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APIC – ENQUETE
Lourdes: malaise et polémique dans la citée mariale (080294)
Construction d’un hôtel et licenciement
d’un employé du sanctuaire sèment un vent de discorde
Par Pierre Rottet, de l’agence APIC
Lourdes, 8février(APIC) Lourdes la religieuse, Lourdes ville touristique… Les gros bras de la finance et du monde touristique se servent-ils
copieusement du renom de la cité pour pousser plus avant leur commerce? La
construction d’un hôtel trois étoiles de plus de 200 chambres alors que
l’infrastructure hôtelière de la ville est déjà très importante, dit-on,
suscite mécontentement et polémique. Un malaise encore aggravé par le licenciement d’un attaché de presse des sanctuaires «coupable» d’avoir dénoncé les méthodes des nouveaux gestionnaires laïcs.
La grogne est d’autant plus grande que la polémique s’étend désormais
largement sur la politique sociale appliquée au personnel du sanctuaire. La
Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) n’entend du reste
pas en rester là. Elle pourrait porter le litige devant les tribunaux.
L’affaire fait actuellement grand bruit dans la presse régionale et même
au-delà. Une campagne de presse que Mgr Sahuquet, évêque de Tarbes-Lourdes,
qualifie de «très injuste à l’égard des sanctuaires». Il confirme par ailleurs le licenciement de l’attaché de presse.
Le 15 novembre 1993, Loïc Bondu, attaché de presse des sanctuaires,
étaient aux côtés de Mgr Sahuquet et du Père Bordes, recteur des sanctuaires, pour accueillir le Dalaï Lama. Un jour plus tard, ce père de trois enfants, au service de l’Eglise depuis de longues années, était licencié par
le directeur du personnel de l’Oeuvre de la grotte pour «préjudices causés
aux sanctuaires», suite à un billet dans le journal interne des employés de
la grotte.
Délit d’opinion?
Dans son billet, Loïc Bondu s’interrogeait sur les facilités offertes
par les sanctuaires pour la construction d’un hôtel «gigantesque» à proximité des lieux saints. Notamment grâce à un droit de passage sur le domaine
de la grotte accordé aux camions du chantier. «Je n’ai jamais fait l’objet
de reproches professionnels, mais il y avait des soupçons d’ordre d’opinion
car je ne défends pas la même image de l’Eglise qu’eux», déclarait-il fin
janvier dans un quotidien de la région. En mettant de plus en cause les
laïcs qui, progressivement, «ont pris en main la gestion quotidienne des
sanctuaires».
Selon Loïc Bondu, ces mêmes laïcs outrepassent leurs fonctions… cherchent à imposer une façon de penser, de gérer le domaine de la grotte qui
ne convient pas à tout le monde. «Car l’esprit d’entreprise n’est pas compaptible avec Lourdes, son message et l’oeuvre de l’Eglise». Une opinion du
reste partagée par les habitants de Lourdes à en croire un récent sondage
puisque 59,4% d’entre eux estiment que la gestion des sanctuaires doit être
confiée conjointement à des prêtres et des laïcs, contre 2% seulement en
faveur d’une administration laïque uniquement.
Polémique injuste
Les propos de l’attaché de presse n’ont pas eu l’heur de plaire. Pour
Mgr Sahuquet, Loïc Bondu «a émis une opinion personnelle en la présentant
comme étant celle des responsables des sanctuaires». Il s’agit là «d’une
faute grave» de la part d’un attaché de presse. L’évêque de Tarbes-Lourdes
ne tient pas à entrer dans la polémique faite autour de ce licenciement et
de la construction de cet hôtel. «Je la déplore et la trouve injuste. Beaucoup de choses fausses ou inexactes ont été affirmées et écrites, dit-il.
C’est vrai que nous avons accordé un droit de passage aux camions pour la
construction de l’hôtel. Nous ne l’avons pas fait payer et il n’est pas
permanent, contrairement à ce qui a été écrit».
Pour le reste, relève-t-il, il ne s’agit nullement d’un hôtel de luxe.
«Une telle autorisation regarde les pouvoirs publics uniquement. Les
sanctuaires n’ont pas à s’occuper du planning de construction de l’hôtellerie à Lourdes. Nous sommes complètement neutres dans tout cela».
Reste que l’affaire préoccupe la population locale, qui s’émeut de voir
s’ajouter un hôtel supplémentaire. 86,5% de personnes interrogées pensent
en effet que le parc hôtelier n’a pas besoin d’être encore développé. Car
si en toile de fond se profile la lutte entre petits hôtels et hôtellerie à
gros budgets, c’est aussi et avant tout la question de la vocation propre à
Lourdes qui se pose: «Avant tout religieuse ou toujours plus touristique?»
Les interrogations ne manquent pas. Du moins pour nombre d’habitants: «la
construction de cet hôtel est-elle de nature à servir les pèlerins et malades, le plus souvent dotés de petits moyens»; «Comment l’économie et le religieux peuvent se marier harmonieusement?»; «Et qui doit prioritairement
gérer les sanctuaires?»
«Par dessus la tête», de cette affaire
Le Père de Roton, qui a succédé depuis au Père Bordes comme recteur des
sanctuaires, admettait pour sa part dans un journal du Midi que «nous vivons une difficulté par rapport au vieillissement du personnel prêtre. D’où
l’appel aux laïcs… Il est vrai que les postes-clés selon la règle devraient être occupés par des prêtres et que nous ne la respectons pas. Cela dit
les laïcs qui ont une responsabilité ont une forte vie chrétienne et spirituelle. Si c’était pour l’argent, ils ne s’impliqueraient pas autant». Interrogé mardi par l’APIC, le Père de Roton s’est cependant refusé à donner
des chiffres à propos du nombre de laïcs dans l’adminisration et aux postes-clés. «On en a par dessus la tête de cette histoire.»
A la mairie de Lourdes, on souligne que l’hôtel en question est bâti sur
les lieux mêmes d’un ancien hôtel détruit dans le passé. Réduisant ainsi
démarches d’autorisations au minimum. On précise en outre que le propriétaire possède déjà deux établissements analogues en ville.
La construction dudit hôtel et le licenciement de l’attaché de presse
des sanctuaires ont mis le feu aux poudres et déclenché une polémique encore renforcée par une politique sociale appliquée aux travailleurs sociaux
jugée insuffisante. La Confédération française des travailleurs chrétiens a
en effet exprimé son désaveu de l’accord d’entreprise élaboré dans les premiers mois de 1993 par la direction des sanctuaires. La CFTC menace d’aller
devant les tribunaux parce que, explique Jacques Chassard, responsable départemental, «L’accord présente des lacunes, des erreurs et des articles
qui ne respectent pas les spécificités du code du travail et n’a pas été
négocié suivant la législation en vigueur». Une version que conteste Mgr
Sahuquet: «Nous avons voulu une convention collective selon le code du travail. La représentante de ce syndicat l’a signée. Et si le dernier l’a désavouée, cela regarde le syndicat et pas nous». (apic/pierre rottet, en
collaboration avec jean-claude noye)