Quand un général soviétique, sur son lit de mort, fait découvrir Dieu à sa fille

Apic – Portrait

Soeur Teresa de Bouriatie, avec les enfants de la rue d’Oulan-Oudé

Jacques Berset, Agence Apic

Oulan-Oudé, avril 2004 (Apic) Elle a des yeux foncés, vifs et intelligents, Soeur Teresa. De quoi faire fondre la glace de plus d’un mètre d’épaisseur qui recouvre encore en cette fin avril, non loin de là, l’immense Lac Baïkal, perle de la Sibérie orientale.

Teresa accueille l’Apic à la paroisse du Sacré-Coeur d’Oulan-Oudé, capitale de la Bouriatie, une République autonome de la Fédération de Russie. Destin exceptionnel que celui de cette jeune Russe de 26 ans qui a choisi de devenir religieuse catholique grâce à son père. un général de l’Armée Rouge.

Blessé grièvement à la veille du retrait des troupes soviétiques d’Afghanistan en 1989, c’est sur son lit de mort qu’il va faire découvrir Dieu à sa famille, qui vivait jusque là sans problèmes dans l’ambiance athée de la société communiste. «Mon père a été blessé à la fin de la guerre d’Afghanistan. Il était basé à Herat, et travaillait pour les services de renseignement. le KGB», témoigne la religieuse dominicaine qui, aujourd’hui encore, ne peut cacher son émotion.

«Otche nash», «Notre Père»

A l’hôpital, entouré de son épouse et de ses trois enfants, l’officier supérieur – à la surprise générale – ne prononce que ces quelques paroles: «Dieu doit occuper la première place dans votre vie!» Et de demander à sa femme de sortir une feuille de la poche de sa vareuse. Il s’agissait d’une prière, l’»Otche nash», le «Notre Père», entendu pour la première fois par la famille médusée. «Maman, qui était médecin, découvrait tout d’un coup, alors qu’il allait mourir quelques instants plus tard, que mon père était croyant. Après toutes ces années de mariage! Elle a lu le texte puis l’a remis dans la poche; elle ne savait pas quoi en faire, tout le milieu autour de nous était communiste.»

Teresa a alors une dizaine d’années. Quand elle demande à revoir le texte de l’»Otche nash», qui l’avait tant impressionnée, sa mère déclare qu’il a été perdu avec les affaires du défunt. C’est à Minsk, en Biélorussie, où la famille s’est installée, qu’elle veut retrouver les paroles de cette prière, léguée par son père comme un testament. Elle a alors 15 ans. Elle visite des églises protestantes, orthodoxes, avant de finalement trouver ce qu’elle cherche dans une église catholique. C’est là qu’elle rencontre des religieuses polonaises. Après ses études d’infirmière, elle décide d’entrer chez les Soeurs de St-Dominique, dans une congrégation dont la maison mère se trouve à Varsovie.

Etant la seule Russe parmi les Soeurs de St-Dominique, c’est tout naturellement que sa supérieure l’a envoyée, il y a deux ans, épauler ses deux consoeurs polonaises à Oulan-Oudé. La métropole sibérienne de 400’000 habitants est située sur la ligne du chemin de fer transmongolien, à quelque 5640 Km de Moscou. C’est là qu’elle découvre une réalité sociale emblématique de la Russie de l’après communisme, où l’irruption non préparée de l’économie de marché libérale en a laissé plus d’un au bord de la route. C’est le sort des enfants de la rue – certainement un bon millier – qui l’interpelle.

Le prêtre catholique: un «espion» pour les prêtres orthodoxes

Quand elle se promène dans la rue en habit religieux, Soeur Teresa, comme ses deux consoeurs polonaises, se veut discrète. Profil bas: pas question de faire du prosélytisme et de provoquer les prêtres orthodoxes de la ville, qui ont déjà accusé le curé de la paroisse catholique, le Père Adam Romaniuk, d’être un «espion». Ils ont mis sur pied des chemins de croix anticatholiques, s’attirant même l’incompréhension de fidèles ne comprenant pas pourquoi cette haine contre la petite minorité catholique locale.

A la cathédrale orthodoxe de la Vierge Hodigitria (qui signifie «Celle qui guide, celle qui montre le chemin»), nous comprenons tout de suite que nous ne sommes pas les bienvenus: à l’entrée de l’église en pleine restauration, la librairie présente des ouvrages sur «la vérité concernant la doctrine du pape» ou les apparitions de Fatima.

Tout ici respire la méfiance envers les «étrangers»

Tout ici respire la méfiance envers les «étrangers» soupçonnés de faire du prosélytisme sur les terres orthodoxes ancestrales. Il faut reconnaître que certaines sectes évangéliques, venues de la Corée du Sud ou des Etats-Unis, font de la réclame tapageuse dans la rue, ce qui provoque des réactions bien compréhensibles de rejet.

Pour le moment, Soeur Teresa se consacre 4 jours par semaine aux enfants de la rue, aux visites des cancéreux et des tuberculeux à l’hôpital et à leur accompagnement à domicile. «Ce qui me déçoit profondément, confie-t-elle dans un bon anglais, c’est que lorsque certains médecins nous demandent de l’aide matérielle, ce n’est pas d’abord pour les enfants, mais pour eux-mêmes. On peut certes les comprendre: ils ne sont pas bien payés et manquent de l’équipement nécessaire. Mais les parents sont plus pauvres encore; certains finissent par retirer leur enfant cancéreux de l’hôpital, car ils n’ont pas l’argent nécessaire pour payer la nourriture, les vitamines.»

Des enfants cancéreux meurent à la maison, faute de moyens

Ces malades meurent sans soins à la maison, quand ils ont un foyer. Près d’un millier de gosses vivent en effet abandonnés dans la rue, trouvant un précaire refuge dans les canalisations de chauffage à distance de la ville. Leurs parents sont souvent séparés, en prison, quand ils n’ont pas sombré dans l’alcoolisme. «Nous ne donnons jamais d’habits neufs ou de nouveaux jouets à ces enfants, car les parents les revendraient pour s’acheter de la vodka», lâche Soeur Teresa.

Le coeur serré, la religieuse russe a déjà assisté au refus de laisser entrer des malades à l’hôpital, s’agissant d’enfants de la rue que les médecins ne voulaient pas voir. «Il n’y a pas beaucoup de compassion. Ici les pauvres doivent mourir avant l’heure». Conscientes qu’il s’agit d’une goutte d’eau dans océan de misère, les soeurs dominicaines, dans la mesure de leurs faibles moyens, apportent malgré tout un peu de chaleur aux gosses perdus d’Oulan-Oudé. JB

Encadré

Oulan-Oudé: La face cachée d’une grande ville industrielle de Sibérie orientale

Oulan-Oudé, pendant longtemps fermée aux étrangers en raison de la présence d’un important complexe militaro-industriel, est connue loin à la ronde pour son industrie aéronautique. Sa fabrique d’hélicoptères, qui produit aujourd’hui les performants Kamov Ka-60, jouit d’une renommée internationale. Mais, depuis la chute du communisme, une profonde crise s’est installée dans la métropole industrielle. Les commandes de l’Etat pour les équipements ferroviaires, l’industrie des machines ou l’équipement militaire se font plus rares, de nombreux ouvriers sont désormais sans travail. Le chômage touche officiellement près d’un cinquième de la population active, sans compter le sous-emploi. Selon le Ministère de la Santé publique de la République de Bouriatie, l’espérance de vie moyenne est tombée à 56,3 ans pour les hommes et 70 ans pour les femmes. Les maladies «sociales» comme la tuberculose – notamment dans les prisons – sont en pleine expansion, en raison de l’effondrement des services de santé et du manque de moyens financiers. JB

Encadré

Oulan-Oudé, une cité fondée par les cosaques sur les marches de l’empire

La cité, fondée par les cosaques en 1666 sous le nom de Verkhné-Oudinsk, et qui abrite aujourd’hui quelque 60 nationalités diverses, a été conçue comme un avant-poste sur les marches orientales de l’empire russe, aux frontières de la Mongolie et de la Chine. Le tsar y envoyait pour coloniser ces immenses terres des paysans ou des conscrits, mais également des personnes bannies pour raisons politiques. La déportation en Sibérie n’a pas été qu’une spécialité soviétique: de nombreux patriotes polonais ont été déportés suite à un «oukase» du tsar. Mais sous Staline, des centaines de milliers d’Allemands, de Polonais, de Lituaniens ou d’Ukrainiens ont été transportés au-delà de l’Oural dans des wagons à bestiaux. JB

Encadré

Renaissance des communautés religieuses après la persécution de l’ère stalinienne

La persécution religieuse de l’ère stalinienne dans les années 30 a vu la destruction d’un grand nombre de temples bouddhistes – la minorité mongolo- bouriate est d’obédience bouddhiste tibétaine mâtinée d’un fond chamaniste millénaire -, d’églises orthodoxes et d’autres lieux de culte. En 1917, avant la Révolution d’Octobre, le territoire de la Bouriatie (351’300 Km² pour un peu plus d’un million d’habitants), comptait 44 datsans (monastères bouddhistes), 144 temples bouddhistes, 211 églises orthodoxes russes, 7 synagogues, 6 mosquées, 5 lieux de prière baptistes. De l’église catholique, bâtie aux XIXe siècle par des exilés polonais, il ne reste aujourd’hui plus aucune trace. On comptait également 81 lieux de prière de la communauté des orthodoxes vieux-croyants, les célèbres «raskolniks» (schismatiques du XVIIe siècle), déportés et envoyés coloniser la Transbaïkalie. Depuis 1991, une partie des édifices religieux encore existants ont été restitués, tandis que d’autres ont été reconstruits.

Une quarantaine de catholiques pratiquants

La paroisse catholique du Sacré-Coeur d’Oulan-Oudé a pu se faire enregistrer officiellement en 1999. Le curé, Adam Romaniuk, un prêtre polonais fidei donum âgé de 38 ans, célébrait la messe dans un appartement privé transformé en chapelle pour la circonstance. La paroisse compte une quarantaine de catholiques pratiquants, les fidèles étant plus nombreux pour les grandes fêtes. Impossible dans ce cas de tous les caser dans un appartement. Grâce à l’aide d’oeuvres d’entraide internationales, dont l’»Aide à l’Eglise en Détresse» (AED), le Père Romaniuk a pu réaliser son rêve: bâtir une vraie église et un centre paroissial, avec des locaux annexes pour les activités sociales et pastorales. Au sous-sol, le bureau de la Caritas, les douches pour les enfants de la rue, les salles pour la catéchèse et les devoirs scolaires ainsi que pour la bibliothèque, sont en voie d’achèvement. JB

Si vous désirez soutenir l’activité de Soeur Teresa et de la paroisse du Sacré-Coeur, contacter l’Antenne pour la Suisse romande et italienne Ch. Cardinal-Journet 3 CH-1752 Villars-sur Glâne

Tél. 026 422 31 60 Fax 026 422 31 61 Compte chèque postal n°: 60-17700-3

Photos de l’Eglise d’Oulan-Oudé disponibles à l’agence Apic: apic@kipa- apic.ch, Tél. 026 426 48 01, Fax 026 426 48 00 (apic/be)

29 avril 2004 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 7  min.
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