Bretagne: La langue et la culture bretonnes sous l’aile protectrice de l’Eglise locale
Apic Eclairage
L’évêque de Vannes revendique sa «bretonnité»
Vannes, 11 décembre 2003 (Apic) Démarche peu ordinaire en cet automne de l’évêque de Vannes. Mgr Gourvès, Breton jusque dans la défense de sa langue, vient de publier une longue lettre pastorale consacrée à la défense de la langue et de la culture bretonnes. «Ma démarche, explique-t-il dans une interview accordée à l’Apic, ne s’apparente en rien à un nationalisme breton de mauvais aloi». Son action, assure-t-il, ne se situe pas sur le plan politique, mais uniquement sur une réalité culturelle. Eclairage.
Honnie de la République au XIXe siècle, condamnée à mourir au nom d’une France une, indivisible et laïque, la langue bretonne a malgré tout su résister aux nombreux coups de boutoir. Et surmonter «les hontes» des gens qui en cachaient sa connaissance, un peu à la manière d’une maladie inavouable. Il en aurait fallu cependant bien plus pour la faire disparaître, et empêcher qu’elle refasse surface. Ses défenseurs ont eu raison de certaines volontés politiques. Et avec eux, aujourd’hui, l’Eglise catholique. Qui se pointe au premier rang pour sa divulgation, brisant un silence de plus de 70 ans.
L’évêque de Vannes, Mgr Gourvès, Fanch-Mathilin de son prénom en breton, ou François-Mathurin pour ceux qui ne le parleraient pas, vient en effet de lancer un appel en faveur de la culture bretonne, dans une lettre pastorale adressée aux ouailles de son diocèse, dans le Morbihan. L’occasion d’évoquer ce qu’il y a de plus Haut pour mettre culture et langue sous une divine protection: «Il y a sûrement une place au soleil de Dieu pour la langue bretonne dans une perspective de fidélité et d’ouverture. Nos ancêtres ont chanté et prié en breton, nous pouvons estimer légitime d’en faire autant».
L’évêque de Vannes, l’un des cinq diocèses bretons, donne d’emblée le ton, aussi sur les sentiments qui l’animent: «Au début du troisième millénaire, j’éprouve une certaine fierté à me compter parmi ceux dont la langue maternelle est le breton. A ce titre, et comme évêque de l’un des diocèses en Bretagne, il m’a semblée opportun d’entrer en dialogue avec les hommes et les femmes qui sont attachés à la culture bretonne. Une culture qui doit conserver toute sa place dans le contexte de la mondialisation en cours».
L’âme bretonne
Le plaidoyer du prélat pour cette langue s’inscrit dans un large mouvement de fond qui travaille «l’âme bretonne». «L’Eglise ne peut y rester indifférente», peut-on lire dans sa lettre pastorale d’une dizaine de pages publiée cet automne. Pour l’évêque, les chrétiens doivent donner à la langue et à la culture bretonnes la place qui leur reviennent lors des cérémonies religieuses: offices dominicaux, baptêmes, obsèques, mariages. Cela, dit-il, nécessitera un travail liturgique et musical.
La place du breton dans l’enseignement est largement plébiscitée par le prélat. «Un bilinguisme réel devrait pouvoir progresser». En ce sens, «l’école catholique doit accentuer son effort», et continuer à prendre les mesures utiles pour permettre à tous les enfants et jeunes des écoles, collèges et lycées de pouvoir accéder à cette langue et à cette culture. De fait, la scolarisation bilingue a enregistré une large croissance ces dernières années pour ce qui est des écoles catholiques de la région. La rentrée scolaire 2002 a enregistré un accroissement de 16% de ses effectifs en Bretagne.
Dans le domaine de la communication, Mgr Gourvès, estime nécessaire de veiller à la diffusion de certains programmes en langue bretonne. A commencer par les moyens de communication liés à l’Eglise. Le jeu en vaut la chandelle: «Beaucoup de Bretons, d’ici ou d’ailleurs, sont à la recherche de leurs racines, un nouvel élan est perceptible».
Résistance à une mort programmée
La lettre pastorale de l’évêque de Vannes s’inscrit dans le cadre d’une longue résistance à une mort programmée du breton, à laquelle rêvaient certains politiques de Paris ou d’ailleurs. Mgr Gourvès cite à ce propos une des déclarations les plus nettes dans ce sens, qui remonte au 19 juillet 1925. Ce jour-là, Anatole de Monzie, inaugurait le pavillon de la Bretagne à l’Exposition Universelle. Ministre de l’Instruction publique, il affirmait: «Pour l’unité linguistique de la France, la langue bretonne doit disparaître». Toute une doctrine est résumée en une seule ligne, déplore aujourd’hui le prélat, «celle d’un Etat centralisé et unitaire auquel répugnait la diversité linguistique et culturelle de ses régions et qui ne voulait reconnaître qu’une langue comme ciment unificateur». Le breton devient une langue honteuse à exprimer. Les parents n’osent plus le parler devant leurs enfants. Pas étonnant qu’elle s’oublie.
Par la suite, d’autres hommes politiques ne manqueront pas de rappeler l’affirmation du ministre au nom d’un dogmatisme qui paraît, au moins de nos jours, estime l’évêque, rigide et dépassé. En tout cas, force est de constater que la plupart des enseignants, ceux de l’école publique comme ceux de l’école catholique, entrèrent dans le jeu du pouvoir central, sans se poser trop de questions, semble-t-il. Y compris «nos Eglises diocésaines», déplore Mgr Gourvès, qui durent s’adapter à cette nouvelle réalité. Le constat de l’évêque est amer: «On cessa de catéchiser et de prêcher en breton, même là où la nécessité ne s’imposait pas. On n’utilisa plus cette langue que par intermittence, dans quelques sanctuaires privilégiés. Quant aux jeunes prêtres de cette époque, ils maîtrisaient mal ou pas du tout le parler breton, faute d’y avoir été préparés en famille ou au séminaire».
L’Ecole Diwan
Dans les années 30, la contestation régionale était essentiellement menée par la droite catholique, rurale et conservatrice. Les dérives de certaines personnalités sous l’occupation provoquèrent un malaise dans l’Eglise. Ce qui explique sans doute le silence de l’Eglise que l’évêque de Vannes vient pourtant de briser. «De façon plus ou moins inconsciente, nous gardions le souvenir de certaines dérives du temps de l’occupation, qui nous mettaient mal à l’aise pour la défense de la cause bretonne», admet l’évêque dans sa lettre.
Mais la grande rupture viendra dans les années 50, même si le problème avait commencé à se poser dès la fin du 19ème siècle avec l’enseignement du français dans toutes les écoles, puis l’interdiction – sous peine de punition – d’y parler breton. «La langue bretonne, pensait- on, ne pourrait être qu’un obstacle à la réussite sociale, tant était fort le sentiment de honte».
En septembre 1978, à Lorient, l’Ecole Diwan prenait naissance, pour redonner au breton un souffle et un vernis culturel. Les premiers enfants découvraient dès la maternelle une partie de leur patrimoine sous la forme du B.A. BA de cette langue lors de la rentrée scolaire. 25 ans après, des enfants l’apprennent dans les Ecoles Diwan ou les filières bilingues publiques ou privées, au nombre de 2’500 pour la seule région du Morbihan. Des jeunes préparent des licences, des maîtrises et des doctorats en breton. Des adultes, près d’un millier dans ce même département, suivent des cours du soir, souvent soutenus par les municipalités. Mais l’école Diwan est loin de connaître le succès prédit alors. Avec plus de 3’000 enfants et adolescents qui étudient le breton pendant leur scolarité, les établissements catholiques sont désormais proches, en nombre, du public et des Ecoles Diwan.
Pour l’évêque de Vannes, c’est une richesse à protéger, «alors que se précise la menace d’une uniformisation linguistique à l’échelle de la planète». Et de citer ces chiffres: aujourd’hui, 96% de la population mondiale parle 4% des langues existantes. Mais 90% des 5’000 à 7’000 langues en usage sont menacées de disparition d’ici un siècle, selon des prévisions de l’UNESCO. PR
Interview de Mgr Gourvès
Apic: Qu’est-ce qui a motivé cette lettre pastorale?
Mgr Gourvès: Je suis Breton. Et le breton est ma langue maternelle. Ensuite, dans mon diocèse, j’essaie d’être à l’écoute des hommes. Ce n’est d’ailleurs pas ma première lettre pastorale, il y en a eu plusieurs: aux agriculteurs à la suite d’une visite pastorale dans le monde agricole; une autre adressée aux personnes qui travaillent dans l’agro-alimentaire, également après une visite pastorale. Sans parler de mes prises de position sur la situation économique. En d’autres termes, j’estime qu’il m’appartient d’être à l’écoute des réalités des personnes qui vivent au coeur des événements et des problèmes, y compris le renouveau, certes un peu inattendu, de la culture bretonne sous toutes ses formes: musiques, chants, art. et en particulier de notre langue. Je rappelle également l’insistance mise par Jean Paul II pour la défense des cultures minoritaires.
Apic: Vous êtes le seul évêque en Bretagne à parler breton et à avoir été élevé dans cette région. Que pense vos collègues de votre initiative?
Mgr Gourvès: Ils sont tout-à-fait d’accord avec moi. J’en avais d’ailleurs parlé avec eux avant la publication de ma lettre.
Apic: Et la Conférence des évêques de France, à Paris?
Mgr Gourvès: Les évêques ont toute liberté d’expression. Je trouve du reste que les évêques ne s’expriment pas assez en dehors de l’expression collective. Principalement sur les problèmes qui touchent leurs diocèses.
Apic: Vous êtes de ceux qui estiment que le Paris politique n’a pas assez fait pour promouvoir le breton?
Mgr Gourvès: Mon action ne se situe pas sur le plan politique, mais uniquement sur une réalité culturelle qui m’interroge en ma qualité d’évêque. Je pense à la jeune génération que nous avons déjà du mal à rejoindre.
Apic: Pour les associations de défense de votre langue, votre démarche est du pain bénit.
Mgr Gourvès: Là aussi, j’ai pris en compte ma liberté d’évêque parce que j’ai pensé que le moment était venu pour m’engager. Les associations, les plus diverses et toutes orientations confondues, ont accueilli unanimement mon initiative. PR
Encadré
Les recommandations du pape Pie IX
Depuis les origines de la Bretagne, la foi a suscité, à la pointe occidentale de l’Europe, un patrimoine religieux original fait d’églises, de chapelles, de fontaines et de calvaires, qui a évolué au long des siècles et a intégré sans effort les influences venues du reste du monde.
A propos de cette langue, Mgr Graveran, alors évêque de Quimper et de Léon, en visite «ad limina apostolorum» à Rome en 1847, s’entendit dire par le pape Pie IX: «Gardez, gardez comme la prunelle de vos yeux, cette vieille langue qui garde votre foi». Pendant une vingtaine d’années, de 1865 à 1884, parut un hebdomadaire entièrement en breton, au titre significatif «Feiz ha Breiz» (»Foi et Bretagne»). Il abordait tous les problèmes qui pouvaient intéresser une population rurale attachée à sa terre, à sa foi catholique, à sa langue, à son Eglise. En Basse-Bretagne, on disait du reste volontiers que «Ar brezoneg hag ar feiz zo breur ha c’hoar e Breiz» (»le breton et la foi sont frère et soeur en Bretagne»).
La revue réapparaîtra entre 1899 et 1943. Longtemps dirigée par l’abbé Yann-Vari Perrot, elle se préoccupait davantage des dangers qui menaçaient déjà la langue, la foi et l’identité des Bretons. Il en alla de même dans les diocèses de Saint-Brieuc et Vannes, avec d’autres revues, telles que «Dihunamb», fondée pour les bretonnants du Morbihan. (apic/pr)