Xavier Emmanuelli: le médecin des exclus
APIC-Interview
Jean-Claude Noyé pour l’agence APIC
Paris, 8mars(APIC) Xavier Emmanuelli, créateur des services d’urgence du
SAMU, en France, co-fondateur de Médecins sans frontières, médecin de la
prion de Fleury-Mérogis, a roulé sa bosse sur tous les terrains. Il dirige
aujourd’hui le centre d’acceuil des sans-domicile fixe de Nanterre en banlieue parisienne. Fondateur du SAMU social, il crie sa lutte contre l’exclusion et dénonce un monde sans Dieu voué à la production. Profondément
chrétien, il ne désespère pas d’un retour à la lumière.
APIC: Votre dernier livre s’intitule dernier avis avant la fin du monde.
Qu’entendez-vous par là?
Xavier Emmanuelli: A vrai dire c’est la fin d’un monde, d’une
civilisation qui a commencé au XVIe siècle et qui a eu des étapers
marquantes comme le XVIIIe siècle, dit des ’Lumières’, le XIXe etz son lot
de sofrances terribles qui ont accompagné la révolution industrielle, puis
ce XXe siècle vraimnent apocalyptique avec ses deux conflits mondiaux et
tout le reste. Un monde sans Dieu voué à la production. On est arrivé au
bout de cette logique. Le communisme lui-même, sorte de ’christianisme
de la terre’ sans transcendance, amorce de communion des saints en termes
matérialistes, a déçu ceux qui avait placé en lui leurs espoirs en lui.
le communisme et le nazisme, lui d’inspiration maléfique, ont incarné deux
dictatures effroyables et laissé la place à une champ de ruines.
APIC: L’apocalypse à laquelle vous référez volontiers, qu’est-ce pour
vous?
XE: L’apocalypse est là. C’est l’exclusion qui nous sépare les uns des autres. C’est se couper de nos racines. Le sens de l’homme est broyé, y compris dans l’Eglise qui ressasse des dogmes qui n’ont plus de prises sur le
monde. La bête de l’apocalypse décrite par l’apôtre Jean, celle qui a le
pouvoir de mimer, n’est-elle pas incarnée aujourd’hui par la télévision?
Elle est l’outil diabolique par execellence qui sépare et fausse la perception de la réalité. Nous sommes à la fin d’un monde et on ne s’est pas
aperçu.
APIC: Vous ne croyez pas au progrès de l’histoire?
XE: Non, en cela je ne suis plus marxiste. J’ai, de fait, été communiste,
tout en gardant la foi, même si j’ai vécu celle-ci de façon sinusoidale. je
pense aujourd’hui que christianisme et communisme sont deux mondes incompatibles. «Mon royaume n’est pas de ce monde» dit le Christ. D’où le danger à
mon sens d’une Eglise trop exclusivement sociale. La théologie de la libération pose une pierre d’achoppement en occultant que le salut est avant
tout personnel. J’ai beaucoup voyagé en Amérique latine, j’ai vu ce qu’il
en reste aujourd’hui: une myriade de petites églises protestantes.
APIC: Très critique à l’égard des médias, vous dénoncer l’humanitaire
spectacle. Vous êtes pourtant vous-même très médiatique. N’est-ce pas
paradoxal?
XE
Et si quelque chose de nouveau
APIC – Interview
nous venait d’Afrique ?
L’africaniste René Luneau et les enjeux du prochain Synode sur l’Afrique
Pierre Rottet, Agence APIC
«Nous souhaitions ardemment un Concile africain et voilà que l’on nous offre un Synode sur l’Afrique à Rome». Cette déception, plus d’un Africain
l’a exprimée après l’annonce par le pape Jean Paul II que la prochaine assemblée spéciale du Synode pour l’Afrique s’ouvrira le 10 avril prochain au
Vatican. Et pourtant, sait-on que les Eglises d’Afrique n’étaient pas unanimes à l’idée d’un Concile africain ? L’analyse de l’africaniste René Luneau, invité en Suisse romande pour la Journée d’étude de Pax Christi.
L’idée du Synode africain vient de loin, note le dominicain René Luneau.
Dès les années 60 déjà, dans le cadre du Concile Vatican II, certains pensaient à un Concile africain alors que l’Eglise d’Afrique à cette date ne
représentait pas grand chose, dix ou quinze millions de baptisés. Pendant
presque trente ans, la question du Concile africain a refait régulièrement
surface. Mais elle a été sérieusement posée à nouveau à partir de 1977.
APIC:On voulait un Concile africain et on a un Synode pour l’Afrique…
R.Luneau:On est effectivement passé de l’idée de Concile à celle du Synode. A travers cette trajectoire, on devine déjà ce que l’on peut en attendre. Il ne s’agit plus d’une instance dont les Eglises d’Afrique auraient
été les initiatrices, avec une certaine capacité de décision – bien sûr
toujours en communion avec Rome – mais où elles-mêmes auraient été invitantes et prenant des décisions en fonction de situations qui sont les leurs.
Notons que pendant une douzaine d’années, on s’est interrogé sur l’opportunité d’un Concile: des Eglises comme celles du Cameroun ou du Zaïre
ont été acquises à cette idée dès le premier moment, d’autres comme celles
du Sénégal ou de la Côte d’Ivoire s’y sont toujours refusé. On a assisté à
une sorte de lutte d’influence entre Eglises favorables et défavorables,
des Eglises anglophones traînant les pieds dès le départ parce qu’elles se
trouvaient embarquées dans un dynamique conciliaire pour laquelle personne
ne les avait prévenues et consultées.
C’est en fait en juillet 1987 à Lagos que l’on s’est aperçu qu’il n’y
avait pas de majorité pour un Concile. D’un côté des gens comme le cardinal
zaïrois Malula avaient fait l’impossible pour que se tienne ce Concile
africain qu’ils appelaient de leurs voeux. De l’autre une majorité d’Eglises pensait que c’était inopportun et prématuré. Le cardinal Hyacinthe Thiandoum, archevêque de Dakar, a dès le début lutté contre l’idée d’un tel
Concile. Et sur les 34 Eglises consultées, 12 n’avaient même pas pris la
peine de répondre. De telle sorte que l’on avait alors toutes les raisons
de croire que le Concile africain était enterré.
Jean Paul II a relancé le projet
Personnellement je porte au crédit du pape Jean Paul II d’avoir mis sur
pied ce Synode africain, conscient qu’il est de l’extraordinaire croissance
de ces Eglises et des problèmes qui leur sont posés. Il est en effet nécessaire de savoir vers où l’on va. Mais cela prend place dans un cadre préformé, le synode des évêques, un modèle que l’on connaît fort bien
puisqu’il sert déjà depuis 25 ans.
Du même coup, c’est Rome qui convoque. Ainsi, le maître d’oeuvre n’a pas
été tel ou tel évêque africain, mais essentiellement Mgr Schotte, secrétaire général du Synode, auquel s’est joint un conseil de préparation, en général composé de 17 à 19 évêques et cardinaux. Toutes les décisions importantes ont été prises au Vatican, ce qui fait que pour un certain nombre de
gens, il s’agit d’un Synode romain tenu à Rome concernant les Eglises
d’Afrique. On peut cependant tout de même aller un peu plus loin: dès le
départ, que ce soit de la part du pape ou de Mgr Schotte, les communautés
ont été constamment invitées à s’impliquer dans la démarche synodale.
APIC: Certains reprochent précisément que dans toute la démarche aussi bien
les laïcs que le clergé n’ont pas été suffisamment consultés…
R.Luneau:Du temps de la préparation, dans les tout premiers textes parus
dès janvier et mars 1989, il a été dit que tous dans les Eglises doivent
être associés, depuis les Universités catholiques jusqu’aux communautés de
base. Le pape au cours de ses voyages en Afrique est souvent revenu sur la
question. En juillet 1990 il y a eu dans les fameux «lineamenta» (document
préparatoire) la publication de 81 questions. Pas seulement des questions
destinées aux évêques: il était clair que ce questionnaire devait être distribué le plus largement possible. On avait 15 mois pour y répondre. Des
Eglises ont fait l’effort de le diffuser.
Au total, même si certaines Eglises ont dormi sur leur copie, des milliers de pages sont revenues à Rome. On a été surpris par le nombre et par
la qualité des réponses. Le document de travail a malgré tout essayé d’en
tenir compte. Il est vrai que les «lineamenta» ont oublié des choses extrêmement importantes, comme les communautés de base. Il n’en est pas fait
mention et l’on ne trouve pas grand’chose non plus sur la pastorale du mariage. La manière dont a été abordée le problème de l’inculturation était
proprement insuffisante. Le document sur l’inculturation a été sensiblement
amélioré. Mais on a écarté la question concernant le problème de l’autosuffisance des communautés et leurs capacités de se financer elles-mêmes. La
pastorale du mariage n’a par contre pas beaucoup avancé.
Trop peu de temps pour vraiment approfondir
D’autre part, le temps que l’on s’est accordé, à savoir quatre semaines,
ne permettra pas d’aller au fond des choses. L’ordre du jour est démentiel.
Cinq grands thèmes retiendront l’attention des évêques: la première
évangélisation, l’inculturation, le dialogue interreligieux, les questions
de justice et paix, et les moyens de communication sociale au service de
l’évangélisation.
Le seul problème du dialogue interreligieux aurait largement suffi à
épuiser tout le temps disponible. Il faudra d’abord parler du dialogue oecuménique au sens strict puis du dialogue avec l’islam. Sans oublier le
dialogue avec les Eglises afro-chrétiennes indépendantes, dont la progression – comme celle des sectes et des nouveaux mouvements religieux en général – révèle souvent en négatif les manques des communautés catholiques.
Les religions traditionnelles sont aussi présentes qu’il y a vingt ans.
La problématique du sida négligée
Sur un document de 120 pages, à propos du sida, on a le culot de dire
seulement que cette maladie pose un problème médical et social dans quelques régions, alors qu’il y a le feu. Quand on sait qu’il y a 7 millions de
séropositifs, que le sida va être à l’évidence le problème majeur du continent africain pour les vingt ou trente ans qui viennent… On prévoit des
millions et des millions de morts. C’est déjà une réalité: en Zambie chaque
année, il y a 60’000 orphelins supplémentaires. Dans ce domaine, je souhaite un discours responsable.
APIC:On reproche parfois aux différents épiscopats africains d’être plus
romains que les Romains et d’être souvent très éloignés des réalités que
vivent quotidiennement les gens à la base. Ce fossé existe-t-il vraiment ?
R.Luneau:Nombre de gens ont été désignés comme évêques en raison des sécurités qu’ils offraient. Mais il est vrai aussi que les évêques africains
ont un réel contact avec leur peuple. Il suffit de les voir évoluer parmi
leurs communautés. Et certaines personnalités iront à Rome sans craintes.
«Nous allons au Synode en gagneurs, pas en hommes résignés, ou en enfants
de choeur prêts à dire amen à tout», déclarait récemment encore Mgr Agré,
évêque de Yamoussoukro.
«Nous voulons nous faire comprendre, cela peut faire trembler certains,
mais nous devons remuer les vieux meubles, faire la toilette de la maison.
Jean XXIII l’a bien fait avec le Concile Vatican II, il fallait chasser les
cafards pour retrouver une Eglise de printemps. Nous n’allons pas à Rome
pour faire le procès de l’Europe ou des missionnaires, chercher une tribune
pour faire sortir nos frustrations, mais pour discuter des vrais problèmes
qui préoccupent l’Afrique». Telle est l’opinion de cet évêque de la Côte
d’Ivoire, qui sera présent à Rome.
Si les évêques africains maintiennent leurs positions, cela vaut la peine de faire un Synode. Bien qu’il y ait quelques raisons objectives de ne
pas être totalement optimiste, de fait, on peut penser malgré tout que le
pire n’est pas toujours sûr. Que l’on songe au précédent illustre du Concile Vatican II, qui ne s’est pas déroulé comme prévu à la curie romaine !.
(apic/pr/be)
Encadrés
Biographie
Le Dominicain René Luneau est né à Nantes en 1932. Dominicain, docteur en
lettres, il est membre du groupe de sociologie des religions au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et enseignant à l’Institut catholique de Paris. Africaniste, il a publié de nombreux ouvrages sur
l’Afrique francophone contemporaine et son devenir religieux. Il a en outre
assuré la direction de plusieurs livres consacrés à l’évolution de l’Eglise
catholique depuis Vatican II, dont «Le rêve de Compostelle. Vers la restauration d’une Europe chrétienne ?» ou «Les rendez-vous de Saint-Domingue.
Enjeux d’un anniversaire: 1492-1992». (apic/cor/be)
Eglises d’Afrique en pleine croissance
Héritières d’une croissance unique depuis quarante ans, les Eglises catholiques d’Afrique vont, selon les prévisions, dépasser les cent millions de
baptisés, contre onze en 1949. Si, sur les 311 évêques que comptait l’Eglise catholique en Afrique à l’époque du Concile Vatican II, 60 étaient autochtones, ils sont maintenant 400 sur 500. Les Eglises d’Afrique sont très
diverses: les premières d’Afrique noire sont nées il y a un peu plus d’un
siècle, mais certaines ont moins de cinquante ans. Leur histoire, fruit de
la colonisation ou de l’intuition d’une famille missionnaire, ainsi que
leur plus ou moins grande proximité avec l’islam, ont modelé leur visage.
A la diversité répondent des fragilités communes, estime René Luneau: la
colonisation et un lien trop étroit avec les Eglises missionnaires qui les
ont suscitées. Les Eglises d’Afrique souffrent souvent de l’absence des
trois autonomies définies par le missiologue Henry Venn, qui rendent une
Eglise majeure: l’autonomie décisionnelle, l’autonomie financière et l’autonomie apostolique. Au plan financier, par exemple, les Eglises d’Afrique
«vivent sous perfusion». Ainsi, selon les cas, jusqu’à 90 % de leur budget
provient de l’étranger. (apic/cor/be)
Le texte intégral de la conférence du Père Luneau, «Et si quelque chose de
nouveau venait d’Afrique!», peut être commandé auprès de Pax Christi, Valentin 15, 1004 Lauasnne (tél. 021/ 312 26 18)