Pierre Reift, responsable de la communication à l’Armée du Salut en Suisse
Apic interview
On ne peut engager un comptable qualifié dans chaque institution
Interview: Josef Bossart / Traduction: Bernard Bovigny
Berne, 6 janvier 2006 (Apic) Sur un montant global de 170 millions de francs, l’Armée du Salut ne consacre que 8 millions, soit 4,7%, aux frais administratifs, y compris la recherche de fonds. Il n’est donc pas question de reprocher, selon le Quartier Général à Berne, d’entretenir une administration disproportionnée, comme l’a fait la directrice de l’institut «Au Coeur des Grottes» à Genève.
Responsable de la communication à l’Armée du Salut à Berne, Pierre Reift a expliqué le 6 janvier dans une interview à l’Apic pourquoi il réfute les accusations émises par la Major Evelyne Gosteli, et reprises par le canton de Genève.
Apic: Le Quartier Général facture aux quatre institutions de l’Armée du Salut à Genève plus de 300’000 francs de frais administratifs pour des prestations comme l’informatique, la comptabilité ou la gestion du personnel. Un montant plutôt élevé .
Pierre Reift: Il faut mettre ce montant en rapport avec le volume d’affaires des quatre institutions du canton de Genève, qui se chiffre à 16 millions de francs. L’Armée du Salut est une organisation nationale, dont la centrale fournit des prestations pour ses institutions dans l’ensemble de la Suisse et les leur facture.
Nous avons adopté un mode de facturation simple, en fonction du pourcentage de l’ensemble du volume d’affaire. Jusqu’à maintenant, nous sommes partis du principe que les autorités cantonales de Genève ont compris nos arguments et sont d’accord avec eux. Apparemment, cela n’est pas le cas. C’est la raison pour laquelle nous recherchons le dialogue avec les autorités genevoises.
Apic: Mais pouvez-vous comprendre que des autorités demandent que leurs subventions à des institutions de l’Armée du Salut dans leur canton soient destinées aux institutions elles-mêmes et non au Quartier Général?
P.R: Non, nous ne pouvons le comprendre. En fait, l’Armée du Salut reçoit des subventions pour des prestations dans le canton et accomplit vraiment ces prestations dans le canton. Et cela, à un prix avantageux! La façon dont l’Armée du Salut fournit des prestations de qualité nous semble secondaire, que ce soit par des apports locaux ou par l’efficacité et la qualité du travail de son organisation centrale. Nous appliquons dans toute la Suisse le même système qu’à Genève et nous n’avons jamais senti de résistances par exemple en Suisse alémanique.
Apic: La centralisation de ces prestations administratives est plus efficace selon vous.
P.R: Naturellement. Et cela concerne en fait les domaines de la finance, de la gestion administrative et de la gestion du personnel. Nous pouvons ainsi assurer une stratégie unifiée. Si nous devions nommer un comptable qualifié dans chacune de nos institutions, cela reviendrait plus cher à l’Armée du Salut et aux cantons qu’une centralisation telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui.
Apic: A la suite des reproches adressés ces dernières semaines à l’Armée du Salut, avez-vous perçu des conséquences parmi les donateurs et bienfaiteurs?
P.R: Jusqu’à maintenant, nous l’avons peu ressenti. Nous avons eu très peu de réactions de gens qui nous auraient dit ne plus vouloir nous verser de dons. Mais il est clair que des questions nous sont posées. Je suis cependant surpris de constater que cela se passe dans un cadre très modeste.
Apic: Comment allez-vous maintenant présenter publiquement votre point de vue?
P.R: En Suisse alémanique, nos arguments ont été assez bien compris. Nous sommes disposés à la plus grande transparence possible et même prêts à accueillir un audit externe pour tout ce qui touche les reproches qui viennent de Genève. Nous pouvons nous reposer sur un bon rapport de l’autorité fédérale de surveillance des fondations. (apic/job/bb)
Rencontre avec Alain Modoux, conseiller de la délégation suisse au Sommet de l’information
Apic – Interview
Frustrations de la société civile, craintes des Etats autoritaires
Jacques Berset, agence Apic
Genève, 25 septembre 2003 (Apic) Alors que se conclut à Genève la troisième conférence préparatoire (PrepCom3) du Sommet mondial de l’ONU sur la société de l’information (SMSI) qui se tiendra du 10 au 12 décembre dans la Cité de Calvin, c’est un peu la «soupe à la grimace» pour la société civile. Décryptage d’un Sommet à hauts risques avec Alain Modoux, conseiller de la délégation suisse au Sommet de l’information.
Jamais auparavant les ONG et autres organisations de la société civile n’avaient été autant associées à la préparation d’une conférence intergouvernementale. Elles craignent pourtant aujourd’hui que l’approche multi-partenariale (gouvernements, secteur privé et société civile) initiée par le SMSI ne soit remise en question. En cause : la très forte pression des régimes autoritaires, voire totalitaires, qui voient d’un très mauvais oeil l’irruption de groupes «dissidents» marchant sur les plates-bandes des prérogatives étatiques. La Chine est en pointe pour barrer l’accès à la société civile, tandis que la Suisse, tradition démocratique oblige, est «tout à fait exemplaire» dans ce processus, lance Alain Modoux.
Ancien sous-directeur général du Programme de l’UNESCO pour la liberté d’expression, la démocratie et la paix, ce fils de cheminot fribourgeois est conseiller de l’ambassadeur Daniel Stauffacher, délégué du Conseil fédéral au SMSI. A une époque où plus de la moitié de la population du monde ne connaît pas la liberté de la presse, il a été l’un des «pères» de la Journée mondiale de la liberté de la presse lancée par l’UNESCO, l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture.
Apic: A l’UNESCO, votre objectif était la promotion et la défense de la liberté d’expression après les polémiques sur le Nouvel Ordre Mondial de l’Information.
A.M.: J’ai passé 12 ans à l’UNESCO, de 1989 à 2001. J’avais pour mission de redonner à cette organisation onusienne son lustre en matière de défense de la liberté d’expression. En effet, tout le travail de l’UNESCO est basé sur la libre circulation de l’information et des idées, un principe au coeur des polémiques qui ont ébranlé l’institution dans les années 80, à l’époque du débat sur le NOMIC (Nouvel Ordre mondial de l’Information et de la Communication). (*)
Je suis connu dans le monde comme un militant de la liberté d’expression. Ce principe est pour moi la condition même de toute activité éducative, scientifique ou artistique. Consacrée dans l’article premier de l’Acte constitutif de l’UNESCO et dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (article 19) dont elle est la pierre angulaire, la liberté d’expression est le préalable indispensable à la connaissance et à la compréhension mutuelle entre les nations.
Dans les débats du SMSI, on s’achoppe à des problèmes récurrents, à savoir: les relations entre le pouvoir et les médias, la volonté de contrôler ou non ce que d’aucuns appellent un «quatrième pouvoir», la critique du rôle et de la manière dont fonctionnent certains médias. Les Etats s’étaient déjà opposés à ce sujet dans le cadre des débats sur le NOMIC.
Apic: On a l’impression que le débat sur le NOMIC refait surface au SMSI.
A.M.: Aujourd’hui, ces problèmes se sont encore accentués par l’évolution des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). Les contraintes de temps et d’espace ont tendance à disparaître et les notions de frontières à s’estomper. Au niveau mondial, les consommateurs et utilisateurs de médias sont toujours plus nombreux. Grâce aux NTIC, des millions d’individus qui étaient cantonnés dans le silence, qui n’avaient aucune possibilité d’expression et n’entendaient aucune autre voix que le discours officiel, découvrent de nouvelles perspectives. Même dans les pays les moins développés, on trouve désormais des cybercafés dans les grandes agglomérations. L’accès à l’information en est facilité.
En raison de ces développements, la situation n’est plus la même que lors du débat sur le NOMIC à l’UNESCO. Il y a 20 ans, la partie se jouait essentiellement au niveau des Etats, la plupart du temps en l’absence de la société civile. Aujourd’hui, les gouvernements jouent un rôle encore important, mais ils n’ont plus le même poids. Dans certains pays, les médias privés ont littéralement «pris le pouvoir». Ils sont devenus une instance quasiment décisive, tandis que les médias d’Etat ont été privatisés ou ont perdu du terrain un peu partout dans le monde.
Les grands médias n’appartiennent pas aux journalistes, mais à des groupes puissants
Il ne faut pourtant pas se faire d’illusion quand on parle du pouvoir des médias: souvent ce n’est pas le journaliste qui le détient, mais ceux qui l’emploient. Les propriétaires des médias ne sont d’ailleurs pas toujours des éditeurs professionnels; il est intéressant de savoir que les plus grands groupes de presse, de radio et de télévision appartiennent à des sociétés qui produisent en même temps des missiles, des avions de combat ou des machines à laver. La race des éditeurs à la fois journalistes et rédacteurs en chef est malheureusement en voie de disparition. Ce qui compte avant tout aujourd’hui, c’est le tirage, l’aspect commercial !
Apic: Au SMSI, on innove avec, pour la première fois, cette notion de multi- partenariat.
A.M.: Le fonctionnement du Sommet est différent du système suisse, où il faut un consensus suffisamment large des acteurs sociaux pour faire passer une loi, sous peine de refus lors d’un référendum. Au SMSI, malgré le multi- partenariat souhaité, personne ne peut sanctionner les Etats. Croyez-moi, si la société civile présente à Genève avait le droit de référendum, les positions des gouvernements seraient certainement censurées plus d’une fois !
Il faut signaler à ce propos que la Suisse a fait un effort plus que louable pour associer la société civile et le secteur privé à la consultation. Des représentants de ces secteurs font partie de la délégation officielle. Personne ne s’en est étonné, car cela fait partie de notre culture politique. Les Canadiens, eux aussi, ont réservé une place importante à la société civile et au secteur privé. Certes, quand on parle de copyright, par ex., il n’y a pas de consensus entre le secteur privé et certaines voix de la société civile, qui souhaiteraient plus d’ouverture.
La position de l’Etat ne peut cependant aller dans tous les sens. Ainsi en matière de copyright, la délégation suisse va défendre la position tenue habituellement par les représentants de la Confédération à l’OMPI, l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle. Après la discussion interne, la position finale sera par définition la même que celle défendue dans les enceintes internationales. Il est possible tout de même que l’intervention de la société civile modifie certains accents, grâce à la dynamique des consultations. Ce Sommet serait merveilleux s’il était à l’image du dialogue instauré au sein de la délégation suisse. Malheureusement, peu d’Etats, même dans le camp occidental, ont une telle pratique.
Apic: On observe en effet une frustration de la société civile, qui se sent écartée des débats sous la pression de certains Etats autoritaires. La Chine est montrée doigt.
A.M.: Remarquons d’abord que ce n’est pas la première fois que la société civile est associée à un sommet de l’ONU. J’étais au «Sommet de la terre» à Rio, mais là, elle était cantonnée à une heure de taxi du lieu où se trouvaient les délégations gouvernementales. Au SMSI, la société civile est au coeur des discussions. Elle a certainement produit davantage de documents – sur bien des points souvent plus professionnels – que les gouvernements. Au plan des idées, l’apport est extrêmement riche. Cela a même réveillé le secteur privé, qui s’est ensuite mobilisé.
Au moment des négociations proprement dites, nombre de délégations gouvernementales ne souhaitent pas la présence de témoins. Les diplomates n’aiment pas négocier sur la place publique, c’est pourquoi la société civile a été écartée, ce qui l’a poussée à réagir. Mais il faut reconnaître d’autre part que ce sont les Etats qui sont effectivement responsables de la mise en oeuvre du résultat des négociations.
Quant au rôle de blocage des délégués chinois, il faut comprendre qu’ils vivent dans un monde totalement différent du nôtre. Ainsi, pour eux, les médias sont des outils aux mains de l’Etat. Ils ont l’influence que les autorités veulent bien leur concéder. Les Chinois font preuve dans ce cas d’une grande cohérence, car chez eux, la société civile n’existe pas de façon autonome: on ne parle que d’une seule voix. En Chine, on n’utilise pas le mot opposition, mais bien celui de «dissidents».
Apic: Si la Chine se profile, d’autres Etats craignent l’émergence d’une société civile…
A.M.: Je tiens à souligner que nombre d’Etats africains défendent farouchement les points de vue de leur société civile, et c’est une très bonne nouvelle. Ainsi, l’Afrique du Sud me semble en totale harmonie avec sa société civile. Par contre, des pays à régime autoritaire se cachent derrière la Chine, qui n’est pas seule. A cela s’ajoute encore la frustration de beaucoup de pays en développement qui attendent depuis des années que l’Occident tienne toutes ses promesses sur les plans de l’aide au développement, de la dette.
Même s’ils partagent certains de nos principes, ces pays veulent aussi montrer que chez eux, les priorités sont ailleurs. Ils nous attendent au contour lors des négociations sur le financement de la mise en place de la société de l’information. Il est clair que s’il n’y a rien de concret dans le Plan d’action du SMSI, les frustrations des pays du Sud à l’égard de l’Occident – qui détient tout de même l’essentiel des nouvelles technologies – ne feront qu’augmenter.
Apic: La PrepCom3 s’achève ce vendredi, mais ni la Déclaration de principes ni le Plan d’action sont prêts.
A.M.: Ici, on a plutôt déblayé le terrain et identifié les problèmes où l’on n’est pas d’accord. A mon avis, il n’est pas nécessaire d’organiser une nouvelle conférence à 2’000 participants comme celle-ci. Il faudra plutôt mettre sur pied une négociation avec les pays clés, en consultation avec la société civile là où les pays jouent le jeu.
Entre septembre et décembre, des «sherpas» – commis placés à un haut niveau de la hiérarchie des Etats – vont négocier discrètement. Le 10 décembre, on aura un document final auquel on ne pourra plus toucher. Mais pour le moment, les points de désaccord (entre parenthèses dans les documents sur lesquels travaillent les délégations) forment encore une bonne partie du texte de la Déclaration de principes et du Plan d’action.
Le travail de ces prochains mois consistera à rapprocher les points de vue. En cas d’impossibilité, des paragraphes entiers finiront dans la corbeille à papier. Le document final n’aura plus de parenthèses, mais les textes sur lesquels on n’aura pas obtenu de consensus auront certainement été évacués. Il faut tout faire pour éviter que les documents finaux ne deviennent d’une rare banalité parce que l’on a voulu se contenter du plus petit dénominateur commun entre les Etats.
Je vois dans cet important travail un rôle pour la Suisse: en effet, ce n’est pas l’UIT (L’UIT – Union internationale des télécommunications -, une organisation technique, a été chargée de diriger les préparatifs du SMSI, organisé sous le haut patronage du Secrétaire général de l’ONU) qui est en mesure de le faire. C’est une tâche qui revient au pays hôte. La Suisse ne peut se permettre que ce Sommet de Genève échoue. JB
Encadré
La société civile réagit à un document «technocratique et médiocre»
Réagissant mardi lors d’une conférence de presse à Genève, des représentants de la société civile ont vivement réagi face au nouveau projet de Déclaration émanant des délégations gouvernementales, publié le 19 septembre. Sur les 86 recommandations élaborées par des groupes de la société civile, plus de 60% ont tout simplement été ignorées. La plupart des autres ont été délayées dans des formules plus générales et moins contraignantes, et surtout laissées entre parenthèses, ce qui signifie qu’elles peuvent encore être abandonnées.
Les représentants de la société civile ont qualifié le document de «technocratique et médiocre», mettant au centre les intérêts du business – notamment en insistant sur la propriété intellectuelle – avant ceux des individus et des communautés. Ils déplorent qu’il n’y ait quasiment plus aucune mention des pauvres, des groupes marginalisés, des droits des travailleurs et des droits de l’homme en général. Les médias communautaires ne sont même plus mentionnés, alors que leur existence avait pourtant été reconnue et promue par le «caucus» des médias.
Ayant déploré dans un communiqué le «haut degré de méconnaissance» de la part des gouvernements, qui – en s’écartant du principe de multi- partenariat – se privent de l’expertise de partenaires qualifiés, les membres du bureau de la société civile se sont fait rappeler à l’ordre mardi matin par des représentants gouvernementaux peu habitués à se faire ainsi interpeller. Lors de la conférence de presse, les responsables de la société civile ont préféré souligner que le dialogue restait ouvert et que des ouvertures leur avaient été laissées par les gouvernements. Ils ont toutefois mis en garde contre l’échec du SMSI au cas où les gouvernements continueraient à passer outre aux demandes de la société civile. JB
Encadré
Alain Modoux, le plus haut fonctionnaire suisse du système des Nations Unies
Avec sa nomination au poste de sous-directeur général de l’UNESCO, Alain Modoux devenait en 1999 le plus haut fonctionnaire suisse du système des Nations Unies. Originaire de Promasens, dans le canton de Fribourg, A. Modoux est né le 13 mai 1941 à Berne, avant de suivre ses parents à Vevey. Après des études à l’Institut des Sciences sociales et politiques de l’Université de Lausanne et à l’Institut Universitaire de Hautes Etudes Internationales, à Genève, il entre en 1965 au service du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) en tant que délégué. En 1988, il est nommé membre de la direction du CICR. En 1989, il est engagé par l’UNESCO, à Paris, en tant que directeur de l’Office de l’information du public. Trois ans plus tard, il est nommé directeur de la Division de la communication, puis en août 1997, le directeur général de l’UNESCO lui confie la direction de l’Unité pour la liberté d’expression et la démocratie. JB
(*) Le débat sur le NOMIC, soutenu essentiellement par les pays du tiers monde et le bloc soviétique, avait provoqué dans les années 80 une grave crise au sein de l’UNESCO, que les Etats-Unis, suivis plus tard par la Grande-Bretagne, quittèrent avec pertes et fracas. La volonté de rééquilibrer les flux mondiaux d’information au profit du Sud en octroyant aux Etats des possibilités accrues de contrôle avait été considérée comme un complot des Soviétiques et des pays autoritaires du tiers monde. (apic/be)