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APIC -Interview

Hans Küng : «Pas de paix mondiale entre nations, (220595)

sans paix entre les religions»

S’ouvrir à l’universel sans tomber dans le syncrétisme

Propos recueillis par Jean-Claude Noyé, APIC

Paris, 22mai(APIC) Le théologien suisse Hans Küng, estime que les grandes

religions devraient, en vue de la paix mondiale, proclamer ensemble une éthique commune pour l’an 2’000. Lors d’une entrevue accordée aux journalistes d’information religieuse à Paris, le théologien s’est entre autres exprimé sur ce que constitue, à ses yeux, les avancées et les obstacles du

dialogue interreligieux . Abordant aussi sa vision personnelle de l’euthanasie, Hans Küng continue de critiquer certaines positions de l’Eglise catholique, reconnaissant toutefois à Jean Paul II des actions positives,

notamment la rencontre interreligieuse d’Assise et sa contribution importante dans la chute du communisme dans les pays de l’Est.

APIC: Pourquoi votre demande actuelle d’une éthique commune des grandes

religions, en particulier du christianisme, du judaïsme et de l’islam?

H.K.: Ma théologie n’est pas programmée à l’avance, elle suit les circonstances historiques. Depuis le début des années 80, je me suis attaché à

étudier les diverses religions du monde et il m’est apparu que l’accord entre elles sur des questions éthiques est plus grand que sur des questions

dogmatiques. D’où cette réflexion d’aller vers une éthique commune soutenue

par toutes les religions et par les non-croyants si la formulation est adéquate. D’où aussi le thème de mon livre, paru en 1991: «Projet d’éthique

planétaire» qui n’est pas seulement théorique: les musulmans, juifs et

chrétiens de Sarajevo ont pris ce document comme base de réflexion commune

en vue d’un nouveau dialogue. Dans un contexte de désorientation morale au

niveau du monde entier, une idée-maîtresse se dégage de plus en plus: il

n’y a pas de paix mondiale entre les nations, sans paix entre les religions. L’émergence du parlement des religions à Chicago et de l’Institut de

recherhe oecuménique que je dirige vont dans ce sens.

APIC: Certaines de vos formulations au sujet de la shoah ou de la légimité

des frontières d’Israël sont très directes. Ne craignez-vous pas une polémique?

H.K.: Je ne dis que la vérité et rappelle, ce faisant, que le problème fondamental pour le judaïsme, c’est le pardon, la réconciliation. C’est un défi à relever tant pour les juifs que pour les chrétiens. J’ai eu aussi des

propos très durs sur Pie XII et l’épiscopat allemand. Mais là aussi je ne

fais que dire la vérité. Pour en revenir au probléme de la paix, il faut

dire que cette dernière mérite que l’on aille au fond des choses. Il faut

savoir par exemple que la question de frontières d’Israël est aussi une

question théologique. Je reproche à la diplomatie internationale de ne faire aucune analyse du point de vue éthique et religieux. Si elle avait pris

en compte que déjà deux paradigmes de la chrétienté s’affrontent historiquement dans l’ex-Yougoslavie, elle eût agi autrement.

APIC: Quelle démarche préconisez-vous pour le dialogue entre les religions?

H.K.: Il faut distinguer dialogue entre religions et dialogue entre confessions. Pour les Eglises chrétiennes, je dirais que l’unité est possible si

l’on procède à l’abolition de toutes les excommunications. Le dialogue interreligieux a pour fin non pas l’unité mais la paix. Je vous renvoie à

«Une théologie pour le 3e millénaire». La position romaine, résumée en gros

par cette phrase: «On a la vérité, mais on veut bien dialoguer», ne me paraît pas très sérieuse. Je crois qu’on peut dire aujourd’hui qu’il y a des

«Sauveurs» divers et des croyances diverses et que fondamentalement il faut

respecter cela. Sans pour autant renier sa foi, auquel cas on n’est plus

crédible. Approfondir sa foi et s’ouvrir aux autres religions ne s’exclut

pas. C’est valable pour tous, juifs, chrétiens, et musulmans. Je rejette

bien sûr le synchrétisme. Il y a encore aujourd’hui en Allemagne un provincialisme théologique qui se traduit par un refus presque total de débattre

du calvinisme et à fortiori des autres religions.

Je dirais qu’aucune tradition religieuse n’est à accepter totalement

comme telle, car chacune a ses points clairs et ses points obscurs. Il faut

accentuer leur dimension universaliste. Dans l’Evangile de saint Jean, par

exemple, il y a des passages très «particularistes» (»Nul ne vient à moi

que par le Fils») mais aussi d’autres passages, très universels. Pour autant il faut des références claires et on ne peut pas bien sûr, ni revoir

le canon des Livres Saints, ni faire l’économie du Nouveau Testament. En ce

qui concerne les fondamentalistes musulmans, je pense qu’il faut parler

avec eux, même si c’est difficile.

APIC: Que pensez-vous de la polémique autour de la visite du cardinal Lustiger en Israël?

H.K.: Mettre en avant les conversions individuelles ne me paraît pas une

solution. Que diraient les chrétiens dans une situation inverse? Il ne faut

pas perdre de vue que l’apostasie, dans les trois religions révélées, est

le crime suprême. De même souligner, en faveur du catholicisme, que des

pasteurs anglicans ont récemment choisi le catholicisme, n’aide pas l’oecuménisme à progresser. Rome a eu tort de stimuler l’opposition des anglicans

conservateurs.

APIC: Mais Jean Paul II a pourtant mis en avant le dialogue interreligieux

avec les rencontres d’Assise notamment?

H.K.: Oui, je crois que c’est le deuxième aspect positif de son pontificat,

le premier étant qu’il a beaucoup contribué à mettre fin au joug communiste

dans les pays de l’Est. Assise est une bonne chose, mais proclamer une éthique commune à toutes les religions pour l’an 2’000 serait plus fort, plus

constructif. Aujourd’hui trop de choses sont considérées à tort par les

catholiques, la papauté actuelle y compris, comme essentielles alors qu’elles ne sont pas inscrites dans la Bible. Le Père Yves Congar m’avait dit

que pour comprendre le catholicisme actuel, il fallait étudier le 11e siècle, moment d’épanouissement du paradigme catholique romain sur lequel on

vit encore. Pour sortir de l’impasse actuelle, il faut revenir à l’essence

même du christianisme et se demander ce que le Christ ferait aujourd’hui.

Serait-il amené, comme le pape actuel, à condamner les divorcés remariés,

l’ordination des femmes au sacerdoce, etc.? Je ne le crois pas.

APIC: Dans votre dernier livre «Mourir dans la dignité», quelles sont vos

réflexions autour de l’euthanasie?

H.K.: C’est un sujet très délicat et sensible. J’y réfléchis depuis 40 ans.

J’ai vu mon frère mourir, avant la trentaine, dans des conditions atroces

d’un cancer au cerveau et me suis dit: «Je ne veux pas mourir comme cela».

Je crois que si la vie est un don de Dieu, l’homme n’en a pas moins une

responsabilité sur elle, responsabilité qui ne s’éteint pas quand celle-ci

se termine. De même la distinction entre euthanasie passive et euthanasie

active est artificielle. Pourquoi une chose et pas l’autre? Qui peut dire

ce que Dieu a déterminé pour nous? Je ne pense pas qu’il ait voulu qu’on

vive dans la plus grande souffrance. Il y a des limites à la valorisation

chrétienne de celle-ci. Je crois en la vie éternelle, sans doute très différente de ce que nous imaginons. Cette croyance, en ce qui me concerne,

relativise les préoccupations concernant les conditions de la fin de ma

vie. (apic/jcn/ba)

22 mai 1995 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 5  min.
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