Allemagne: Le «Père au lard» est décédé à l’âge de 90 ans

«Le plus grand mendiant du 20e siècle» ne tendra plus son chapeau

Balz Röthlin, agence APIC

Königstein, 31 janvier 2003 (APIC) On l’appelait «le plus grand mendiant du XXème siècle», et ce titre, le Père Werenfried van Straaten ne l’a pas certes pas usurpé! En un demi-siècle, le légendaire «Père au lard» n’a-t-il pas récolté lors de messes et de prédications près de 3 milliards de francs pour l’oeuvre catholique «Aide à l’Eglise en Détresse» (AED) qu’il a fondée en 1947? Le 31 janvier, le célèbre religieux hollandais est décédé à l’âge de 90 ans.

Dans un communiqué diffusé le 31 janvier, AED annonce que le Père Van Straaten est décédé le matin du 31 janvier à l’hôpital de Bad Soden près de Francfort, en Allemagne. Les responsables de l’oeuvre rappellent qu’il avait fêté son 90e anniversaire le 17 janvier dernier. Près de 500 invités, venus des 4 coins du monde étaient présents à Limbourg pour exprimer leur soutien au «Père au Lard». A cette occasion, le président allemand Johannes Rau avait souligné combien le Père van Straaten – comme bien peu d’autres – s’est engagé de manière infatigable pour le peuple allemand, bien qu’il eût, comme Néerlandais, à souffrir de l’agression allemande du temps du national-socialisme.

Le Père Werenfried, un religieux de l’ordre des prémontrés, a prêché presque partout dans le monde. En Suisse aussi, la plupart du temps dans les couvents de Mariastein et d’Einsiedeln. C’est dans des églises pleines à craquer que le Père vêtu de blanc impressionnait les fidèles par ses récits poignants sur la détresse des Eglises persécutées et l’aide apportée par son oeuvre d’entraide. A la fin de la messe, c’était la tradition: il se postait invariablement à la sortie de l’église avec son «chapeau à millions» noir, un vieux galurin tout fripé destiné à recevoir l’obole de l’auditoire conquis! Il venait, avec un clin d’oeil, de préciser que son vieux chapeau mou était plein de trous et qu’il valait mieux y mettre des billets, les pièces de monnaie risquant de passer à travers… Le truc marchait à chaque coup !

Werenfried van Straaten naît le 17 janvier 1913 à Mijdrecht (Hollande). Après des études de philologie classique à Utrecht, il entre à l’âge de 21 ans dans l’Abbaye des Prémontrés de Tongerlo, en Belgique, où il est ordonné prêtre en 1940.

Torturés par la faim, des décombres pour seul abri

C’est au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale que Werenfried van Straaten se laisse interpeller par l’indicible misère de millions de réfugiés et de déplacés survivant dans une Allemagne en ruines, torturés par la faim, des décombres pour seul abri. Il commence, en Flandres, par quêter pour eux des vêtements et des aliments. C’est le point de départ de la «success story» de ce «mendiant de Dieu» acharné, qui quitte le silence de la vie monacale pour secourir ses frères dans la détresse. En 1946, il visite une ville de Cologne déchiquetée par les bombes. «Sur des kilomètres, rien que des champs de ruines, d’où s’élevait par endroit de la fumée: des gens privés du plus strict nécessaire vivaient sous terre, dans le froid», se rappelait-il.

Pas évident, pourtant, de parcourir la Belgique et la Hollande en mendiant des secours pour l’ennemi vaincu, au lendemain d’une occupation nazie dont les traces atroces étaient encore partout visibles. Il réussit pourtant à rassembler des centaines de tonnes de lard pour les affamés d’Allemagne. D’où le surnom de «Père au lard» qui va faire florès.

Prêtres sac à dos et chapelles roulantes

Le Père Werenfried fonde l’AED en 1947, à Tongerlo. Bientôt il rencontre des prêtres chassés par la guerre qui recherchent leurs fidèles dispersés. Il les envoie comme prêtres «au sac à dos» pour relancer le travail pastoral dans les zones dévastées par la guerre. Il faut prendre l’expression «prêtres au sac à dos» au sens littéral du terme, car ces hommes de Dieu d’un genre nouveau parcouraient de longues distances à pieds, à vélo ou sur de poussives motocyclettes avec sur le dos un grand sac rempli de nourriture. C’est à cette époque que des prêtres, des religieux et des laïcs se rassemblent dans une ancienne caserne de l’armée, à Königstein, près de Francfort-sur-le-Main, où allait bientôt naître la centrale mondiale de l’AED.

En 1949, le Père Werenfried lance sa mission des «chapelles roulantes»: des camions, des voitures de livraison, des tracteurs de semi-remorque montés comme des églises sur roues sillonnent désormais les routes de la moitié de l’Europe. Juchés sur ces chapelles roulantes, des prêtres prêchent, disent la messe, confessent, distribuent la communion, réconfortent, lancent des appels aux dons aux fidèles rassemblés sur leur passage…

Le Père Werenfried se rappelait bien d’un de ses passages en Suisse avec l’une de ses «chapelles roulantes»: «Je parcourais le canton de Schwyz, prêchant et quémandant. Le montant des dons était fantastique. Un jeune homme dépose dans la boîte à offrandes une épaisse enveloppe avec 10’000 francs dedans, avec cette remarque: Cet argent était destiné à acheter notre trousseau, car nous nous marions dans trois mois. Nous aurions ainsi pu utiliser cet argent pour nous mettre en ménage. Mais vous pouvez encore mieux l’employer derrière le Rideau de fer». Werenfried était intarissable sur la générosité des donateurs suisses. «Ils sont très généreux…», a-t- il une fois lancé, avant d’ajouter avec son clin d’oeil habituel: «mais on ne peut non plus dire qu’ils soient vraiment pauvres!»

L’AED, une oeuvre d’entraide présente dans le monde entier

Alors que la construction de l’Europe d’après-guerre allait bon train, le Père Werenfried s’ouvre à de nouveaux horizons et assigne de nouveaux buts à son oeuvre: son intense activité caritative et socio-pastorale se développe désormais au-delà du Rideau de fer, au coeur même du Bloc de l’Est, en Europe centrale et orientale, puis en Amérique latine, avant de s’étendre finalement à l’ensemble des pays du monde où l’Eglise, ses prêtres, ses religieuses, ses fidèles doivent faire face à la persécution, à l’oppression, et aux carences matérielles de toutes sortes.

Aujourd’hui, l’oeuvre d’entraide catholique internationale Aide à l’Eglise en détresse, dont la section suisse a son siège à Lucerne et son antenne romande à Fribourg, peut compter sur le soutien régulier de plus de 700’000 donatrices et donateurs dans 16 pays. Ils ont permis à l’AED, ces dernières années, de mettre à disposition plusieurs centaines de millions de dollars pour financer la formation théologique et pastorale, soutenir les médias d’Eglise, subventionner la reconstruction d’églises, de couvents ou de chapelles, financer des nouveaux édifices religieux…

L’un des projets les plus sympathiques réalisés par l’AED est la Bible des enfants, un véritable «best-seller», que l’oeuvre d’entraide a déjà éditée dans quelque 110 langues et distribuée à plus de 35 millions d’exemplaires dans 80 pays du monde entier.

Une des dernières grandes tâches que le Père Werenfried a assignées à son oeuvre est placée sous le signe de l’oecuménisme et de la réconciliation: elle soutient désormais financièrement les frères de l’Eglise orthodoxe russe, qui se relèvent de sept décennies de persécution.

«Poursuis ton chemin… !»

En 1993, à l’occasion de son 80ème anniversaire, le Père Werenfried est reçu en audience privée par le pape Jean Paul II à Rome. Le pape lui dit alors: «Poursuis ton chemin, continue ton oeuvre». En novembre de l’année suivante, une attaque cérébrale l’affaiblit fortement. Maintenant que son coeur s’est définitivement arrêté, des millions d’hommes pleurent cet homme engagé jusqu’au bout.

Le Père Werenfried a en effet fait du souhait du pape son testament. Il appelle ses amis à continuer son importante oeuvre au service de l’oecuménisme et de la réconciliation et à aider à poursuivre le développement de l’AED. BB

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