apic/»Encyclique cachée»/Pie XI/Condamnation de l’antisémitisme

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APIC – Interview

L’»Encyclique cachée» sur l’antisémitisme, ou le (091095)

parcours du combattant d’un moine bénédictin belge

Un «historien d’occasion» dévoile un pan d’histoire de l’Eglise

Maredsous, 9octobre(APIC) Alors que le pape Jean Paul II confirme qu’il

met la dernière main à une encyclique consacrée à l’holocauste et à l’antisémitisme, le public découvre enfin l’existence d’un ancien projet jamais

publié d’encyclique destinée à dénoncer solennellement l’antisémitisme et

le racisme.

Commandé par le pape Pie XI à trois Pères jésuites en 1938 et jamais publié, ce texte est certes considéré comme «primitif» par les théologiens

d’aujourd’hui, car il n’est pas exempt de relents d’antijudaïsme. Mais en

1939, «c’était très certainement un texte courageux, qui aurait été très

mal vu par les nazis, provoquant peut-être des complications diplomatiques», affirme l’un des auteurs, le moine bénédictin G. Passelecq.

Je suis un «historien d’occasion», plaisante le Père Georges Passelecq,

moine à l’abbaye de Maredsous (Belgique) depuis 70 ans. N’empêche que ce

Bruxellois d’origine, à 86 ans, vient de couronner dix ans de travail par

la publication ces jours-ci à Paris d’un ouvrage qui pourrait être un succès de librairie: «L’Encyclique cachée de Pie XI – Une occasion manquée de

l’Eglise face à l’antisémitisme», aux éditions La Découverte (Préface

d’Emile Poulat, 321 pages).

Ce livre, qui a coûté près de dix ans de recherche, a été réalisé en

collaboration avec un de ses amis juifs belges, l’historien Bernard Suchecky, d’origine polonaise. Passionné depuis toujours par les relations judéochrétiennes, le Père Passelecq aidait, dès 1935, les juifs expulsés d’Allemagne lors des premières persécutions nazies, en constituant des réseaux

d’aide pour cacher les fugitifs. Georges Passelecq est secrétaire de la

Commission nationale belge pour les relations avec le monde juif, dépendant

de la Conférence épiscopale de Belgique.

APIC:Comment peut-on expliquer que l’»encyclique cachée» sur l’antisémitisme, commandée en juin 1938 par le pape Pie XI à trois jésuites et qui

aurait dû porter le titre «Humani generis unitas», a mis si longtemps pour

être connue du public.

P.Passelecq:Simplement parce qu’on l’a cachée… Le Vatican ne l’a pas

laissé sortir. Depuis le 9 février 1939 (Le pape Achille Ratti, Pie XI, allait mourir subitement dans la nuit du 9 au 10 février 1939, ndr.), ce

document est caché dans les armoires du Vatican.

APIC:Cette disparition n’est-elle due aux circonstances, c’est-à-dire aux

bouleversements provoqués par la disparition soudaine de Pie XI?

P.Passelecq:C’est plus grave que cela. Il a été volontairement mis en

lieu sûr, c’est très probable, mais je ne peux affirmer avec certitude

quelque chose dont je n’ai pas la preuve matérielle. Il reste que le document était logiquement sur la table du pape le jour de sa mort; l’après-midi, il n’était plus là. Quelqu’un l’a fait disparaître, on peut penser à

quelqu’un de très proche du pape! De toute façon, le cardinal Eugenio Pacelli, le pape Pie XII qui a succédé à Pie XI, devait évidemment en connaître l’existence. Le pape Jean XXIII en a lui-même parlé, dans un discours,

où il en emprunte des éléments de citations. Ce document existe bel et bien

au Vatican.

L’intention de Pie XI était de le sortir en mai 1939 et il est mort en

février et personne n’a repris son héritage. A l’époque, les proches collaborateurs du pape – ils sont entretemps tous morts – étaient certainement

au courant et auraient dû soumettre le texte à Pie XII, qui lui a succédé

quatre semaines plus tard. Il est plus que certain que Pie XII en était informé, étant donné qu’il était en ce moment-là secrétaire d’Etat et nonce à

Berlin. Il apparaît que le pape Pacelli ne s’en soit pas servi, sauf peutêtre dans une allusion qui se trouve dans sa première encyclique qui devait

être à propos du sacerdoce.

APIC:On ne peut donc plaider la négligence, imaginer que le document ait

pu disparaître ou être égaré…

P.Passelecq:Non, puisque quand on demande actuellement au Vatican de le

consulter, il refuse, en disant que les archives ne sont ouvertes que jusqu’à l’année 1922. J’ai demandé moi-même de voir ce projet, on me l’a refusé. Il en a été de même auprès des archives des jésuites à Rome, qui en

possèdent une copie. Ils ont déclaré qu’ils s’alignent sur le Vatican pour

la consultation des archives. On ne peut pas dire que l’on nous a facilité

le travail.

Nous possédons cependant le texte, puisque nous avons retrouvé l’original en français et en anglais dans la succession de deux des auteurs, le

jésuite américain John LaFarge, décédé en 1963, et le jésuite français Gustave Desbuquois. Un journal américain, le National Catholic Reporter, a publié un article sur cette question en décembre 1972. J’étais alors à New

York, et c’est là que j’ai découvert cette affaire. Nous n’avons le document complet que depuis quelques mois. Nous sommes allés le chercher aux

Etats-Unis, où il existe sur microfilm. Un confrère jésuite a microfilmé

les documents du Père LaFarge.

Pour réaliser notre livre – «L’Encyclique cachée de Pie XI», avec le coauteur Bernard Suchecky, bibliothécaire à la Bibliothèque municipale de

Strasbourg, nous nous sommes mis à la tâche dès 1985. Il y a à peu près dix

ans de travail et beaucoup d’obstacles. Le microfilm – à partir duquel nous

publions dans notre livre l’original du document, sans aucune modification

ni commentaire – contient aussi la correspondance entre les auteurs respectifs du texte, les Pères John LaFarge et Gustave Desbuquois et le jésuite

allemand Gustav Gundlach.

APIC:Certains pensent aujourd’hui qu’il est mieux que cette encylique

n’ait pas été publiée, étant donné qu’elle contenait encore des relents et

des préjugés antijuifs…

P.Passelecq:Il aurait fallu la publier. Certes, à l’instar des autres

théologiens d’aujourd’hui, nous considérons ce document comme étant encore

très primitif, mais cependant très courageux pour l’époque. Car c’est un

document historique que personne ne connaissait et qui représente un exposé

de la mentalité de l’Eglise catholique à propos du judaïsme et des juifs.

Bien qu’il fasse des réserves sur le traitement des juifs en général, il

s’opposait courageusement à toute persécution. (apic/propos recueillis par

Jacques Berset)

9 octobre 1995 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 4  min.
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