St-Maurice: Le Père René Thalmann, missionnaire au Sénégal, partage son expérience

Apic Interview

Ecoute et dialogue, tout en mettant l’église au milieu du village

Tharcisse Semana, pour Apic

St-Maurice, 2 septembre 2008 (Apic) Des missionnaires en congé se sont retrouvés le 30 août en Valais pour une journée de réflexion et de récollection. Parmi eux, le Père René Thalmann, Missionnaires du Sacré-Coeur, âgé aujourd’hui de 81 ans, a exprimé pour l’Apic ses motivations à oeuvrer au Sénégal et partagé son expérience pastorale dans ce pays majoritairement musulman.

C’est à l’âge de 7 ans que René Thalmann a senti un appel pour la mission. «J’en ai parlé à mon père à 11 ans et il m’a répondu qu’on verra prochainement. L’année suivante, j’ai réitéré avec insistance ma demande. Mon père, un peu triste, me dit: ’’Tu ne vois pas que tu es le seul garçon? Si tu veux vraiment te faire missionnaire, vas-y! Mais, tâche de ne pas me faire honte».

Apic: Père René Thalmann, d’où vous est venu ce «déclic missionnaire»?

René Thalmann: Durant ma scolarité, je recevais souvent des revues missionnaires, notamment sur la Chine. Elles m’ont beaucoup intéressé et motivé. Mon curé lui aussi a soutenu ma vocation missionnaire et c’est lui-même qui m’a envoyé à la chapelle de Saint-Denis. Lors de mon entrée à l’école apostolique à Saint Denis – une école apostolique considérée à l’époque comme un petit séminaire – c’était déjà pour moi décisif.

Après la seconde guerre mondiale, je suis allé au noviciat à Marseille des Missionnaires du Sacré-Coeur, puis à Strasbourg et à Fribourg. J’ai été ordonné prêtre à Fribourg en 1952. Le lendemain, je voulais partir directement en mission, mais le supérieur a refusé. Il m’a nommé professeur dans une école apostolique pour une année. Puis, j’ai à nouveau demandé d’aller en Papouasie. Le provincial m’a catégoriquement répondu que je ne suis pas fait pour les missions.

Quand ce supérieur est arrivé au terme de son mandat, j’ai refait une demande et elle a été acceptée. Je suis parti au Sénégal en octobre 1954, avec quatre autres prêtres. Sur place, Mgr Marcel Lefebvre nous a envoyés dans la paroisse de Kaolak, située le long du fleuve Gambie. Les premiers mois, nous avons étudié les langues locales, wolof et sérère. Puis je me suis installé à 30 km de Kaolack, dans un village appelé Donfane.

J’y suis resté 23 ans. Durant les trois premières années, je ne faisais qu’écouter les gens et les soigner. Ensuite, j’ai ouvert, avec leur consentement, une école en brousse. Comme elle était surpeuplée, j’ai fait appel aux religieuses du Sacré-coeur de Marie pour créer un centre de formation avec internat pour 500 élèves environ.

Apic: Vous n’avez pas côtoyé les musulmans avant d’aller en mission. N’aviez-vous aucune crainte lors de vos premières années à Donfane?

R.T: J’ai été très bien reçu et cela m’a rassuré dès le début. Quand j’entrais par exemple dans une maison du chef de village, celui-ci mangeait toujours une première bouchée de ce qu’il m’offrait. C’était une façon de dire que je n’ai rien à craindre. Je n’ai été reçu d’une façon froide qu’à une seule occasion.

Apic: On a souvent parlé de guerre de libération en Casamance, près de Kaolack. Quel climat y règne aujourd’hui ?

R.T: Il faut tout d’abord bien préciser que cette guerre des rebelles casamançais n’est pas une guerre de religion. Elle n’a rien à voir avec l’islam, contrairement à ce que prétendent certains. C’est une guerre qui s’insère dans l’histoire des anciens royaumes, voire anciens empires. Depuis 1982 avec le Mouvement des forces démocratiques de la Casamance implanté en diola et plus particulièrement en 1991-1992 au lendemain du premier cessez-le feu, on a assisté – jour après jour – à une guerre qui ne dit pas son nom et dont personne ne sait ni quand ni comment elle se terminera. Aujourd’hui le mouvement semble être neutralisé mais on assiste quelquefois aux expéditions irrégulières de bandes armées.

Apic: Quels rapports entretiennent entre eux les communautés chrétienne et musulmane?

R.T: A Kaolack nous vivons en paix avec les musulmans. Il n’a pas d’esprit anti-chrétien. Au sein d’une même famille, on trouve souvent des chrétiens et des musulmans. La consanguinité oblige les membres d’une même famille à avoir une certaine confiance et de la souplesse les uns envers les autres. Et cette mixité est à la base d’un esprit tolérant, d’un respect mutuel et d’une cohabitation pacifique entre les chrétiens et musulmans.

Apic : Existe-t-il des «mariages mixtes» entre chrétiens et musulmans?

R.T: Les chrétiens et les musulmans se marient souvent ensemble. Mais pour la sauvegarde de la foi chrétienne et surtout pour préserver l’harmonie du foyer et l’éducation des enfants, nous conseillons toujours aux chrétiens de se marier plutôt entre eux.

Apic: Que voulez-vous dire concrètement: interdiction ou découragement des mariages mixtes?

R.T: Ni l’un ni l’autre

Apic Et pourquoi ce pyrrhonisme?

R.T: Pyrrhonisme? Pas du tout. Notre démarche pastorale n’a rien avoir avec ce scepticisme que vous évoquez. Nous ne pourrons jamais empêcher les gens de se marier à cause de leur différence de religion. Et le faire serait d’ailleurs aller à l’encontre de l’amour même de Dieu pour lequel nous sommes institués intendants. Mais nous avons constaté que les maris musulmans exerçaient souvent une pression sur leur femme catholique pour qu’elle change de religion. Nous avons donc pris l’option de déconseiller simplement à nos chrétiens de se marier avec les musulmans. Nous n’interdisons donc jamais ni ne condamnons les unions mixtes. Nous ne faisons qu’expliquer à nos fidèles les difficultés auxquelles ils doivent s’attendre au cas où ils optent pour un tel mariage.

Apic: Et si l’Etat intervenait pour interdire les pressions des maris sur leur épouse, donneriez-vous le feu vert complet aux mariages entre chrétiens et musulmans?

R.T: Une fois que le mariage est fait, c’est fini. Il devient une affaire de famille. Le Sénégal est un Etat laïc. Cette laïcité implique le respect de toutes les religions. La monogamie et la polygamie sont, toutes deux, légalement acceptées par l’Etat sénégalais. Les musulmans sont autorisés à avoir officiellement quatre femmes. D’où, en effet, notre insistance pour que les chrétiens choisissent toujours un mariage monogame, ce qu’assure le christianisme.

Apic: Que deviennent les enfants issus du mariage mixte?

R.T: Il y a toujours des arrangements familiaux. Des garçons suivent souvent la religion de leur père et les filles la religion de leur mère.

Apic: Nous avons parlé jusqu’ici des musulmans et des catholiques. Y’a-t-il d’autres confessions ou religions dans la région où vous êtes?

R.T: Les chrétiens issus du protestantisme, notamment les évangéliques, sont présents. C’est une confession récente qui se cherche encore et avec laquelle nous nous entendons bien. Outre les musulmans et les chrétiens (catholiques et évangéliques), il y a aussi les adeptes des religions traditionnelles.

Apic: Les religions traditionnelles – en Afrique et ailleurs – ont été souvent considérées par des premiers missionnaires comme une terre aride n’amenant pas à la rédemption, voire comme un frein à l’accueil du Christ sauveur. Qu’en pensez-vous?

R.T: Les esprits (maléfiques ou bienfaisants) ne peuvent pas disparaître comme ça en Afrique. Les religions traditionnelles se pratiquent encore publiquement. Chez nous il y a des cérémonies rituelles des esprits pangols, diolas, mancagnes…

Un des défis majeurs de l’Eglise catholique africaine est constitué par les religions traditionnelles. Les esprits pèsent encore lourdement sur la conscience des gens. Et si l’Eglise ne lutte pas efficacement et courageusement contre ces esprits qui tiennent en otage même certains de ses fidèles, il y a un risque de syncrétisme religieux.

Ceci étant dit, il y a ceux qui font un choix radical pour le Christ, malgré la pression sociale qui pèse sur eux. Concernant le problème de salut au sein des religions traditionnelles et de l’Eglise catholiques, c’est un problème purement théologique. Saint Augustin disait toujours: ’’il y a beaucoup de gens qui sont dedans qui sont dehors et beaucoup qui sont dehors qui sont dedans’’. Dieu seul peut juger. Nous ne pouvons pas porter de jugement ni prétendre accorder à qui que ce soit le salut direct ou indirect.

Un jour quelqu’un m’a dit: ’’ Lorsque je suis malade je vais chez le docteur et je ne rentre pas guéri. Mais lorsque je me rends chez le pangol, je rentre guéri’’. Je lui ai répondu: ’’Lorsque tu vas chez le pangol, tu lui verses plus que tu as et tu y iras plusieurs fois. Car son pouvoir n’élimine pas complètement ta maladie. Tu le quittes en ayant effectivement retrouvé la santé, mais pas totalement. Si tu y vas quatre ou dix fois, ne vois-tu pas que le pangol finira par te ruiner? J’ai ajouté: Si tu n’es pas convaincu vas-y toujours, mais sache au moins que le pangol va te prendre plus qu’il ne t’a donné».

On n’est pas dans un système où on joue au dictateur. On annonce l’évangile et on laisse le choix aux gens. Mais au niveau de la confession, on essaie de ’’mettre l’église au milieu du village». Ces problèmes de choix radical entre les religions traditionnelles et la foi chrétienne sont très fréquents dans ma communauté mancagne.

Apic: Avez-vous des occasions ou de rencontres entre musulmans, chrétiens et chefs religieux traditionnels?

R.T: Il y a seulement des invitations entre chrétiens et musulmans, notamment lors des grandes fêtes religieuses, comme Eid-ul-Fitr, Eid-ul-Azha, Noël, Pâques, …

Apic: Quelles seraient pour vous, au 21ème siècle, les grandes questions d’urgence pour les religions et la mission, en général?

R.T: Les grands défis aujourd’hui pour l’Eglise et les religions dans l’ensemble c’est d’abord la paix. Il faut que toutes les religions arrivent à dialoguer et à s’entendre. Sans entente ni respect mutuel entre elles, leur prédication est vide. Sans cela, la culture de la paix qu’elles entendent promouvoir restera toujours utopique et lointaine comme la lune.

Parmi les autres questions d’urgences pour les religions, figure l’audace d’oser dire les choses sans mâcher ses mots. L’engagement de l’Eglise sur le plan social et du développement est louable. Mais sur le plan politique, il y a encore à faire. Il faut qu’elle ose dire les choses sans se laisser inféoder ni se laisser intimider par qui que ce soit. Au sein de notre Eglise comme au sein des autres religions, nous avons besoins de gens qui prophétisent et conservent leur distance avec les grandes puissances politiques et économiques. L’Eglise catholique a le privilège d’être unifiée par rapport aux autres religions. Et quand elle parle, elle est plus ou moins écoutée. Il faut qu’elle en profite et se montre toujours très distante des puissances politiques et économiques.

Pour ce qui va de la culture et des droits de l’homme, l’Eglise devrait pousser les chrétiens à y prendre une part active. Je reste persuadé qu’elle est la mieux organisée, et elle est encore crédible et dynamique. Elle a un idéal qui contribuerait plus que d’autres à la construction du monde. TS

Encadré

Contribuer à freiner l’immigration

En 23 ans de mission à Donfane, Le Père Thalmann a plusieurs fois sillonné en bateau les îles entourant Kaolack. A travers ces voyages missionnaires par voies maritimes qu’il qualifie de «haut risque» et de «pré-apostolat», il a tissé des liens avec les habitants et baptisé par mal de jeunes sur demande des parents.

Après un retour en Europe pour des soins médicaux, le Père Thalmann est ensuite retourné dans son «fief pastoral» au Sénégal. Il exerce son ministère pastoral depuis 2000 à Nyoro, une des trois subdivisions de Donfane. A ce nouveau poste, il côtoyait au début davantage les musulmans que les chrétiens. Il anime maintenant une émission religieuse en wolf, qui passe une fois par semaine sur les ondes de radio nationale sénégalaise. Il aborde des thèmes à traits religieux et social. Aujourd’hui, il imagine une approche pastorale et catéchétique pour contribuer, à sa manière, au frein de l’immigration vers l’Europe et à la perte de nombreuses vies humaines liée à ce phénomène.

Face à de nombreux défis sociaux, économiques et politiques, que chaque missionnaire rencontre dans sa région, le Père Thalmann propose d’imaginer et de réinventer des alternatives pastorales et catéchétiques obéissant au principe de liberté d’expression et de religion, et de respect de la dignité humaine. (apic/ts/bb)

2 septembre 2008 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 8  min.
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