, menacés d’expulsion en raison de ces travaux. Une mission rendue difficile par des effectifs et moyens limités face à des intérêts économiques et politiques sans commune mesure.
Dès qu’elle entend les premières gouttes de pluie marteler le toit de tôle ondulée, Dona Netinha prend ses quatre enfants et sort de chez elle. Surplombant le Morro (colline) do Fubà, une favela située dans le quartier de Cascadura, au cœur de la zone nord de Rio de Janeiro, sa maison aux murs de briques apparentes borde une pente abrupte de terre rouge.
«En avril 2010, explique cette quarantenaire aux traits usés et dont l’unique source de revenus provient de la récupération de déchets – canettes, bouteilles en plastique et emballages en carton – la colline se terminait une cinquantaine de mètres plus loin et il y avait encore huit maisons ici. Mais avec les pluies violentes qui se sont abattues, elles ont toutes été emportées par un glissement de terrain.»
A l’époque, l’aire urbaine de Rio de Janeiro – 11,35 millions d’habitants – , avait été frappée par des pluies torrentielles, faisant plus d’une centaine de morts et des milliers de sans-abri. Sans compter les dizaines de milliers d’habitations menacées de s’effondrer. Au Morro do Fubà, un couple et leur petite fille avaient d’ailleurs été ensevelis sous des tonnes de boue et de gravats. Pour tenter de juguler l’hémorragie, les autorités avaient alors interdit à des milliers de «favelados» (habitants des favelas) de réintégrer leurs logements. Sans pour autant proposer de solutions alternatives.
Dona Joanna faisait partie de ceux-là. Après des mois d’attente et de démarches sans résultat pour un obtenir un autre logement, elle a fini par réintégrer sa maison. En demandant à la Pastorale des favelas de l’aider à trouver une solution.
Garantir le droit au logement
«Cette situation est l’une des nombreuses à laquelle sont confrontés chaque jour nos agents», explique le Père Luiz Antonio Pereira Lopez, coordinateur depuis 25 ans de la Pastorale des Favelas. Créée en 1977 par Dom Eugenio Araujo Sales, archevêque de Rio entre 1971 et 2001, cette pastorale est née d’une action de résistance.
«A cette époque, précise le prêtre, l’objectif était de s’opposer à la tentative d’expulsion des habitants de la Rocinha et de Vidigal, deux des plus importantes favelas de la ville.» Déterminé à défendre les populations les plus démunies, le cardinal avait alors constitué une équipe regroupant juristes, techniciens de l’habitat et représentants de l’Eglise. Objectif ? «Empêcher les expulsions et garantir le droit au logement», face aux appétits féroces des promoteurs immobiliers qui, déjà, convoitaient ces collines dotées, pour la plupart, d’une vue imprenable sur la «Cité Merveilleuse».
Trente cinq ans plus tard, la situation ne s’est pas améliorée. «Les conditions de vie des habitants se sont considérablement dégradées», assure même Erika Gloria, l’une des cinq agents de la Pastorale, qui suit à elle seule une cinquantaine de favelas de la zone Nord de la ville. Et les intempéries qui menacent les logements souvent précaires ne sont rien, au regard des autres menaces.
«La majorité des favelas de Rio sont aujourd’hui dénuées d’infrastructures d’assainissement et ne disposent que très rarement de services publics, précise la jeune femme. Et malgré la création d’unités de police pacificatrice (UPP) pour tenter de mettre un frein à la violence et au trafic de drogue, le climat d’insécurité dans les favelas est toujours aussi tendu.» Des habitants des favelas qui doivent également faire face aux conséquences des «méga évènements» que va accueillir la ville: la Coupe du Monde de football en 2014 et les Jeux Olympiques en 2016.
65’000 personnes déplacées
Constructions d’axes routiers, d’aires de stationnement, d’espaces verts et même d’un téléphérique… Ces «méga évènements», présentés comme une «une vraie chance pour le pays», n’en finissent pourtant pas de soulever des problèmes. En particulier des centaines de plaintes pour violations des droits à l’habitat liées aux travaux dits «d’aménagements urbains». «D’après les chiffres produits par l’administration municipale, près de 13’000 familles (environ 65’000 personnes) ont déjà été déplacées, explique Erika. Et la liste va encore sans doute s’allonger.»
Exemple ? La destruction en quelques semaines de la Favela du Metrô, construite dans les années 1970, et située à 400 mètres du stade mythique du Maracana. Motif ? La construction d’un parking, comme l’exige la Fédération Internationale de Football (FIFA). «En juillet 2010, 700 familles ont été délogées manu militari à l’aube par des forces de police accompagnées de bulldozers, se souvient la jeune femme. Intimidés et ignorant leurs droits, une partie des habitants ont accepté d’être relogés en grande banlieue.» Les autres se sont tournés vers la Pastorale des favelas.
Lutte inégale
«Notre travail a d’abord consisté à apporter un soutien logistique aux habitants qui ont refusé de quitter les lieux, indique Erika. Ensuite, nous avons saisi la justice pour que la loi soit respectée, car le droit au logement est prévu dans la Constitution de 1988 et dans un décret municipal.» Avec un relatif succès, puisqu’à ce jour, une grande partie des «rescapés» sont ou seront relogés dans un ensemble immobilier à loyer modéré voisin.
Autre axe de travail, la mobilisation aux côtés des entités de la société civile qui dénoncent les infractions commises par les autorités sous couvert de préparer ces grands rendez-vous sportifs. «Cette démarche symbolise la volonté de la Pastorale des favelas d’être proche des réalités des fidèles, mais aussi de lutter avec des armes efficaces face aux menaces que constituent les intérêts économiques et politiques en présence», rappelle le Père Luiz Antonio Pereira Lopez.
Malgré le souhait d’être présent sur tous les fronts, la bataille prend parfois des allures de lutte du pot de terre contre le pot de fer. «Malgré leur bonne volonté et leur énergie, les agents ne peuvent couvrir que deux cents favelas sur plus du millier que compte la ville, admet le coordinateur. La plupart de ces hommes et femmes sont des bénévoles. Et si notre plus grande détermination réside dans notre foi en une Eglise qui a fait l’option pour les pauvres, nos moyens sont hélas limités.»
Des limites qui n’empêcheront pas Erika Gloria de continuer à lutter pour que Dona Netinha puisse obtenir un nouveau logement, décent et sûr. Pour pouvoir écouter, sans crainte, la pluie tomber.
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