Témoignage de Mgr Etienne Ung’Eyowun, évêque de Bondo, de passage en Suisse

Apic Interview

La guerre civile a repris à l’Est du Congo RDC

Jacques Berset, agence Apic

Fribourg, 16 octobre 2008 (Apic) La guerre civile a repris à l’Est du Congo RDC à la fin août dernier, relancée par Laurent Nkunda, le chef du CNDP (Congrès national de défense du peuple), dans la région de Goma, non loin des frontières rwandaise et ougandaise. Ce chef rebelle tutsi avait pourtant adhéré à l’accord de paix de Goma, signé en janvier 2008 entre Kinshasa et les représentants de plus de 30 groupes ethniques. Mais la tentation de piller les richesses naturelles du pays est trop forte!

«Laurent Nkunda prétend défendre les Tutsis de cette région, mais la vraie raison est le contrôle des richesses du sous-sol», lance Mgr Etienne Ung’Eyowun. Le nouvel évêque de Bondo, dans le nord-est de la République démocratique du Congo RDC (il a été ordonné le 8 juin dernier), était cette semaine de passage en Suisse à l’invitation de l’Action de Carême. Il participait mardi 14 octobre à Berne à la conférence annuelle du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) sur la médiation dans les conflits africains.

Né le 6 avril 1959 et ordonné prêtre le 10 août 1988, le nouvel évêque est docteur en théologie biblique des Facultés catholiques de Kinshasa (FCK). Prêtre du diocèse de Mahagi-Nioka, docteur en théologie biblique (il a étudié un an à l’Université de Fribourg, pour préparer son doctorat avec le Père dominicain Adrian Schenker, professeur émérite d’Ancien Testament), Mgr Etienne Ung’Eyowun a été professeur d’Ecriture Sainte au grand séminaire interdiocésain de théologie saint Cyprien de Bunia, non loin de la frontière ougandaise. Il a également occupé, ces six dernières années, la fonction de 2ème secrétaire général adjoint de la Conférence Episcopale Nationale (CENCO) à Kinshasa. Il se chargeait des textes de l’épiscopat.

Apic: Que se passe-t-il à nouveau dans l’Est du Congo, qui a déjà tant souffert… On a parlé en son temps de plusieurs millions de morts en raison de la guerre qui a ravagé cette région dès 1998!

Mgr Etienne Ung’Eyowun: Des combats opposent, depuis le 28 août dernier, le CNDP (rebaptisé par Laurent Nkunda Mouvement de libération totale du Congo/MLC, espérant ainsi fédérer les mécontents au-delà de sa propre ethnie tutsie) aux Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC). Ces combats dans le Nord-Kivu ont déjà entraîné le déplacement de plusieurs centaines de milliers d’habitants qui fuient les exactions des groupes armés qui ont brisé leur engagement pris lors des accords de Goma du 23 janvier dernier.

C’est la société civile qui a réclamé la paix en faisant pression sur le gouvernement, en disant:»Nous ne voulons plus la guerre, la population veut la paix, la sécurité et le développement». Après l’acte d’engagement de Goma, qui a reçu l’appui de la communauté internationale présente au Congo, a été lancé le programme Amani (qui veut dire la paix en swahili). Il s’agissait d’intégrer tous les groupes en cause: les rebelles (notamment ceux soutenus par le Rwanda, ndr), les groupes d’autodéfense populaires Maï-Maï, l’armée gouvernementale et les diverses tribus de la région.

Tous s’étaient engagés à entrer dans une démarche de paix dirigée par l’abbé Apollinaire Malu Malu, le coordonnateur du programme Amani mis en place pour faire appliquer l’accord de paix de Goma. L’abbé Malu Malu est le président de la Commission électorale indépendante (CEI) qui poursuit son travail, car si les élections parlementaires ont déjà eu lieu en 2006, les élections locales n’ont pas encore été organisées.

Apic: Laurent Nkunda avait pourtant signé les accords de Goma!

Mgr Etienne Ung’Eyowun: On ne comprend pas pourquoi la guerre devrait reprendre, alors que nous avons un Parlement élu et que le gouvernement travaille. Le président congolais Joseph Kabila a affirmé en septembre dernier que le Rwanda n’était «pas innocent» dans la reprise des combats. Car l’on ne peut pas justifier une nouvelle guerre par la grogne sociale qui agite le pays depuis la rentrée.

En septembre, c’est toujours la lutte des enseignants, qui réclament des salaires convenables. Ils demandent que ce soit le gouvernement qui prenne en charge la rémunération du corps enseignant. Depuis une décennie, en effet, ce sont les parents qui paient eux-mêmes les salaires, l’Etat étant absent et n’ayant pas les moyens de payer… Les médecins tout comme les fonctionnaires réclament de meilleures conditions de vie. Mais doit-on recourir aux armes pour résoudre ces problèmes ? Evidemment non, car cela ajoute à la crise.

Apic: Il y a encore d’autres foyers de tensions dans cet immense pays, notamment une reprise des combats dans l’Ituri, au sud de Bunia…

Mgr Etienne Ung’Eyowun: Outre les combats au Nord-Kivu menés par les rebelles de Nkunda, il y a d’autres foyers de tensions, notamment en Ituri, au sud de Bunia, dans la Province Orientale. On pensait que cette région située au Nord-Est de la RDC était à nouveau tranquille suite à la Conférence pour la pacification de l’Ituri. Elle avait été le théâtre entre 1996 et 2003 d’âpres combats entre les ethnies Hema et Lendu, liés à la convoitise des richesses naturelles. Ces combats avaient fait, selon les Nations Unies, 50’000 morts et 500’000 déplacés. Suite à cela, plusieurs chefs de guerre de cette zone ont été livrés à la Cour pénale internationale de La Haye (CPI). (Ce sont Thomas Lubanga, Germain Gatanga et Mathieu Ngudjolo, ndr). Ils sont notamment accusés d’avoir enrôlé des enfants dans leurs milices, ce qui est un crime grave du point de vue de la justice internationale.

Suite à l’accord signé entre les rebelles et le gouvernement, les jeunes qui voulaient rester comme militaires pouvaient entrer dans le processus de ce que l’on appelle «brassage», c’est-à-dire rejoindre l’armée nationale, où ils recevraient une formation. Ceux qui ne voulaient pas devaient réintégrer la vie civile, et grâce à une aide, acquérir un petit métier. Un rebelle a repris les armes au nom du Front de résistance patriotique de l’Ituri (FRPI), sous prétexte que le gouvernement ne tenait pas ses promesses, et a récupéré les jeunes combattants démobilisés qui n’avaient pas rejoint l’armée gouvernementale. Cela a créée de nouveaux déplacements de populations civiles vers Bunia, notamment dans la région de Gety, chef-lieu de la collectivité de Walendu/Bindi.

Apic: Sans parler d’autres conflits, comme à Dungu, près de l’Ouganda, où sévissent encore les rebelles ougandais de l’Armée de Résistance du Seigneur (LRA)…

Mgr Etienne Ung’Eyowun: Ce sont des Ougandais qui se sont infiltrés au Congo. L’armée nationale (FARDC) essaye de les chasser du territoire congolais. Les rebelles du chef de la LRA Joseph Kony (recherché par la CPI pour exploiter des «esclaves sexuelles») ont à nouveau kidnappé des enfants pour les intégrer dans leurs rangs. Kony lui-même veut que l’on retire le mandat d’arrêt de la CPI pour signer un accord de paix avec l’Ouganda.

On note encore un autre foyer de tensions dans la région où se sont installés des milliers de Mbororos, des «envahisseurs» nomades en provenance de la Centrafrique, du Tchad, de la Libye. A la recherche de pâturages, ces éleveurs émigrent avec leurs troupeaux en RDC depuis une vingtaine d’années, en profitant de la porosité des frontières congolaises. Disposant d’armes individuelles, ils sont accusés de terroriser les habitants de ces districts et de se livrer à des actes de pillage et d’abattre des espèces rares d’une faune protégée. Cette présence crée des problèmes dans les territoires de Dungu et d’Ango, où leur arrivée a fait fuir la population locale, créant un nouveau foyer d’insécurité.

Apic: Ces centaines de milliers de déplacés représentent un immense problème humanitaire !

Mgr Etienne Ung’Eyowun: Le problème plus grave est causé par la rébellion de Nkunda à Goma. Le Bureau de coordination des Affaires Humanitaires (OCHA) à Goma parle de 100’000 déplacés, mais j’ai contacté Caritas Congo, qui travaille avec Caritas Goma. L’oeuvre d’entraide de l’Eglise catholique parle de plus de 600’000 déplacés! C’est une vraie tragédie, car on est à l’époque de la saison des pluies, et l’on devrait semer ce mois-ci. Si la population ne peut plus cultiver, les conséquences humanitaires seront terribles pour les années 2009 et 2010. Il y a aura inévitablement de la famine, car les gens n’auront pas cultivé. Ils se regroupent dans des camps de toile, dans des conditions extrêmement difficiles.

Apic: Vous dites que la rébellion est bien nourrie, mais par qui ?

Mgr Etienne Ung’Eyowun: Ce n’est pas un fait nouveau que la véritable raison de la guerre, c’est le pillage des richesses naturelles du Congo. Déjà les premières sécessions à l’époque de la décolonisation (la sécession du Katanga par Moïse Tshombé par ex. ) avaient les mêmes motifs. L’arme politique a été utilisée dès le début pour s’emparer du cuivre du Katanga, des diamants du Kasaï, etc. La dictature de Mobutu a été soutenue par les puissances occidentales pour l’exploitation des ressources du Zaïre par les multinationales. De grands moyens lui ont été donnés dans le cadre de la guerre froide.

Maintenant, on se bat dans diverses régions pour le contrôle des diamants, de l’or, du coltan, du cuivre et même du pétrole, dont l’exploitation démarre. La rébellion de Kabila contre Mobutu était bien soutenue par des grandes entreprises étrangères, qui avaient signé des contrats pour contrôler les mines. Ces combats se poursuivent aujourd’hui avec les mêmes financements et les mêmes motivations: s’emparer des ressources naturelles. C’est une guerre néo-coloniale pour le contrôle des ressources et l’aspect ethnique n’est que l’argument de façade.

Apic: Que fait l’Eglise face à ces drames confectionnés de mains d’homme !

Mgr Etienne Ung’Eyowun: D’abord il faut dénoncer cette situation tragique, par des messages de condamnation tant au niveau national qu’international. Cette dénonciation de la reprise des hostilités est nécessaire. Dans le même temps, immédiatement, il faut intervenir au plan matériel. C’est ce que fait notre Caritas, grâce à l’aide du Programme alimentaire mondial des Nations Unies (PAM). Elle peut intervenir rapidement sur le terrain, avec un accès immédiat à la population déplacée.

Les combats de ces dernières années à l’Est du Congo (où étaient impliqués les pays voisins, notamment le Rwanda et l’Ouganda) ont fait plusieurs millions de mort, alors pourquoi recommencer ?

La reprise des hostilités à l’Est et au Nord-Est de la République démocratique du Congo est, comme le dit la Conférence épiscopale nationale du Congo ce lundi 13 octobre, «un paravent pour couvrir le pillage des ressources naturelles». «Car on se bat là où il y a des richesses que l’on exploite et voudrait continuer à exploiter illégalement», écrivent-ils encore. L’Eglise catholique, majoritaire dans le pays, doit s’engager tous azimuts pour pallier l’absence de l’Etat, partout déficient.

Elle doit exercer un rôle de suppléance, tant dans le domaine de la santé (réhabilitation des hôpitaux et des dispensaires) que dans celui de l’éducation, avec le soutien des écoles. L’Eglise veut aider à développer la société civile, car on ne peut pas attendre que l’Etat – qui est en train de renaître petit à petit – intervienne pour aider à sortir la population de la misère, alors que notre région est si riche à tous points de vue. JB

Encadré

Le diocèse de Bondo, une région complètement enclavée

Réapparition de maladies endémiques disparues ailleurs

Le diocèse de Bondo, situé dans le Bas Uélé, dans la Province Orientale, a été créé en 1959. Il s’étend sur 75’600 km2, avec une population de près de 400’000 habitants, dont près d’un tiers sont catholiques. Les paroisses sont au nombre de 14, les prêtres sont 20, dont 3 religieux tandis que l’on compte 18 religieuses. «Nous sommes dans une région de forêts, avec des villages dispersés, à 500 km de Kisangani, à 2’000 km de Kinshasa, et il n’y a pas de route et peu de ponts», témoigne le nouvel évêque de Bondo.

«Je fais partie des quelques privilégiés qui peuvent se déplacer avec des avions petits porteurs de 9 places, mais peu de monde y a accès. C’est un privilège, et malheureusement, l’évêque, qui devrait être simple, et partager la même condition que son peuple, est obligé de prendre un avion pour sortir de son diocèse!» Les gens voyagent à moto sur des sentiers, pendant 3 ou 4 jours, pour pouvoir rejoindre Kisangani.

Le chef-lieu, Bondo, compte 20’000 habitants. Cette agglomération possède un hôpital mal équipé, sans beaucoup de matériel, avec très peu de médicaments. «La mortalité infantile est très élevée, de nombreuses femmes meurent en couche, tandis que des maladies endémiques, qui avaient disparu, réapparaissent, comme la lèpre. On n’a pas les moyens de soigner les maladies engendrées par le vih-sida, et il n’y a pas de centre de dépistage».

Mgr Etienne a conduit la médiation de l’ACEAC (Association des Conférences épiscopales de la région des Grands Lacs) qui a permis le rapprochement des Eglises issus des pays ennemis. L’évêque de Bondo est aussi vice-président de la CEJP, la Commission épiscopale «Justice et Paix» du Congo. A ce titre, il dirige le programme de gouvernance participative. Ce programme a pour objectif la constitution de 7500 comités locaux dans tout le pays (2000 sont déjà en place). Ces comités jouent un rôle stratégique au sein des gouvernements régionaux. Ils veillent au prélèvement correct des impôts et taxes ainsi qu’à l’utilisation licite des fonds publics. Ils s’engagent pour le respect des droits humains et plus particulièrement pour la sécurité et la paix dans l’est du pays. Ce programme est soutenu par la Confédération suisse (DDC) et par l’Action de Carême qui en réalise aussi l’accompagnement. Par ailleurs, la CEJP met sur pied un programme de réconciliation communautaire d’après guerre ainsi que d’accompagnement psychosocial des victimes de la guerre. JB

Des photos de Mgr Etienne Ung’Eyowun, nouvel évêque de Bondo, peuvent être commandées à l’Apic: jacques.berset@kipa-apic.ch, tél. 026 426 48 01 (apic/be)

16 octobre 2008 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 9  min.
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