Fribourg: Annick de Souzenelle invitée par l’ACAT
Apic Interview
Voie solitaire pour cette mystique inclassable
Par Valérie Bory, Apic
Fribourg, 1er février 2007 (Apic) De passage à Fribourg, invitée par l’Association des chrétiens contre la torture (ACAT) Annick de Souzenelle, auteure d’une douzaine de livres, herméneute, psychothérapeute, qui professe une spiritualité chrétienne puisant à différentes sources, a répondu aux questions de l’Apic.
Apic: Auteure d’ouvrages qu’on pourrait qualifier d’ésotériques, vous avez cherché à faire une synthèse entre une approche critique de la Bible, la connaissance de la kabbale, la tradition orthodoxe, entre autres. Il est difficile de vous attribuer un courant.
Annick de Souzenelle: Permettez d’abord que je dise que je ne suis pas d’accord avec le mot ésotérisme, qui est un mot très piégé. Si l’on entend par ésotérique la mystique des profondeurs, d’accord. Mais ce n’est pas ce que l’on entend généralement. On comprend plutôt New Age et un peu n’importe quoi. Le domaine dans lequel je travaille est tout ce qu’il y a de plus scientifique. Je ne travaille que sur les textes, plus précisément sur la Bible en hébreu – Je suis hébraïsante. De grands kabbalistes juifs reconnaissent mes travaux.
L’hébreu peut se lire sur 70 niveaux de lecture. Je m’aperçois que nos traductions de la Bible, de la Torah en particulier sont au tout premier niveau et très insuffisantes. Surtout en ce qui concerne l’aspect anthropologique: Avec l’histoire d’Adam, par exemple, qui n’a rien à voir avec l’histoire d’un premier homme. Il s’agit de l’histoire de l’humanité, de vous, de moi.
Apic: La manière dont La Bible a traduit l’histoire d’Adam n’est pas juste?
Annick de Souzenelle: Non elle ne l’est pas. Parce que les premiers chapitres du livre de la Genèse sont uniquement mythiques. Et le mythe parle de l’intériorité de l’homme et pas de son histoire extérieure. «Au commencement Dieu créa les cieux et la terre»: on est dans un historique qui ne convient pas du tout à ce qui est écrit. Il n’y a pas de femme issue de la côte d’Adam, c’est une erreur. Il ne s’agit pas d’une côte, mais de l’autre côté d’Adam, de l’autre côté de vous, de moi, ce que nous appelons aujourd’hui l’inconscient.
Apic: Votre itinéraire est plutôt inhabituel et montre une belle soif de connaissance, sans barrières. Catholique française d’un milieu très bourgeois, vous rompez avec le catholicisme, faites des études de mathématiques supérieures, avant une nouvelle rupture d’itinéraire. Vous devenez infirmière au Maroc. Retour en France, vous êtes prête à rejoindre en Inde l’ashram de Sri Aurobindo, projet abandonné, car vous faites la rencontre du Père orthodoxe russe Eugraf Kovalevski. Puis c’est la découverte de la langue hébraïque. Pourquoi l’hébreu?
Annick de Souzenelle: C’est l’hébreu qui m’a appelée. Dans l’hébreu le mot est le maître de l’idée. C’est une image du verbe divin, une icône. Le message divin nous est donné à travers la lettre et le mot. Ils ne sont pas dispensés comme objets de discours.
Apic: La publication des Apocryphes, qui montrent un autre regard sur le rôle de la femme, et en particulier sur Marie Madeleine, a dû vous plaire?
Annick de Souzenelle: Tout dépend aussi comment c’est interprété. Quand on fait de Marie Madeleine la maîtresse de Jésus, là je ne suis pas du tout d’accord. Le Christ s’est incarné dans l’histoire à un moment précis, mais il est le premier Adam. Il est l’Adam qui n’est pas recouvert de cette tunique de peau qu’est notre inconscient. C’est un être qui arrive en prenant sur lui le péché du monde, mais lui-même en est exempt. Il n’est donc pas dans notre conditionnement de procréation, avec toute la sexualité inhérente à notre monde d’exil. Son expérience de l’amour englobe le nôtre mais se vit à un tout autre niveau.
Apic: Vous voulez dire: exil du paradis?
Annick de Souzenelle: Oui, c’est ça. C’est pourquoi quand Adam est créé mâle et femelle, cela n’est pas au départ l’homme et la femme que nous sommes . Le mot «mâle» est aussi le verbe «se souvenir». Moi Annick, spirituellement, je suis mâle si je me souviens de cet autre côté de moi, du côté féminin de mon être, si je fais croître l’enfant divin que je porte en moi. Ce n’est que dans notre situation tragique de l’exil qu’il y a la pulsion sexuelle de l’homme vers la femme, de la femme vers l’homme, en vue de la procréation, pour se continuer dans les temps historiques en attendant la montée de conscience qui nous conduira à sortir de cet exil.
Apic: Pourquoi tragique?
Annick de Souzenelle: L’exil est tragique. Non la sexualité en soi, qui peut être icône de l’amour. Tragique parce que c’est le serpent qui mène le bal, dans notre monde. A travers la sexualité, complètement dévoyée, à travers le monde de l’argent, de l’avoir, du pouvoir.
Apic: Vos livres sont tout de même assez difficiles. Qui sont vos lecteurs? Vous êtes plus connue hors de votre pays, la France. Où enseignez-vous?
Annick de Souzenelle: J’ai beaucoup de lecteurs. Et ils viennent nombreux à mes conférences. Après ils lisent beaucoup plus facilement. Je suis bien davantage dans l’oral. J’enseigne dans un lieu essentiel pour moi, un Centre orthodoxe en Dordogne, qui s’appelle Sainte-Croix. Je vais aussi au Québec, en Russie, en Ukraine, en Roumanie, en Italie.Je suis aussi souvent invitée par le monde de la médecine en général, suite à mon premier livre, Le symbolisme du corps humain.
Apic: Comment expliquez-vous que votre intelligence rayonne dans des champs aussi divers?
Annick de Souzenelle: Quand vous arrivez à aller dans les profondeurs du message divin, ça s’applique à tout. Tout s’éclaire. Vous avez une clé profonde qui éclaire tout.
Apic: Est-ce une quête de la vérité que vous menez?
Annick de Souzenelle: Nous en sommes tous à cette quête-là, je suppose. Quand j’étais infirmière anesthésiste, j’ai côtoyé beaucoup de souffrance. Ca ouvre tous les domaines.
Apic: Pensez vous que la souffrance a un sens?
Annick de Souzenelle: La souffrance est inhumaine, la souffrance est horrible, la souffrance n’a pas d’ontologie. Elle est consécutive à notre monde d’exil, au fait que nous nous donnons au Satan sans le savoir. En soi la souffrance n’a aucune racine. Ce qui a une racine, c’est l’épreuve. L’épreuve est un passage. Parce que nous sommes des mutants, nous avons à faire des passages dans notre vie. A intégrer ce qui n’est pas encore intégré en nous. La dialectique de l’hébreu encore présente dans le verbe hébreu aujourd’hui, c’est l’accompli et le pas encore accompli. Donc nous avons à accomplir, continuellement.
La souffrance est le résultat des erreurs de l’humanité. Nous vivons à l’envers, parce que nous vivons en obéissant aux lois de ce monde, qui n’ont rien à voir avec les lois divines. Or être chrétien demande un retournement total vers notre intériorité pour obéir à des valeurs tout à fait autres. Ce qui est très désécurisant dans un premier temps. Mais si ci ces mutations étaient faites comme avant l’exil, cela ne devrait pas être accompagné de souffrance. C’est ce que Dieu dit à Adam dans Tu mangeras ton pain à la sueur de tes narines. Jusqu’à ce que tu retournes vers la Adamah (intériorité) dont tu t’es coupé
Apic: J’ai appris à la sueur de ton front.
Annick de Souzenelle: En hébreu, c’est les narines. Parce que Dieu souffle dans les narines le souffle de vie, au 2e chapitre de la Genèse. Et c’est un souffle divin perverti, qui devient sueur. Sueur de l’esclavage.
Apic: Toutes les traditions monothéistes délivrent-elle le même message?
Annick de Souzenelle: Pas seulement monothéistes. Même les Védas, le Tao, le Coran aussi peuvent être lus sur différents niveaux de lecture, selon que la personne va vers son mystère. Et c’est dans ce sens là que nous avons à devenir des mystiques, si l’on veut. A nous ouvrir sur un niveau de conscience qui intègre une autre dimension du réel. Ce que retrouvent d’ailleurs les physiciens de la physique quantique aujourd’hui lorsqu’ils décrivent ces différents niveaux du réel qui sont à l’intérieur de nous. Et le texte qu’on lisait jusque là de manière littérale, tout à coup livre une autre signification. (apic/vb)