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apic/Padre Paco, jésuite/ Brésil
APIC – Portrait
Rencontre avec Padre Paco, «jésuite vagabond»,
dans le Nordeste brésilien
(131095)
Propos recueillis par Bernard Bavaud, APIC
Taua, 13octobre(APIC) Le Père jésuite espagnol Francisco de Asis Maria
Almenar Burriel, 46 ans, que tout le monde appelle familièrement «Paco» au
Brésil, a trouvé la joie spirituelle du Poverello d’Assise, son patron.
Pieds nus dans ses sandales de cuir, visage maigre et barbe noire, on le
prendrait volontiers pour un homme du sertao brésilien, si ce n’était son
portugais tinté d’un léger accent venu d’Espagne. Dans sa petite maison aux
parois de terre brune à Taua, une ville du diocèse de Crateus, Paco accueille ses visiteurs en préparant un bon café à la mode des paysans de ce
coin de l’Etat du Ceara.
Paco est aimé des paysans. Ce n’est pas tous les jours qu’un prêtre
plante le maïs et le «feijao» (haricots) avec eux. Dans ce Nordeste où sévit la sécheresse, il chante de joie quand la première pluie de février annonce la future récolte. Quand il célébre la messe, Paco leur parle des
choses simples de la vie: Cà sent bon l’Evangile, car il a su avant tout
écouter les hommes, les femmes, les enfants qu’il a rencontré durant ces 18
ans. Avec une tendresse extrême reflétée dans ses yeux.
Mais juste avant de prendre le bus pour rejoindre Fortaleza, la capitale
de l’Etat, à 500 km de Taua, pour la messe d’adieu du cardinal Aloisio Lorscheider, transféré à Aparecida do Norte, près de Sao Paulo, Paco n’était
pas à la fête. Un regard très triste. Il venait de recevoir, malgré ses demandes répétées de surseoir à ce départ, une lettre de son supérieur jésuite lui demandant, définitivement, de quitter, à la fin de l’année, le Ceara
pour rejoindre Manaus, la capitale de l’Amazonie. Il avait visiblement mal,
mais avait déjà dit oui dans son coeur. Il dit: «Quel coup de massue!
«J’irai, mais continuerai de vivre au milieu des pauvres! Je leur dois tellement». Interview d’un jésuite espagnol séduit par le peuple brésilien.
APIC: Pourquoi ce dépouillement? Pourquoi un tel style de vie pour un prêtre?
Paco: J’ai assez vite compris, en vivant avec les pauvres, que l’important,
ce ne sont pas nos discours, nos homélies, nos belles paroles de prêtre qui
comptent, mais de vivre simplement la réalité quotidienne avec eux, pour
eux, sans chichi. Même si je ne serai jamais un vrai paysan, prendre une
houe sous le dur soleil et planter le feijao, c’est devenu essentiel pour
moi. Vivre dans une maison très simple, avec le stric nécessaire, un hamac
pour dormir, un coin pour cuisiner sur un feu de bois, voila des gestes
quotidiens et purificateurs. Rien d’extraordinaire. Vivre sans aucun confort, c’est un peu dur au début, mais après quelle libération!
C’est avec l’accord amical de mon évêque, dom Fragoso, qui respecte les
charismes et les choix personnels de ses collaborateurs, que j’ai choisi ma
route, sans avoir directement la responsabilité d’une paroisse. Je suis
pourtant, hors les moments du travail des champs, à disposition des communautés chrétiennes, voire des agents de la pastorale pour une retraite, une
étude biblique, mais toujours en rapport avec la vie concrète des gens. Je
ne suis pas un ermite. Je crois aussi à l’action nécessaire de l’action
syndicale, de la lutte politique, car la révolte monte parfois en moi face
à tant d’injustices. Mais mon rôle d’abord est d’écouter.
L’essentiel reste cette attention chaleureuse, joyeuse, au sens évangélique du terme, à la vie de mes voisins ou de ceux que je rencontre sur le
chemin, à pied. Accepter de s’arrêter chez les gens qui m’invitent à boire
un verre d’eau ou un «cafèzinho», quel délice, quelle rencontre privilégiée. Admirer le regard d’un enfant, savourer la sagesse populaire de personnes âgées qui racontent, avec un humour cocasse, une anecdote qui leur
est arrivée, voilà des récits à faire pâlir d’envie tous les philosophes
diplômés! Parfois, le soir, sur ma petite table, j’écris cette petite merveille. Dans ma prière du soir, il m’arrive de pleurer de joie. J’ai rencontré le Christ, en écoutant les pauvres.
APIC : Qu’est-ce qui vous a décidé à venir au Brésil?
Paco: C’est fort simple. A l’âge de 16 ans, en 1966, j’étudiais au collège
des jésuites de Valencia en Espagne. Un jeune jésuite, en partance pour le
Brésil, est venu donner une conférence dans mon collège, intitulé: «Un pays
de contrastes». Impressionné par ce que j’entendais. Puis très vite, un immense désir de faire quelque chose…
J’ai pensé devenir médecin pour aller plus tard au Brésil comme volontaire laïc. Puis, j’ai imaginé que je pourrais être jésuite. Et vivre au
Brésil le reste de ma vie. C’est ainsi qu’à 17 ans, je suis entré au noviciat de la Compagnie de Jésus.
Souvent, quand je rencontrais mes supérieurs, je leur rappelais mon désir d’aller au Brésil. Ils me répondaient toujours: «Prends patience. Tu
dois d’abord te former»…Mais, heureuse coïncidence, le général de la Compagnie, le Père Pedro Arrupe, demande alors à l’Espagne d’envoyer des missionnaires en Amérique latine. C’est ainsi qu’en 1970, je fus envoyé au
Brésil, où j’ai suivi ma formation théologique. Ordonné prêtre en 1976, je
poursuis encore mes études durant une année encore. L’année suivante, je
suis nommé curé dans une favela de la banlieue de Recife. Pour la première
fois de ma vie, je vis au milieu des pauvres. Quelques mois plus tard, j’ai
reçu la visite de quelques personnes de Crateus qui m’ont invité à visiter
leur diocèse.
J’ai tout de suite été captivé par la qualité évangélique de la pastorale de ce diocèse: la situation économique dramatique des paysans, restés
pourtant très accueillants, la valeur significative d’une pastorale diocésaine assumée ensemble par les laïcs, les religieuses, les prêtres, dom
Fragoso, un évêque qui respecte vraiment les pauvres, sans rien décider
tout seul. J’ai été séduit par l’engagement du diocèse pour la justice,
malgré les persécutions des puissants. J’ai apprécié le respect des décisions de communautés ecclésiales de base. Une réalité palpable, où l’on
sent vraiment que les pauvres sont Eglise, qu’ils nous évangélisent. Mon
supérieur jésuite a accepté que je reste dans ce diocèse. Cela fait 18 ans
que j’y suis. Un très grand bonheur.
APIC: Qu’est-ce qui a le plus touché votre coeur, durant ces 18 années ?
Paco: Sans aucun doute, ce fut le peuple pauvre, simple, en marge de la société néo-capitaliste. Je pensais que je venais éveiller la foi et l’espérance de ce peuple. Vivant avec eux, comme compagnon, j’ai rapidement perçu
que les paysans que je rencontrais avaient plus de foi et d’espérance que
moi, malgré la situation inhumaine et désastreuse dans laquelle ils se
trouvaient.
J’avais rêvé que j’allais leur révéler l’Evangile. Et ce furent eux qui
m’ont enseigné la joie de la Bonne Nouvelle et l’habitude de partager en
permanence non seulement ce qui est superflu, mais jusqu’au nécessaire pour
vivre…
Avec tous les défauts qu’ils peuvent avoir, car nous sommes tous faits
de la même pâte, ce fut avec eux que j’ai appris à marcher, main dans la
main, sur le même chemin. J’ai découvert ce que veut dire «se sentir frère», et non pas «Père», ni «Supérieur».
Les paysans du diocèse de Crateus sont devenus ma famille. Famille de
chair et d’os, de travail aux champs, d’affection, de foi, de péchés,
d’échecs et d’espérance.
APIC: Quel est justement votre espérance dans le développement du pays?
Parlez aussi de votre foi? Malgré les difficultés et les obstacles sur la
route?
Paco: J’ai vite compris qu’il était illusoire d’attendre des solutions réelles, qui puissent durer, évangéliques, de la part de ceux qui sont au
sommet du pouvoir (économique, politique, médiatique…) Malgré les promesses électorales, la masse des pauvres augmente au Brésil.
Mon espérance est dans la multiplication de petits groupes populaires,
organisés en communautés ecclésiales de bases (CEBS), associations, mouvements, syndicats, partis politiques construits à partir des revendications
de la base, avec la réelle participation et décisions de tout le monde.
Ici, nous essayons de vivre cette expérience, avec des avancées et des
reculs, avec une grande patience historique…J’y crois fermement. Cà en
vaut la peine.
Personnellement, j’ai peu de certitudes dans ma vie, mais j’en une ou
l’autre qui tiennent la route. L’une d’elles est vivre pour toujours avec
le peuple le plus pauvre, partageant la vie et travaillant ensemble pour
sortir de la misère. De cela je n’ai aucun doute. Ni que la Promesse du Père est d’abord pour les exclus.
APIC: Comment vivez-vous personnellement cette prochaine «despedida» (=dire
adieu aux gens qu’on aime), en obéissant à votre supérieur qui vous demande
d’aller à Manaus, en Amazonie?
Paco: Avec une immense confiance, mais «com o coraçao na mao» (=»avec le
coeur dans la main», expression brésilienne qui exprime l’extrême souffrance de quitter des amis très chers). Avec aussi une profonde angoisse.
Avec une immense confiance à Dieu, parce que je sais qu’Il est à Manaus,
qu’Il m’attend tel que je suis, avec toutes mes limites et toutes mes qualités de «jésuite vagabond». Jésus aussi s’y trouve, dans la personne des
plus pauvres et des plus marginalisés qui sont innombrables dans cette région du Brésil également.
«Com o coraçao na mao», parce il est très difficile de quitter tant de
personnes aimées, rencontrées ici dans le diocèse de Crateus, y compris mes
compagnons et compagnes de la pastorale avec qui je travaille depuis 18
ans. Mais ce point, bien que très douloureux, doit rester relatif, en
fonction de la mission du Royaume de Dieu. Et pour cela je ne veux pas le
mettre dans la balance de mon choix, si je dois partir ou non. S’il en
était ainsi dans la vie, je serais toujours en Espagne auprès de mes parents!
Avec une profonde angoisse, car je vois la situation concrète du diocèse
qui manque de prêtres et de religieuses pour accompagner et appuyer les 600
communautés ecclésiales de base et tous les travaux pastoraux. Il est clair
que ce sont les laïcs qui font avancer les Eglises locales, mais seulement
10 à 12 prêtres pour 22’000 km2 et 500’000 habitants, c’est vraiment trop
peu… Et aussi qu’en cette année, dom Fragoso, notre évêque, va fêter ses
75 ans en décembre. Il va donc quitter le diocèse. Rome va-t-il nous nommer
un évêque conservateur?. Comme cà été le cas – un grand malheur – à Recife,
après le départ de dom Helder Camara. Je n’ose pas y penser. Nous avons besoin de tous nous épauler dans ce moment crucial de changement d’évêque.
Alors partir maintenant à Manaus… Oui, j’ai l’impression d’abandonner le
navire au moment le plus critique.
APIC: Que pensez-vous de l’Eglise en Europe? Peut-elle apprendre quelque
chose de l’Eglise du Brésil et de ce que vous avez découvert vous-même?
Paco: Qui suis-je pour donner des conseils à l’Eglise d’Europe? Je l’a connais d’ailleurs très peu. J’habite trop loin. Je dirais pourtant que je ne
trouve absolument pas correct une aide ( qu’elle soit économique, humaine,
religieuse, culturelle ou scientifique) quand elle est unilatérale. Surtout
le part de celui qui a (ou qui croit avoir), de celui qui sait (ou qui
croit savoir), envers celui qui n’a rien (ou qui croit qu’il n’a rien ou
qui croit qu’il ne sait rien). Cela n’est pas évangélique, ce n’est pas
fraternel, mais terriblement paternaliste ou impérialiste, même avec la
meilleure bonne volonté, et les meilleures intentions de celui qui «essaye»
d’aider.
Ce que je désire de toutes mes forces, oui, c’est de multiplier les
espaces pour qu’il y ait des relations fraternelles entre nous, en donnant
et recevant, multipliant et créant des initiatives. Seulement ainsi nous
allons contruire un monde relativement neuf, à partir d’une Europe renouvelée et saine et d’une Amérique latine saine et renouvelée. (apic/ba)
E N C A D R E
Dom Aloisio, un cardinal courageux
Au moment où Paco recevait une lettre de son supérieur lui demandant
d’aller à Manaus, les journaux et la télévision de l’Etat du Céara évoquaient les adieux du cardinal Aloisio Lorscheider, archevêque de Fortaleza, une ville de plus de 2’000’000 d’habitants. Le cardinal est appelé par
le pape à exercer désormais son ministère épiscopal dans le diocèse d’Aparecida do Norte, près de Sao Paulo, le centre du plus grand sanctuaire marial du Brésil. La veille de son départ, il recevait l’hommage et la reconnaissance de plus de 50’000 catholiques du Ceara, dans le plus grand stade
de football de la ville.
Dom Aloisio, tel que l’appelaient familièrement ses diocésains, est une
figure marquante de l’aile progressiste de l’épiscopat brésilien. Franciscain, comme son ami le cardinal Paulo Arns, archevêque de Sao Paulo, il a
toujours soutenu les théologiens de la libération dans leur démarche courageuse envers une Eglise proche des plus pauvres. Au temps de la dictature
militaire, le cardinal Lorscheider n’avait pas hésité à cacher, durant plusieurs semaines, dans sa maison épiscopale, un ancien prisonnier politique
«marxiste», menacé de mort par les militaires au pouvoir. Durant cette période noire de la vie politique brésilienne, il recut des téléphones anonymes avec menaces de mort, accusé d’être «communiste» et d’inciter les travailleurs ruraux contre les grands propriétaires. Même après la dictature,
en avril 1989, le président de l’ex-Union Démocratique Ruraliste (UDR),
alors parti national des grands propriétaires terriens, Edson Lopes, avait
accusé le cardinal d’être un protecteur des «guérillas», à cause l’appui
moral qu’il donnait aux mouvements revendiquant la réforme agraire…
Le 15 mars 1994, il avait été pris en otage par plusieurs prisonniers
alors qu’il visitait les «pensionnaires» de l’Institut Pénal Paulo Sarasate
(IPPS) à Fortaleza. Un jour après avoir été libérés par les mutins, dom
Aloisio avait donné une conférence de presse. Souriant, il avait pardonné
ses aggresseurs, en disant qu’il avait été bien traité et demandait à la
police de ne pas les malmener s’il elle les retrouvait après leur fuite.
Preuve tangible de son pardon: il revenait quelques jours plus tard à la
prison, pour le Jeudi-Saint, et dans la cérémonie du lavement des pieds, il
lavait et baisait les pieds des détenus qui l’avaient séquestré. (apic/ba)
Des photos de Padre Paco et du diocèse de Crateus sont à disposition à
l’agence APIC