Angleterre: Modification de la loi sur l’euthanasie en discussion

Les «cliniques de la mort» suisses dans la balance du débat anglais

Londres, 21 mars 2005 (Apic) L’ouverture récente par Dignitas, l’association suisse d’aide au suicide, d’une deuxième «clinique», polarise le débat anglais sur le suicide assisté. Les mouvements britanniques en faveur de la mort assistée mettent en avant le dernier voyage en Suisse de nombreux citoyens britanniques désireux d’abréger leur vie.

Certains députés, dont Lord Joffe, font pression pour introduire une loi anglaise sur la mort assistée «pour les gens en phase terminale, et mentalement sains d’esprit». La presse anglaise se fait l’écho du phénomène du tourisme de la mort de patients anglais en fin de vie, désirant mettre fin à leur existence et ne pouvant le faire au Royaume-Uni. Ces patients viennent en Suisse dans l’une des deux «cliniques» ouvertes par l’association d’aide à la mort assistée, Dignitas. Le débat prend un tour national après la visite «secrète» en Helvétie, au début de cette année, de parlementaires britanniques réunis au sein d’une Commission politique examinant les propositions de changement de la loi anglaise sur l’euthanasie.

Le problème ne fait que croître, déclare la directrice de l’association anglaise VES (The Volontary Euthanasia Society): «Nous devons trouver notre propre réponse en Angleterre». Bien que le rapport de la Commission n’ait pas encore été rendu public, on sait par la presse anglaise que les représentants ont rencontré le procureur général du canton de Zurich Andreas Brunner. Celui-ci, comme le rapporte le quotidien The Observer du 20 mars, a précisé que Dignitas, qui était censé opérer uniquement à Zurich, louait dorénavant une maison dans le canton d’Argovie. Là, l’association aide des gens en fin de vie, surtout des étrangers, à mettre fin à leurs jours. Parmi la vingtaine de personnes à qui l’appartement de Dignitas a fourni une aide au suicide, sept provenaient de Grande-Bretagne, a précisé le procureur Andreas Brunner.

Cinq ou six organisations d’aide à la mort assistée en Suisse

La première organisation d’aide au suicide, Exit, a été fondée à la fin des années huitante en Suisse. «Maintenant nous avons 5 ou 6 organisations de ce type», déclare le procureur Brunner. Il estime que depuis l’année 2000, plus de 30 Anglais ont terminé leur vie en Suisse avec l’aide de Dignitas. Mais le nombre de Britanniques venus dans ce pays pour avoir accès au suicide assisté auprès des différentes organisations existantes pourrait être bien plus élevé.

Dignitas a aidé 93 personnes a mettre fin à leur vie en 2003, «parmi lesquelles seulement deux étaient Suisses», affirme le procureur zurichois cité par The Observer. En tout, depuis la création de Dignitas jusqu’au début février de cette année, il y aurait eu 362 suicides assistés.

Le procureur zurichois a encore averti que le phénomène devenait difficile à contrôler, avec l’accroissement de ces touristes particuliers, venant chercher la mort en Suisse. Il met en avant également le nombre croissant de médecins prescrivant et administrant l’ordonnance léthale. «Ils donnent le produit léthal et disparaissent. Certains partent et ne s’occupent plus de la suite».

L’association britannique VES pousse à l’adoption d’une loi anglaise qui donnerait des «garanties, du choix et de la transparence aux gens qui souffrent de manière insupportable». Les opposants prétendent, eux, que tout changement de la loi actuelle, très stricte, mettrait les médecins sous pression. «Les médecins sont là pour sauver des vies et non pour les supprimer», déclare le porte-parole du groupe contre la mort assistée Life. VB

Encadré

En Suisse, un dossier gelé et deux démarches en cours

Quelle est la situation légale en Suisse? Ce pays est l’un des rares au monde qui ne punit pas le suicide assisté. En effet, l’art 115 du code pénal ne punit pas l’assistance au suicide s’il n’y a pas de motif intéressé à cet acte. Interviewé par l’Apic, l’ancien conseiller national Victor Ruffy, qui a déposé en 1994 la première motion sur l’assistance au suicide, fait le point de la situation dans notre pays.

Au niveau parlementaire, la motion Ruffy a été reprise par le député Franco Cavalli. Une discussion a eu lieu en 2001 au Conseil national, suivie d’interventions contradictoires. «Certains voulant même réviser l’article 115 du code pénal». Actuellement le dossier est au département fédéral de Justice et Police dirigé par Christophe Blocher.

Le groupe de réflexion politique romand A Propos, dont fait partie Victor Ruffy, a mis en route deux démarches pour sortir la question du placard où elle est actuellement. «Nous réfléchissons à la possibilité d’inscrire des directives anticipées concernant l’autodélivrance, dans la carte de santé individuelle». Ce projet de carte de santé sera débattu prochainement au Parlement dans le cadre de la loi sur la formation médicale.

«Nous travaillons aussi sur la possibilité pour les membres d’Exit, (Association pour le droit de mourir dans la dignité), qui se trouvent dans des EMS (établissements médico-sociaux) de bénéficier de l’autodélivrance par des accompagnateurs d’Exit».

Suisse alémanique/Suisse romande: un libéralisme divers

Victor Ruffy met le doigt sur la différence, face à cette importante question éthique, entre la Suisse alémanique et la Suisse romande. Il y est question «d’entraves administratives» de l’autre côté de la Sarine, pour l’ex conseiller national. En particulier, l’autopsie complète est pratiquée, dans le canton de Zurich, pour les personnes ayant choisi le suicide assisté avec Dignitas ou une autre association.

Ce processus de médecine légiste complet «rend la mort assistée très coûteuse». «Et cela dépend du procureur Brunner, qui n’est pas favorable à l’action des associations d’autodélivrance», confie Victor Ruffy.

Il ajoute: «Dans le canton de Vaud, l’autopsie a été réduite au minimum dans ces cas. Il faut pour cela une demande préalable de la famille et des accompagnateurs auprès de la justice vaudoise», précise-t-il. VB

Encadré

Dignitas, sorti du giron d’Exit

L’association Dignitas est née d’une scission avec l’association Exit. Ludwig Minelli, un avocat d’une septantaine d’années, a fondé Dignitas en 1998. Il résume le processus du suicide assisté: «Un médecin prescrit une ordonnance, mais c’est la personne qui veut se suicider, et elle seule, qui met fin à ses jours». A Zurich, dans l’appartement de Dignitas, le patient est assisté par une infirmière, entièrement bénévole, qui aide la personne à se suicider. Elle s’assure de sa détermination à mourir, soutient les proches s’ils sont là et prépare le mélange, à base de penthiobarbital de sodium dilué dans de l’eau. Elle ne l’administre jamais elle-même. Dignitas souhaite la présence de la famille : «La plupart des gens viennent accompagnés, d’autres malheureusement pas.»

«Depuis que l’association existe, j’ai rempli huit classeurs, confiait-il au journaliste Pierre Hazan en octobre 2002. Cent trente personnes sont mortes avec notre aide et un nombre égal de personnes, qui avaient obtenu de nos médecins une prescription pour se suicider, ont préféré mourir de mort naturelle. Mais elles étaient rassurées de savoir qu’elles peuvent quitter ce monde quand elles le décideront.» (apic/observer/pierrehazan/vb)

21 mars 2005 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 5  min.
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