Genève: Le Motu proprio, trait d’union entre adeptes du rite tridentin et du nouveau rite

Apic interview

Le pape situe le Concile dans une continuité, et non une rupture

Bernard Bovigny, Apic

Genève, 4 juillet 2007 (Apic) La décision de Benoît XVI de libéraliser la messe en latin était très attendue par les adeptes du rite tridentin. «Lorsque j’ai vu arriver Joseph Ratzinger à la tête de l’Eglise, en 2005, je n’avais pas l’ombre d’un doute», affirme Gregory Solari, directeur des Editions Ad Solem et membre d’une communauté traditionnelle «Ecclesia Dei».

Le Motu proprio, dont la publication est annoncée pour le 7 juillet par le Saint-Siège, ne signifie pas pour autant un rapprochement avec la Fraternité sacerdotale St-Pie X, laquelle est en «complet décalage» sur les questions le l’oecuménisme, de la liberté religieuse et de la lecture du Concile, soutient Gregory Solari, proche de Benoît XVI pour avoir publié son grand livre sur la liturgie. Il a également pu rencontrer le pape et évoquer avec lui la question de la messe en latin.

Apic: Que savez-vous du Motu proprio rédigé par Benoît XVI?

Gregory Solari: Selon mes informations, il ne fera que 4 à 5 pages. Ce sera un document dense, que nous publierons, assorti d’un commentaire.

Aux Editions Ad Solem, nous sommes assez proches de Benoît XVI et nous avons déjà publié son grand livre sur la liturgie alors qu’il était cardinal. Je l’ai rencontré à Rome autour de la question du Motu proprio, en compagnie d’un ami prêtre. J’ai donc pu suivre un peu ce qui se préparait à ce sujet.

Apic: Pouvez-vous confirmer que le Motu proprio libéralisera la messe en latin?

G.S: Oui, c’est absolument confirmé. Il sera laissé aux évêques du monde entier une période pour appliquer le Motu proprio de la meilleure manière possible. Le document aura force de loi, puisque c’est un document canonique, mais il sera respectueux des circonstances dans lesquelles se trouvent les évêques. Toutefois, il leur demande expressément de trouver le meilleur moyen, dans un délai fixé, en vue de le mettre en application.

Apic: Peut-on dire que le mouvement Radical Orthodoxy, dont les ouvrages sont publiés par Ad Solem, accueille cette libéralisation avec joie?

G.S: La plupart des membres de Radical Orthodoxy sont des universitaires anglo-saxons, dont une bonne proportion d’anglicans et une part de catholiques. Tous ont beaucoup réfléchi à la question de la ritualité.

Donc, les anglicans du mouvement accueillent la décision de Benoît XVI avec un regard fraternel, en disant que l’interdiction de la messe tridentine était un faux problème. Cela va clarifier une situation qui était inutilement compliquée et cela va permettre de repenser l’importance de la ritualité, partout dans l’Eglise – dans l’Eglise catholique elle-même par rapport [.] au nouveau rite. Mais également dans les confessions protestantes, qui ont une liturgie se rapprochant de celle des anglicans et des orthodoxes, cela permettra de repenser ce qu’est la ritualité: l’importances des signes, des rites, . Et de ce point de vue, cela les intéresse beaucoup.

Apic: Comment comprenez-vous cette décision de Benoît XVI?

G.S: Je la situe dans le cadre du discours que le pape avait prononcé en décembre 2005 à la curie romaine – que l’on considère comme son discours programme – dans lequel il avait parlé de deux herméneutiques pour recevoir Vatican II: l’herméneutique de rupture et l’herméneutique de continuité. Et il avait affirmé que très vite après le Concile, une herméneutique de rupture avait primé sur la continuité, favorisant ainsi toutes les initiatives permettant de recevoir les textes du Concile de manière dialectique: avant on faisait comme ça et maintenant comme ça. Ou, dit de façon un peu caricaturale: avant c’était blanc et maintenant c’est noir.

Jean Paul II a fait tout ce qu’il a pu durant son pontificat pour rééquilibrer du point de vue de ses actes à lui et de sa personnalité une homogénéité avec ce que l’Eglise était avant, pendant et après le Concile. Et Benoît XVI qui en hérite directement, a d’abord demandé que le Concile et tous les documents soient reçu à la lumière de «l’herméneutique de continuité»: Autrement dit, le Concile n’a rien innové. Il a rectifié des choses et rééquilibré d’autres. Mais tous les conciles le font.

Benoît XVI a donc demandé qu’on ne lise pas le Concile de manière dialectique. La libéralisation du rite tridentin – lequel n’a d’ailleurs jamais été interdit, mais très limité – permet d’affirmer que ce qu’il y avait avant le Concile dans l’Eglise existe toujours. Il est très légitime d’y être attaché, à condition – et j’ai la certitude que le Motu proprio insistera lourdement là-dessus – de recevoir pleinement le Concile, le magistère et la vie de l’Eglise depuis 40 ans.

Car les gens se trompent s’ils croient que le document donnera de l’eau au moulin des traditionalistes, qui ne veulent rien savoir de ce que l’Eglise a vécu depuis 40 ans.

Apic: Vous attendiez-vous à cette décision de Benoît XVI?

G.S: Oui, absolument. J’ai beaucoup lu les ouvrages de Joseph Ratzinger, et j’ai pu le voir à Rome en décembre dernier. La liturgie a toujours été un sujet qui l’a intéressé. C’est un Allemand. Le mouvement liturgique du 20e siècle, qui a beaucoup travaillé cette question jusqu’au Concile, était majoritairement allemand. Et Joseph Ratzinger a suivi de très près ces réflexions, d’abord en tant que théologien à Tübingen, ensuite comme évêque et archevêque. Il connaissait donc tous ces gens et a beaucoup écrit sur la liturgie. Dans ses souvenirs et ses mémoires, il parle de l’amour qu’il avait pour les rites qu’il voyait célébrer. C’est un homme qui est plein d’une piété très populaire. Il avait été très blessé en 69-70, lorsque le rite tridentin avait été supprimé et le nouveau rite imposé. Selon lui, la manière dont les choses ont été faites était très maladroite, très brutale. Cela avait blessé beaucoup de personnes et surtout déclenché des clivages dont on sort un peu aujourd’hui.

Et par ailleurs, lorsqu’il était Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi au Vatican, il était l’interlocuteur principal de Mgr Lefebvre. Il connaissait donc bien les questions liturgiques et les revendications du mouvement lefebvriste. Il savait aussi que la liturgie n’était pas leur première revendication, contrairement à ce que ces gens disent.

Il avait aussi rencontré ceux qui dans l’Eglise – on en parle peu et il faut en parler (j’en fais d’ailleurs partie) – aimaient le rite tridentin, en vivaient dans la pleine communion avec l’Eglise et sans remettre en question le Concile. Il avait visité ces communautés, il avait lui-même célébré en tant que cardinal le rite tridentin. Lorsque je l’ai vu arriver en 2005, je n’avais pas l’ombre d’un doute: il allait réhabiliter le rite tridentin.

Apic: Assisterons-nous rapidement, à votre avis, à une levée des excommunications dont sont frappés les évêques de la Fraternité St Pie X, et ainsi à une pleine communion entre ce mouvement et le Saint-Siège?

G.S: Ah non. Je ne crois pas . En réalité, je ne sais pas à quoi nous allons assister. Ce sont des gens qui ont construit en quelque sorte une Eglise autour d’une foi qu’ils ont réinterprétée à la lumière de ce qu’ils pensaient être la vérité et l’enseignement de l’Eglise. Je considère les communautés lefebvristes comme des communautés quasiment sectaires dans leur état d’esprit. Lorsqu’ils parlent de leur foi et lorsque l’on évoque la libéralisation du rite tridentin, ils se disent: «C’est extraordinaire, enfin l’Eglise va reconnaître notre religion». Nous sommes sur deux continents différents, voire sur deux planètes.

Les discours de Mgr Fellay et de toute la hiérarchie lefebvriste ne vont pas dans le sens d’un rapprochement. Ils vont simplement accueillir le Motu proprio en disant: «C’est bien», mais le vrai problème pour eux, c’est la liberté religieuse, c’est le Concile, c’est l’oecuménisme. Et sur ces questions, faute de prendre en compte l’enseignement du magistère, ils sont en complet décalage.

Apic: La communauté sacerdotale St Pie X le reconnaît elle-même. La liturgie tridentine n’est que la pointe visible de l’iceberg. Tant que les autres questions ne seront pas résolues, la pleine communion n’aura pas lieu .

G.S: Ce que j’ai entendu moi-même de Mgr Fellay confirme la même attitude: Le Saint-Siège fait un pas en avant, et maintenant nous attendons pour voir.

Evidemment il faut une réunification. Mais pas à n’importe quel prix. Prenons l’exemple de l’institut du Bon pasteur. Ces gens vivent une bonne vingtaine ou trentaine d’années en dehors de l’Eglise. Du jour au lendemain, ils réintègrent l’Eglise. Ils commencent alors à nous faire la leçon en nous disant comment lire Vatican II, comment être catholiques, etc . C’est «un peu» insupportable. Mettez-vous à la place des évêques de France et des fidèles comme nous .Un tel afflux dans l’Eglise déséquilibrerait beaucoup de choses. Des mauvaises habitudes ont été prises et il faudra du temps. Mais si le Motu proprio nous permet de nous fréquenter à nouveau, de nous côtoyer et d’arriver au bout du compte à une réunification, tant mieux. Ce serait une bonne chose.

Apic: Donc la première réunification que permettra le Motu proprio est celle qui va se faire entre les fidèles dans l’Eglise catholique qui vivent du nouveau rite et ceux qui vivent du rite tridentin.

G.S: Oui, bien sûr. Les communautés tridentines que l’on appelle «Ecclesia Dei» et qui existent depuis 1988 sont florissantes – et j’en fais partie, il en a cinq en Suisse romande -, elles sont pleines de jeunes et de familles.

Au début elles rassemblaient des gens qui avaient été un peu blessés par le Concile. Elles avaient donc un travers de contestation. Mais maintenant le temps a passé. La moyenne d’âge des fidèles est d’environ trente ans. Ces jeunes sont nés dans les années 70 et n’ont pas connu le Concile. Ils ne proviennent pas de familles traditionalistes et ont découvert cette liturgie par amour du sacré et de la beauté. Il faut dire qu’autour de nous, de belles liturgies il n’y en a pas beaucoup malheureusement.

De plus, il n’y a pas de dialectique dans ces communautés. Personnellement, je ne m’interdis pas d’aller aussi dans les communautés nouvelles, comme chez les frères de St-Jean que j’aime beaucoup, et cela me va très bien.Si ces deux types de catholiques se rencontrent aujourd’hui, on verra de très belles choses se réaliser. La vraie union à faire se trouve là. (apic/bb)

4 juillet 2007 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 7  min.
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