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apic/Livre/Monsengwo
APIC – DOSSIER
Zaïre: Livre-interview de Mgr Monsengwo
«Acteur et témoin de l’histoire» du Zaïre
Bruxelles, 27février(APIC/CIP) La Conférence Nationale Souveraine (CNS)
du Zaïre a-t-elle été un échec? Beaucoup le prétendent, qui mettent en cause la naïveté de son président, Mgr Laurent Monsengwo. Ce dernier répond
dans un livre-interview qu’il est venu présenter à Bruxelles: il tient au
changement radical du système politique, mais de manière critique. Tout en
se demandant qui est réellement «acquis au changement»…
L’archvêque de Kisangani est interviewé par un jeune oblat zaïrois de 34
ans, Godé Iwele. L’ouvrage commence par évoquer les «racines» de l’archevêque, son itinéraire vers le sacerdoce, son profil intellectuel, puis, dans
une deuxième partie, les chemins du christianisme africain. Après une vingtaine de pages consacrées au rôle «politique» joué par l’Eglise au Zaïre,
près de la moitié de l’interview est consacrée, dans une quatrième et dernière partie, au «récit d’une époque tumultueuse», qui va de la mise sur
orbite de la Conférence Nationale Souveraine à aujourd’hui.
Godé Iwele a voulu avant tout faire connaître et vulgariser les grands
acquis de la CNS et la contribution apportée par Mgr Monsengwo, «soutenu
par l’Eglise catholique». C’est que, dit-il, la «vedette incontestée» de la
Conférence a vu depuis son blason se ternir. Pourtant, «aux attaques les
plus virulentes, les plus diffamatoires et les plus contradictoires parfois», le prélat a toujours opposé un «silence mortifié», si bien que
«beaucoup se sont livrés à son sujet aux spéculations les plus marchandes»,
tandis que «son option résolument conciliatrice, souvent attaquée par certains lobbies politiques, est restée généralement incomprise».
Entre acculturation et libération
Est-ce parce qu’elle oscille entre l’inculturation et la libération que
la théologie africaine ne parvient pas à s’imposer comme la théologie de la
libération latino-américaine? Pour Mgr Monsengwo, «opposer inculturation et
libération, c’est avoir de l’une et de l’autre une vision tronquée… Il
est impossible de libérer une personne tant qu’elle n’a pas encore pris
conscience de son identité culturelle. C’est par ce cheminement que l’Eglise africaine a voulu procéder à la libération. Cette libération se faisant
par le biais de la culture, suppose justement l’évangélisation de la culture. C’est lorsque la culture est évangélisée et que l’homme évangélisé assimile la foi par le biais de sa culture, au point de réexprimer lui-même
la nouveauté chrétienne, que se fera la grande libération».
Si les écrits de Mgr Monsengwo témoignent de son souci pour la recherche
sur l’inculturation, c’est que celle-ci, qui est «au coeur du message biblique», est «en, dernière analyse, un défi de sainteté»: l’Eglise africaine, dit-il, ne répondra pleinement à sa mission que dans la mesure où elle
offrira à l’Eglise universelle beaucoup de modèles de sainteté.
Neutralité positive
Dans la troisième partie, intitulée «Zaïre: l’Eglise en politique», Mgr
Monsengwo s’explique sur la «neutralité positive» de l’Eglise. Non, l’archevêque de Kisangani n’est pas «politiquement neutre» si l’on entend par
là que tous les schémas politiques présents dans le pays se valent: il défend l’ordre constitutionnel de la CNS et entend que les systèmes politiques le respectent. Il n’est pas neutre non plus si l’on entend par là
qu’il considère «comme tout aussi bonnes les échelles de valeurs actuellement prônées dans le pays ou encore les moyens mis en oeuvre par certains
hommes politiques pour, ’hic et nunc’, conquérir le pouvoir».
Mgr Monsengwo est amené à évoquer longuement ses relations avec le cardinal Malula, le conflit de ce dernier avec Mobutu, sa mort «vendue aux enchères». Il proteste contre son implication dans une mort par empoisonnement du prélat – «une calomnie de mauvais goût» – sous prétexte qu’il était
son «concurrent» et enviait sa dignité cardinalice. Il répond aussi à ceux
qui suggèrent aujourd’hui que la mort du cardinal n’a pas laissé l’Eglise
du Zaïre orpheline, «puisqu’il y a Monsengwo», et qui font état d’un gênant
«cursus honorum» parmi les évêques du Zaïre quand il s’est agi de la succession au siège métropolitain de Kinshasa, puis au cardinalat.
Mgr Monsengwo, qui a présidé la Conférence épiscopale pendant près de
neuf ans, explique surtout le rôle joué par l’épiscopat dans la définition
d’un projet de société pour le Zaïre, notamment à travers sa «politique des
lettres pastorales».
Dans le chapitre consacré à la CNS, Mgr Monsengwo ne cache pas que, président de la conférence épiscopale, il s’attendait bien à être sollicité
pour en présider les assises. Il a accepté de le faire «en pleine consonance» avec les décisions du Comité permanent de l’épiscopat. Et s’il admet
qu’il y a sans doute des évêques qui ont pensé qu’il avait posé sa candidature, il signale que celle-ci a été présentée par la société civile.
Le prélat rappelle surtout quels étaient les buts de la CNS: «Faire une
relecture de l’histoire de notre pays afin d’identifier les causes et
d’établir des responsabilités personnelles et collectives de la situation
politique, socio-économique et culturelle de notre pays». Puis, dans un second temps, «proposer des remèdes pour éviter les erreurs du passé».
Hélas, si la réconciliation nationale «s’est faite en grande partie au
fil de la Conférence», la grande réconciliation symbolique n’a pu avoir
lieu «pour la simple raison que le président Mobutu, et, après lui, une
partie de la classe politique, n’a pas accepté de demander pardon au peuple
pour la mauvaise gestion de la Deuxième République». Il y eut ensuite les
blocages successifs: «Chaque fois qu’on arrivait à une solution, le chef de
l’Etat et son groupe posaient des gestes qui étaient de nature à empêcher
la solution». Pour Mgr Monsengwo, tous les efforts pour empêcher la mise
sur pied du Haut Conseil de la République/Parlement de transition ont été
déployés pour des raisons évidentes: le rejet du nouvel ordre institutionnel et du nouveau projet de société mis en place; la volonté de perpétuer
l’ancien régime».
Le président Mobutu et ses partisans ont beau dire que la CNS a «accouché d’une souris». En réalité, elle a marqué «irréversiblement» l’histoire
du Zaïre. «Il sera difficile, très difficile, d’en faire une simple parenthèse, affirme Mgr Monsengwo. Tôt ou tard, quoi qu’il arrive, on recourrera
aux solutions proposées par la CNS pour remettre le pays sur les rails».
Qui est naïf?
L’opinion reproche à Mgr Monsengwo seul d’avoir empêché d’»éventrer le
boa», c’est-à-dire d’avoir empêché le grand «déballage». Il explique pourquoi: «Nous avons voulu établir un Etat de droit; et dans un Etat de droit,
personne n’est coupable tant que cela n’a pas été prouvé… Que seraient
devenus des membres de familles, des fils et des filles de ces personnes,
dont on aurait ainsi injustement peut-être gâché la réputation ?»
A l’opposition radicale qui l’accuse de lui avoir fait manquer sa cible,
le prélat répond qu’il n’est pas allé à la CNS «pour aider qui que ce soit
à conquérir le pouvoir ou encore à régler des comptes», mais «d’abord pour
aider les fils et les filles du Zaïre à se mettre ensemble pour mettre sur
pied un nouvel ordre institutionnel». Et d’ajouter: «Ce travail a été fait.
Pour le reste, j’ai refusé mordicus de me laisser manipuler ou instrumentaliser pour leur conquête du pouvoir. Je tiens au changement radical du système politique; mais de manière critique».
Un manque de culture politique
Pour Mgr Monsengwo, les principaux freins à la démocratisation du Zaïre
ont été avant tout le manque de culture politique dû à 27 ans de dictature:
«On n’exagérerait nullement en disant que notre pays a réussi à former un
tas de petits dictateurs qui, chacun dans le lieu où ils se trouvent, cultivent l’intolérance, le refus du dialogue et entretiennent l’habitude de
prendre leurs propres idées pour l’Evangile. Tant que le système politique
du Zaïre restera celui de l’ancien régime, il n’y aura pas d’espoir de démocratie dans notre pays».
Après avoir dit son «dégoût face à la médiocrité du jeu politique» au
Zaïre, pays – «il y en a qui sont prêts à sacrifier le peuple, pourvu
qu’ils soient au pouvoir -, il donne son interprétation des volte-face du
dictateur Mobutu: «A l’analyse, il apparaît que le président Mobutu n’entendait pas mener le pays à la démocratie à la manière dont le peuple l’a
voulu. La démocratie ayant pris un autre cours, il a été quelque peu débordé. Il cherche donc les voies et moyens de ne pas perdre le contrôle du
pouvoir, en récupérant chaque élément qui paraît lui échapper».
Pourquoi ça piétine
Lui reprochant de n’avoir pas fait suffisamment pour réhabiliter le Premier ministre Tshisekedi, révoqué illégalement par Mobutu, et d’avoir ratifié l’élection de Léon Kengo wa Dondo à la primature, certains ont soupçonné Mgr Monsengwo d’avoir été corrompu par le clan Mobutu. Dans une longue
mise au point, l’intéressé s’insurge contre «la malveillance, la mauvaise
foi et l’imposture» de telles accusations. Il rappelle les deux objectifs
majeurs qu’il s’était assignés au HCR: épargner au peuple les affres d’une
guerre civile et défendre et sauvegarder à tout prix l’ordre institutionnel
de la CNS et son projet de société. S’il impute au seul chef de l’Etat
l’interruption du dialogue avec l’Union sacrée de l’opposition en juillet
1993, il ajoute qu’un pacte gouvernemental visant, entre autres, la présentation de M. Tshisekedi au poste de Premier ministre aurait pu être signé
les 23-24 janvier 1994 «n’eût été le refus de M. Tshisekedi de prendre part
à la réunion, pour des raisons de convenance personnelle». Or cette solution était la seule qui permettait de sauvegarder l’ordre institutionnel de
la CNS, affirme-t-il. (apic/cip/pr)