Bethléem et sa région: témoignage de la psychologue Marie Fankhauser-Delfosse

Apic Interview

Benoît XVI, en messager de paix, pourra-t-il changer les choses ?

Fribourg, 11 mai 2009 (Apic) Psychologue scolaire et logopédiste à la retraite, la Belgo-Suisse Marie Fankhauser-Delfosse vient de passer 3 semaines dans la région de Bethléem «pour mieux connaître les Palestiniens et appréhender leur vie de l’intérieur».

De l’intérieur ? La toute récente retraitée qui habite en Suisse depuis 1972 – plus précisément dans le canton de Fribourg – voulait en effet savoir comment vivent ces familles palestiniennes coupées de l’extérieur par un mur de séparation israélien de 8 m de hauteur. Témoignage.

«J’ai toujours eu un intérêt pour le peuple palestinien… On en parlait souvent à la maison. Pas étonnant, mon père avait participé à la fondation de l’Association Belgo-Palestinienne à Bruxelles. Nous étions révoltés par l’injustice qui lui était faite…», témoigne cette mère de famille de 3 enfants et grand-mère de six petits-enfants. Marie Fankhauser se préparait depuis 2 ans à aller sur place, car la vie difficile que sont amenées à vivre au jour le jour les familles palestiniennes ne cessait de la tarauder.

C’est grâce à Naji Awad, un ami suisse d’origine palestinienne vivant à Marly, qu’elle a pu se mettre au service, durant son séjour, du Centre d’éducation pour l’environnement (EEC), dirigé par un cousin de Naji, Simon Awad. Le Centre, financé par l’Eglise évangélique luthérienne en Jordanie et en Terre Sainte (ELCJHL), se trouve à Beit Jala, à une dizaine de kilomètres de Jérusalem et tout à côté de Bethléem, non loin du check point – le point de passage tenu par les soldats israéliens qui filtrent les allées et venues des Palestiniens.

«Les gens ont très peur, ils n’osent pas bouger de chez eux… L’occupant israélien s’arroge tous les droits», constate Marie Fankhauser. Comme elle ne parle pas l’arabe et maîtrise mal l’anglais, la psychologue scolaire et logopédiste n’a pas pu mettre ses connaissances professionnelles au service de la population. Elle a donc pensé se mettre aux tâches pratiques pour le compte de cette organisation écologique qui s’occupe de la préservation de l’eau – un bien précieux dans la région – , la gestion des déchets, qui laisse encore beaucoup à désirer, et l’éducation dans les écoles. «Mais c’était l’hiver, ce n’était pas la saison pour aller faire des plantations d’arbres… alors j’ai fait des traductions d’anglais en français, car le Centre veut se faire connaître au niveau mondial». Son but: «faire une Palestine verte».

De son séjour «derrière le mur de séparation», Marie Fankhauser retient de fortes images: les moyens dérisoire des populations locales face au rouleau compresseur de la colonisation israélienne, la confiscation des terres palestiniennes, et malgré tout le travail acharné pour récupérer les terres le long du mur, replanter les arbres après l’arrachage des oliviers centenaires…

«Ce qui m’a frappé le plus, c’est cet enfermement derrière le mur, c’est la quasi impossibilité de se rendre à Jérusalem, où nombreux sont ceux qui ont de la famille, car tout déplacement exige des autorisations, la nécessité de contourner les colonies de peuplement israélienne sur la route, ce qui exige d’immenses détours». Quand les gens obtiennent finalement un permis, il faut passer les check points israéliens, et c’est une épreuve pénible, notamment pour les personnes âgées.

«Ils ont souvent affaire à de jeunes soldats arrogants, ils sont soupçonnés, soumis à l’arbitraire. Le point de passage peut être ouvert ou fermé, sans que l’on sache pourquoi. Il faut compter largement son temps. Des gens ne peuvent pas se rendre au travail tel ou tel jour. Bethléem a connu une fois une fermeture de 40 jours… Les gens n’ont alors pas de revenus, 45% sont au chômage, et la sécurité sociale en Palestine est inexistante. Comment payer l’écolage des enfants, alors qu’à la maison le frigo est vide ? Dans certaines familles, les enfants ont faim. Manger de la viande est devenu pour la majorité un luxe inabordable. Même dans les classes moyennes, on ne peut se permettre de voyager. Et pour aller où, quand le mur de séparation bouche tout horizon ?»

La liste est longue de cette «non vie» imposée aux habitants de la région, qui ne peuvent visiter les lieux saints qui sont à portée de regard. «C’est un véritable apartheid: il y a des routes réservées aux Israéliens, d’autres uniquement pour les Palestiniens… Ce sont les Israéliens qui imposent cette séparation, pas les Palestiniens. Quant aux touristes, qui, avec l’artisanat du bois d’olivier, représentent quasiment les seuls moyens d’existence, ils ne viennent que quelques heures pour visiter la Basilique de la Nativité et faire le tour de la Place de la Mangeoire, mais ne passent pas la nuit sur place.»

«Le sentiment d’étouffement est tel que les chrétiens, devenus de toute façon minoritaires, cherchent à partir, poursuit Marie Fankhauser. Ils sont de moins en moins nombreux, et ce qui est tragique, c’est que la grande majorité des intellectuels sont justement des chrétiens. Désormais, on rencontre de plus en plus de femmes voilées dans les rues de Bethléem… Face à toutes les chicaneries, à ce désespoir, il faut vraiment avoir du cran pour rester, il faut énormément aimer son pays, croire qu’un jour cela va changer».

L’habitante de Fribourg relève que les pays occidentaux, notamment la Suisse, ne se rendent pas compte de ce que signifie pour les populations locales d’être soumises depuis tant d’années à ce régime d’enfermement. Quand à la visite du pape Benoît XVI à Bethléem, ce mercredi, Marie Fankhauser est un peu dubitative: «Il vient pour apporter la paix, c’est bien… Mais dans la réalité, quelle aide concrète peut-il apporter aux gens sur place, qu’est-ce que cela va changer pour eux, quand les projecteurs se seront détournés de cette population enfermée?». Ce qui compte, pour elle, alors que la puissance publique palestinienne n’a aucun moyen, c’est le travail effectué sur place par les ONG, l’aide internationale et les Eglises chrétiennes, «car la Palestine est en situation de survie, jusqu’à quand?» JB

Des photos prises par Marie Fankhauser sont disponibles à l’Apic, tél. 026 426 48 01 ou apic@kipa-apic.ch (apic/be)

11 mai 2009 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 4  min.
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