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APIC – interview
Jean Grosjean: traducteur, poète et écrivain de la Bible (160696)
La Bible est un univers à débrouiller
Jean-Claude Noyé, pour l’agence APIC
Paris, 16juin(APIC) Alerte octogénaire, Jean Grosjean vit depuis toujours
dans la familiarité de la Bible. Traducteur, commentateur, écrivain et poète, il a plus d’une trentaine d’ouvrages à son actif. Tous tournent autour
des textes sacrés et des questions qu’ils posent à l’homme contemporain. Le
traducteur soucieux de revivifier la sève poétique et l’écrivain sont en
lui indissociables. L’APIC l’a rencontré après la parution récente d’une
nouvelle traduction commentée de l’Apocalypse de Jean et des «Versets de la
sagesse», une traduction de l’Ecclésiaste.
APIC: Vous avez écrit des récits sur le Messie, Elie, Darius, Pilate, Jonas, Samson ou Samuel. Pourquoi comme écrivain un tel intérêt pour les personnages bibliques?
Jean Grosjean: Parce-qu’ils ont pour moi une existence plus réelle que
n’importe quelle théorie. Quand j’étais jeune, la littérature française me
décevait, parce qu’elle ne posait pas les vraies questions. Il a fallu la
Bible pour que je trouve un langage en prise direct avec mon vécu. Quand je
suis parti en Orient à l’âge de 25 ans, c’était avec l’idée de faire une
«autobiographie» d’Abraham: je voulais revivre son aventure de l’intérieur.
Mais je me suis aperçu qu’il me manquait la dimension du grand âge. Alors
j’ai abandonné. Mais c’est là ma matrice: revivre le cheminement biblique
pour lire l’Evangile et arriver au Christ.
APIC: Comment faites-vous revivre ces personnages bibliques?
JG: Je lis et relis le texte biblique et j’essaye de le vivre. Quand
j’écris, je pense plus à mes personnages qu’à mes futurs lecteurs. Ce sont
pour moi des compagnons qui ont une actualité, qui me parlent, avec qui je
suis en sympathie. Quand je revis un personnage de la Bible, qui est comme
un archétype intemporel, je le vois dans son décor, puisque j’ai vécu au
Moyen-Orient. En même temps, comme je suis dans sa peau, je le vis aussi
bien dans mon cadre actuel. Ce qu’un lecteur non-averti pourrait prendre
pour un anachronisme. La couleur locale me paraît artificielle, folklorique. C’est l’attitude des personnages qui est intéressante. Je les vois
tout à coup aller et venir. Ils s’imposent à moi. Pour Pilate, j’avais commencé dès l’âge de 20 à établir un tableau des concordances entre les évangiles. C’est un travail qui m’a servi.
APIC: Vous venez de publier sous le titre «Les Versets de la sagesse» une
traduction et un commentaire de l’Ecclésiaste. Pourquoi ce texte?
JG: Ce qui me passionne dans ce bref texte, pas plus de 12 pages bien tassées en hébreu, n’est pas qu’il soit dû à plusieurs auteurs, comme l’affirme les exégètes, mais que quelqu’un, à un moment donné, en ait fait un
livre cohérent. Le maître-auteur est un penseur, le seul de la Bible. Son
inspiration est la réflexion sur l’expérience humaine. Je voulais aussi
montrer comment la grande épitre de Jean, qui résume un peu la nouveauté du
Nouveau Testament, s’enchaîne sur l’Ecclésiaste.
APIC: Vous avez également repris récemment votre traduction et votre commentaire de l’Apocalypse de saint Jean, publiée il y a 25 ans dans «La
Pléiade»…
JG: On est jamais totalement content d’une traduction. Il faut choisir entre le sens et l’élégance de la langue. On perd forcément quelque chose.
Pendant la guerre du Golfe, j’ai relu l’Apocalypse en grec. J’ai vu comment
elle reste un livre d’actualité. J’ai décidé d’écrire un commentaire pour
éclairer le texte chaque fois qu’il devient obscur aux yeux de mes contemporains. C’est un texte iconoclaste. Il n’y a pas plus de lieux saints que
d’images saintes. L’iconoclasme est sage, c’est une prudence. Il y a des
lieux ou des images plus propices à la méditation que d’autres, mais c’est
une question de degré et non de nature. Il faut se garder de diviniser les
choses, l’Etat, l’Eglise ou aujourd’hui la culture.
APIC: Qu’est-ce qui inspire votre travail de traducteur?
JG: Je m’efforce d’écrire des traductions de la Bible que j’aurais aimé lire. Je m’efforce de retrouver la vigueur, la fraîcheur d’un texte qui est
déjà ma nourriture au départ. Voilà pour moi le sens d’une traduction.
APIC: Revenons-en à Bible pourquoi êtes-vous lié si intimement à elle?
JG: Dans les textes sacrés, on a un langage direct et intense. La Bible est
sainte parce qu’elle a la plus grande densité d’écriture que l’on connaisse. Mais c’est un univers à débrouiller dans lequel il y a de tout. Si on
commence par la lire sans exégèse, c’est un casse-cou, car on met tout sur
le même pied, alors que la Bible est un univers avec des temps forts et des
temps faibles, des pentes glissantes. Elle a été composée sur plus de 1’000
ans et dans divers pays. Il faut y entrer pied à pied. (apic/jcn/mp)