Zurich: L’évêque Laszlo Tökes dénonce la montée du chauvinisme en Roumanie
APIC – Interview
Les minorités nationales sont persécutées, affirme le «héros de Timisoara»
Zurich, 15juillet(APIC) Alors que les regards sont tournés vers la Yougoslavie, les minorités nationales sont persécutées en Roumanie sans que
personne ne s’y intéresse, lance, désabusé, le pasteur Laszlo Tökes, le
«héros de Timisoara» devenu évêque d’Oradea. De passage en Suisse, où il a
participé à Genève à la Conférence sur les minorités organisée dans le cadre de la CSCE, L. Tökes a affirmé lundi à l’agence APIC qu’en Roumanie
«presque rien n’a changé depuis le temps de Ceaucescu : la nomenklatura,
grâce à la surenchère nationaliste, tient toujours les rênes du pouvoir !».
Aujourd’hui, «même le Parlement, à l’exception notable des députés de la
minorité hongroise, participe au culte du maréchal Antonescu, le dictateur
de la période fasciste durant laquelle des centaines de milliers de juifs
furent exterminés…». La majorité de la presse – «théoriquement libre,
mais souvent aux mains du pouvoir ou de groupes nationalistes extrémistes»
– a également une attitude positive par rapport à Antonescu. Cela va de
pair, affirme-t-il, avec son antisémitisme croissant et sa tendance générale en faveur du nationalisme roumain.
Les deux millions de Hongrois de Roumanie sont les premières victimes de
cette idéologie de la «Grande Roumanie», déclare-t-il. La presse en langue
hongroise (plus d’une centaine de titres), et même un quotidien d’opposition comme «Romania libera» par exemple, ne peuvent lutter à armes égales
contre les grands journaux comme la nationaliste «Romania Mare» ou «Azi»,
le journal officiel du Front de Salut National (FSN) au pouvoir. Plus difficile encore de contrer la toute-puissance de la télévision, sous contrôle
du gouvernement.
Même s’il n’y a pas de censure, il y a d’autres moyens de faire obstacle
à la presse libre : limiter l’allocation de papier ou «saboter» par le
biais de la poste – qui est un monopole d’Etat – la distribution des journaux dérangeants. C’est ainsi que le principal journal en langue hongroise
«Romaniai Magyar Szo», édité à Bucarest, est en crise. Plus d’un tiers du
tirage n’arrive pas à destination, à cause du sabotage de la poste. Son tirage est tombé en quelques mois de 80’000 à 40’000.
«L’Occident ignore le problème des minorités»
«L’Occident ignore encore le problème des minorités», affirme le pasteur
Tökes, président d’honneur du plus grand parti d’opposition en Roumanie,
l’Alliance démocratique des Hongrois de Roumanie (8 % des sièges au Parlement de Bucarest). «Nous considérons pour notre part que les droits des minorités font partie des droits de l’homme, poursuit-il, et qu’ils joueront
un rôle de plus en plus important dans cette dernière décennie du XXe siècle». De l’avis de ce porte-parole de la minorité hongroise de Roumanie, si
l’on ne prend pas cette réalité au sérieux, il risque d’y avoir des conflits d’envergure – pas seulement en Yougoslavie comme c’est déjà le cas mais également en Roumanie et dans les pays voisins.
C’est qu’en Roumanie, la situation est devenue sérieuse : s’il est luimême attaqué et vilipendé dans la presse de Bucarest comme «agent de Budapest», «chauviniste hongrois», etc., relève-t-il, c’est parce que l’intérêt
de ceux qui veulent préserver l’ancien régime est de compromettre et de
«dévaluer» tous ceux qui symbolisent les événements de décembre 1989 et représentent les valeurs de la démocratie et du changement social.
Les attaques et les calomnies sont en fait dirigées non seulement contre
sa propre personne, mais contre les principales figures d’opposition.
Laszlo Tökes relève que l’expérience montre que la distance entre les mots
et les actes est souvent très courte: «Juste après le début de la propagande antisémite a commencé l’extermination des juifs…».
Ainsi, relève-t-il, en mars 1990 à Tirgu Mures, en Transylvanie, après
les attaques verbales des nationalistes roumains – notamment de «Vatra romaneasca» – contre la minorité hongroise, sont venues les atrocités : six
personnes ont trouvé la mort à cette occasion. L’évêque d’Oradea s’inquiète
que le pouvoir à Bucarest joue sur les sentiments anti-hongrois de la population pour asseoir son pouvoir anti-démocratique.
Il estime que les structures de la Roumanie n’ont pas changé, malgré
l’élimination de Ceaucescu. Les élections locales n’ont pas eu lieu et
partout, même à la campagne, les localités sont aux mains de la «deuxième
garniture» de l’ancien régime. La «Securitate» a été incorporée dans la
nouvelle Sécurité d’Etat et près de 70 % des anciens responsables sont toujours en fonction.
A part quelques exceptions pour la consommation extérieure, la plupart
des responsables des atrocités commises sous le régime de Ceaucescu non
seulement n’ont pas été punis, mais on n’a même pas mené d’enquêtes sur
leur compte. Laszlo Tökes affirme qu’il n’y a quasiment pas eu d’épuration
dans l’armée et que partout les représentants de l’ancien système sont restés en place. La surenchère nationaliste était déjà un trait particulier
sous Ceaucescu, «et sous cet aspect, c’était plus un régime de droite qu’un
régime communiste».
Les Eglises minoritaires unies dans l’adversité
Dans cette situation d’adversité, les Eglises minoritaires se sont réunies face à la politique de l’Etat central, soutenu par «l’Eglise d’Etat»,
l’Eglise orthodoxe roumaine dirigée par le très contesté patriarche Teoctist. «Dans le clergé orthodoxe, le mouvement extrémiste ’Vatra romaneasca’
rencontre malheureusement beaucoup de sympathie», lance Laszlo Tökes. Pour
l’évêque d’Oradea, il y a une ligne très claire qui sépare l’Eglise orthodoxe et des Eglises minoritaires comme l’Eglise catholique roumaine (grécocatholique), toujours en butte aux obstacles bureaucratiques, à la répression et à l’hostilité des orthodoxes, l’Eglise catholique de rite latin,
l’Eglise réformée, l’Eglise unitarienne et l’Eglise luthérienne. «En raison
de la situation, nous avons une collaboration étroite entre les Eglises minoritaires et vivons un oecuménisme que nous n’avions pas connu auparavant».
Petre Roman, «figure-clé des actions anti-démocratiques»
En conclusion de son analyse, qui fait peu de place à l’optimisme,
l’évêque réformé Laszlo Tökes met en cause consciemment le premier ministre
roumain Petre Roman, et le président Iliescu, «son complice» : «Petre Roman
est la figure-clé de toutes les actions anti-démocratiques qui se développent actuellement en Roumanie». (apic/be)
Propos recueillis par Jacques Berset
Le cardinal Hamer à Sion (091089)
APIC-INTERVIEW
Sion, 9octobre(APIC) De passage à Sion où il participait à l’assemblée
générale des supérieures majeures de Suisse romande, le cardinal Jean-Jérôme Hamer, Préfet de la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée et
les Sociétés de vie apostolique a confié à l’agence APIC son regard sur la
situation actuelle des vocations dans l’Eglise catholique.
APIC – A l’heure où l’on parle de «crise des vocations» vous êtes optimiste, puisque vous venez de déclarer aux supérieures majeures de Suisse
romande : «La vie religieuse se porte bien». Comment se présente la situation ?
J.-J. H. Lorsque l’on aborde ce sujet il faut être conscient d’une chose :
il existe une géographie des vocations. Celles-ci, peu nombreuses dans le
monde occidental – Europe, Amérique du Nord, Canada -, connaissent une progression plus marquée dans l’hémisphère sud : L’Asie – surtout l’Indonésie,
l’Inde, la Corée et les Philippines -, l’Afrique et l’Amérique latine
voient le nombre de leurs religieux croître plus fortement. que
L’Afrique surtout voit naître des congrégations apostoliques de femmes
qui secondent les évêques. Suscitées par les besoins locaux, elles travaillent dans l’enseignement, la pastorale,… Au Guatemala jamais le séminaire
n’a été rempli comme aujourd’hui.
L’Europe est moins favorisée. Il existe malgré tout des Instituts qui
ont beaucoup de vocations : les Frères de Saint-Jean, qui sont passés en
dix ans de 100 à 200, et les Soeurs de Bethléem, qui, plus anciennes, sont
aujourd’hui 331.
Si l’on considère les statistiques des vocations à l’échelle du monde
données par le Bureau des Statistiques de Rome, le nombre de novices augmente, mais il est encore insuffisant pour assurer la relève : cependant il
y a là un avenir pour la vie religieuse. Mais si l’on regarde le nombre total des religieux, la courbe est descendante, les générations les plus nombreuses étant les plus âgées.
APIC – Quel regard portez-vous sur le développement de la vie religieuse
dans le tiers-monde ?
J.-J. H. L’Eglise pourra compter sur les prêtres, les religieux et les religieuses du tiers-monde. Elle compte d’ailleurs déjà sur eux : actuellement un certain nombre de missionnaires viennent de l’hémisphère sud.
Je conseille très souvent aux supérieures générales d’envoyer des vocations du tiers-monde dans le tiers-monde même. Si on les envoie en Europe,
quelquefois c’est mal compris. Il serait très dangereux de développer les
vocations nationales dans le sens d’un nationalisme religieux. Il faut
donner à toutes les vocations un sens universel et missionnaire. Certaines
congrégations très bien organisées l’ont saisi, qui envoient des vocations
d’Argentine en Afrique, du Burundi au Tchad.
APIC – Quel rôle la vie religieuse a-t-elle à jouer aujourd’hui face aux
défis du monde moderne ?
J.-J. H. Une simple ouverture au monde n’aurait pas de sens. Tout en retournant à l’intuition du fondateur, les religieux doivent répondre aux appels du monde par la communication de l’Evangile. Cela se réalise de différentes façons : par la prédication, la catéchèse, l’enseignement, les oeuvres de bienfaisance.
APIC – Qu’attend l’Eglise des religieux et des religieuses ?
J.-J. H. L’Eglise attend d’eux qu’ils soient des religieux et des religieuses. Les Instituts religieux sont des écoles de sainteté, des écoles
d’amour de Dieu soutenues par les voeux et la vie commune. La diversité des
Instituts traduit la diversité du service de Dieu : vie contemplative,
enseignement, aide aux lépreux, aux drogués.
APIC – Qu’est-ce qui attire aujourd’hui dans les congrégations ?
J.-J. H. Dans le tiers-monde les vocations répondent à toutes les formes de
la vie religieuse. en Occident, c’est la dimension contemplative de la vie
consacrée qui attire : les Frères de Saint-Jean et les Soeurs de Bethléem
par exemple ont beaucoup de vocations l’heure actuelle. Sans doute parce
que les Instituts contemplatifs ont une identité beaucoup plus claire que
les Instituts apostoliques. Les Ordres médiévaux attirent eux aussi beaucoup de jeunes. (apic/cor)