APIC Portrait
Cameroun: Sœur Marie Roumy, la «mama camérounaise» aux côtés des pauvres de Douala
L’épopée du quartier «Nylon»
Martin Luther Mbita, APIC
Douala, 4 mars 2001 (APIC) Sous l’impulsion de la «mama camérounaise», écoles, hôpitaux, petit commerce, foyers pour réhabilitation des enfants de la rue ont vu le jour dans les quartiers pauvres de la capitale du Cameroun. Arrivée en 1949 comme enseignante dans un collège missionnaire de Douala, sœur Marie Roumy de la congrégation des missionnaires du Saint Esprit, a convaincu gouvernement et banque mondiale de transformer le quartier «Nylon». La religieuse met beaucoup d’espoir dans les jeunes formés dans les ateliers qu’elle a créés: «ils sont la relève de demain».
Marie Roumy enseigne d’abord au collège Saint Esprit de Douala. Elle y occupe le poste de Directrice de ce même collège et se rend compte que les Camerounais sont capables d’occuper ces mêmes fonctions. Elle abandonne son poste pour aider la population à assimiler des connaissances de base.
Avec la permission de ses supérieures, Sœur Marie Roumy s’installe au quartier Nkongmondo, un quartier pauvre de Douala. Pendant trois ans, elle instruit les femmes du quartier. En 1975, elle rentre en France pour suivre une formation en éducation populaire pendant trois ans. De retour à Douala, elle s’installe au quartier Nylon, autre quartier des déshérités de Douala. Elle invente l’aménagement les routes avec les moyens artisanaux. Le gouvernement camerounais soutient ses travaux.
Fournir des emplois aux jeunes
La Banque Mondiale et le gouvernement camerounais décident de viabiliser le quartier Nylon. «Lorsque je suis arrivée pour la première fois dans ce quartier en 1971, il n’y avait rien du tout. Les marchés, les maisons, les centres de santé y ont fleuri. Il fait bon vivre dans ce quartier aujourd’hui, constate Sœur Marie Roumy. Cet engouement des populations pour l’amélioration de leurs conditions de vie a poussé le gouvernement camerounais à drainer le quartier et les inondations ne menacent plus les populations.La Suisse a fait don certains équipements aux écoles et hôpitaux du quartier «Nylon». La Banque Mondiale a financé la construction de ces infrastructures. Sœur Marie Roumy s’est rendue compte que les jeunes étaient marginalisés, chômeurs et qu’il fallait trouver un moyen pour éviter qu’ils ne se transforment en bandits de grand chemin. Des ateliers de couture, de fabrication de confiture, des menuiseries ont été créés pour les jeunes.
Mille enfants ont quitté la rue
«Pour entrer en communication avec les jeunes, il faut leur parler d’emploi» a-t-elle déclaré à l’APIC. Sœur Marie Roumy a également lancé des Centres de formation à l’artisanat pour les jeunes paumés. L’œuvre de cette sœur que d’aucuns appellent affectueusement la «mama Camerounaise» s’étend également sur les enfants de la rue et les prostituées. Avec le concours de certains bienfaiteurs, elle a créé à Douala des foyers d’écoute, d’observation et d’hébergement de filles prostituées. Près de 1’000 jeunes ont abandonné la rue pour réintéégrer leurs familles. «Le Cameroun c’est ma seconde patrie. J’ai été adoptée par ses habitants». Sœur Marie Roumy s’est en effet acquis le respect des milieux politiques. Elle craint cependant de voir son œuvre réduite à néant, si elle quitte le pays. La jeunesse qu’elle a formée et constitue cependant la relève. (apic/mbt/mjp)
Rencontre avec le cardinal Jan Korec,
APIC – Portrait
évêque du diocèse de Nitra, en Slovaquie
Une Eglise en chantier
Jacques Berset, agence APIC
Nitra (APIC) Hérissé d’échaffaudages, des ouvriers affairés autour du bel
édifice, l’imposant palais épiscopal sur la colline du château dominant la
ville de Nitra, en Slovaquie occidentale, symbolise à lui seul la réalité
actuelle de l’Eglise slovaque: un immense chantier, peut-être plus vaste
encore sur le plan spirituel qu’au niveau de la reconstruction matérielle.
Un chantier sur lequel de nombreux ouvriers sont à l’ouvrage. Parmi eux, le
cardinal Jan Korec, aujourd’hui évêque de Nitra, après avoir longtemps dirigé l’Eglise clandestine de Slovaquie, de son appartement du quartier populaire de Petrzalka, à Bratislava.
Fier de son diocèse – il fut le premier à être érigé sur le vaste territoire d’Europe centrale et orientale par le pape Jean VIII en 880, encore
du vivant de Saint Méthode, «l’apôtre des Slaves» – le religieux jésuite
l’est certainement. Mais après 40 ans de dictature communiste et de construction de «l’homme nouveau», le prestigieux diocèse de Nitra demande un
renouveau spirituel et un approfondissement de la foi, «à l’instar de l’ensemble de la nation slovaque, sans oublier les fidèles d’origine hongroise
qui vivent aussi sur notre territoire».
Dans ce but, les évêques slovaques ont lancé il y a bientôt deux ans la
«décennie de renouveau spirituel», une campagne qui touche tous les diocèses ainsi que l’éparchie gréco-catholique de Presov. Chaque année a son
thème, traitant par exemple des grands documents de l’Eglise comme les encycliques. Les médias de l’Eglise, les mouvements de laïcs, les congrégations religieuses relayent tant bien que mal la réflexion à la base. Pas
facile cependant, dans un pays bien plus laïcisé que ce que l’on admet généralement, de trouver le langage et les méthodes adaptés à la nouvelle
réalité d’une société démocratique et pluraliste. Les recettes qui ont fait
leur preuve dans la clandestinité ne sont pas transposables telles quelles.
Le problème essentiel: le renouveau spirituel
Le renouveau spirituel, estime le cardinal Korec, est la priorité des
priorités en Slovaquie: les réformes politiques et les restructurations
économiques ne pourront réussir que si les gens changent. «Nous pouvons
avoir en Slovaquie de nouveaux entrepreneurs, de nouveaux capitalistes, un
système libéral, mais si nous ne changeons pas les hommes, leur caractère,
leur conscience, nous n’arriverons à rien… ce sera seulement la jungle».
Ainsi, relève l’ancien évêque clandestin, l’Eglise a la tâche essentielle
de donner un sens et une signification à la société.
«Je le dis aux ministres: votre tâche est d’organiser la société d’un
point de vue technique, mais le fondement, c’est le christianisme qui doit
le donner, l’Eglise. L’on voit où l’on en est arrivé chez nous pour avoir
cherché à ’athéiser’ toute une nation: c’est la dévastation totale, de
l’homme jusqu’à l’environnement!». En effet, «un homme qui a perdu tout
sens spirituel ne s’inquiète pas de la pureté de l’eau».
Plus de prêtres, davantage d’instruction religieuse
C’est pourquoi le cardinal Korec insiste beaucoup sur le développement
des séminaires, des écoles chrétiennes et de l’instruction religieuse des
jeunes. Au niveau de la formation sacerdotale, les premiers fruits ne se
sont pas fait attendre. «A l’époque communiste, c’était le numerus clausus:
pour toute la Slovaquie, nous n’avions droit qu’à 25 nouveaux séminaristes
par année. Aujourd’hui, pour l’ensemble de la Slovaquie, nous avons en tout
760 séminaristes». L’intérêt pour l’instruction religieuse a aussi fortement augmenté, jusqu’à dix fois plus dans certaines paroisses. Des cours de
formation de trois mois pour catéchistes ont attiré déjà plus de 500 personnes rien que pour le diocèse de Nitra.
Face à la rapide pénétration dans les moeurs du «libéralisme occidental», l’ancien prisonnier politique lance: «Croyez-vous que l’on aurait pu
survivre de si longues années en captivité si l’on avait été si permissifs,
si personne n’avait eu de courage et de sens du sacrifice… Cependant, il
ne faut pas juger l’Occident en bloc. Quand on considère tout ce qui se
fait pour aider le tiers monde et les Eglises de l’Est, on ne peut pas dire
que tout est perdu et que plus personne là-bas n’a la foi!»
Evêque à 27 ans
Cet hommage aux chrétiens de l’Ouest, l’évêque de Nitra tient à le rendre, car trop souvent, dans les milieux de l’Eglise à l’Est, l’on considère
l’Occident comme «décadent et corrompu». Aujourd’hui, installé par Jean
Paul II sur le siège de Nitra, Mgr Korec trouve que cette nouvelle mission
pèse très lourd sur ses épaules, comme lorsqu’il fut clandestinement consacré évêque en 1951, en pleine persécution religieuse, … à l’âge de 27
ans. Difficile, en effet, à près de 69 ans, de s’adapter à cette nouvelle
activité. Avec un sourire entendu, il se qualifie d’»évêque-ouvrier»: il
revêtirait à nouveau volontiers le bleu de travail – qu’il a porté de si
longues années – pour aider à la construction du nouveau séminaire.
Mgr Korec a dû vivre plus de 38 ans dans la clandestinité et travailler
dans plusieurs entreprises comme ouvrier. Il fut arrêté en 1960, notamment
parce que la STB, la police de sécurité communiste, avait découvert qu’il
ordonnait des prêtres clandestinement. La STB ne connaissait alors que
trois cas, mais voulait savoir les noms. Mais Mgr Korec n’avait que des
noms de code, pour ne pas se trahir. Il fut alors condamné à 12 ans de prison pour activités contre l’Etat; il en a purgé effectivement 8. Il fut libéré durant l’ère de Dubcek, le «Printemps de Prague, qui nous a permis
près d’un an de liberté… avant l’arrivée des chars des ’frères’ du Pacte
de Varsovie: ce fut alors une période de normalisation menée très à fond,
mais certainement pas aussi terrible que la persécution des années 50».
«Chef» de l’Eglise clandestine
Jusqu’à la «révolution de velours» de novembre 1989, l’évêque jésuite,
bien qu’il ne pût célébrer la messe que dans des appartements privés, a
réussi à développer une activité clandestine très élaborée, en lien notamment avec de nombreux mouvements laïcs. Il était considéré comme le chef de
l’Eglise clandestine de Slovaquie grâce à son charisme. Son appartement
dans l’immense quartier populaire de Petrzalka (130’000 habitants, sur la
rive droite du Danube) était devenu un centre de référence pour de nombreux
laïcs et prêtres, désorientés par les manoeuvres de «Pacem in terris»,
l’organisation sacerdotale contrôlée par les autorités communistes.
«A l’époque, je ne craignais déjà plus la répression comme avant, dit-il
en plaisantant, et nous disions que si nous devions être à nouveau arrêtés,
il fallait travailler d’autant pour que cela en vaille au moins la peine».
Durant ces quatre décennies d’activités comme évêque clandestin, il avoue
avoir ordonné secrètement quelque 120 prêtres, tous membres de congrégations religieuses. Pas question cependant de les inscrire sur des registres, la STB avait mis son appartement sous haute surveillance et les
fouilles n’étaient pas rares! Durant des années, dans l’appartement de deux
pièces qu’il partageait avec un ingénieur, également jésuite, il n’a jamais
parlé à voix haute… micros obligent. Mgr Korec maintenait cependant des
contacts avec des familles chrétiennes, organisait des retraites, des cours
pour les jeunes et étudiants, publiait des revues clandestines, des «samizdats», traduisait des livres.
Le religieux jésuite a même réussi à écrire durant cette période, le
soir après le travail à l’usine, dans les moments de repos, une soixantaine
d’ouvrages, dont certains atteignent les 500 pages. Ces recherches, effectuées sans l’aide d’une grande bibliothèque et la plupart du temps sans accès aux ouvrages édités à l’étranger, mais rédigés à partir de notes et
d’entretiens, analysent par exemple la compétence de la science ou la naissance et le développement de la vie, la provenance de l’homme, le mariage
et la famille, l’athéisme, la mission du prêtre ou sont des recherches et
réflexions théologiques. Il a appelé cette collection d’ouvrages manuscrits
– dont plusieurs ont été édités ensuite à l’étranger – la «Bibliothèque de
la foi» (Kniznica Viery).
Mgr Korec nous montre alors fièrement ses paquets de notes reliés avec
de la ficelle, qui étaient ensuite recopiées fidèlement par un réseau de
croyants à travers tout le pays: «En six mois, il y en avait déjà entre 500
et 1’000. Plus tard, grâce à un membre du parti communiste qui voulait certainement gagner de l’argent, j’ai réussi à faire faire des photocopies des
manuscrits pour au moins 200’000 couronnes. Pour nous, à l’époque, cet argent n’avait aucune valeur…». Toutes ces activités clandestines – en
vingt ans, Mgr Korec a calculé qu’il a reçu, rien que dans son appartement,
plus de 60’000 visites – ne passaient pas inaperçues. Elles étaient aussi
un reproche vivant pour les prêtres et les évêques officiels qui exerçaient
leur ministère sous la pression incessante de la police et des secrétaires
affectés à la surveillance de l’Eglise: ils étaient partout, dans les chancelleries épiscopales, assistaient aux conversations, rédigeaient des rapports, etc. Beaucoup d’ecclésiastiques ne pouvaient résister à cette tension constante et ont collaboré au sein de «Pacem in terris».
«On pouvait avoir de la compréhension pour eux, certains voulaient malgré tout bien faire. Mais quand le pape Jean Paul II a publié son document
«Quidam episcopi» en mars 1982, c’était devenu clair qu’on ne pouvait pas
collaborer avec ’Pacem in terris’. Cela a été d’autant plus pénible de voir
que tous n’ont pas alors quitté cette organisation…». Ce reproche visible
et ce point de repère au milieu du doute – les fidèles savaient que Mgr Korec était connu du pape Paul VI puis du pape Jean Paul II – irritaient tellement le pouvoir communiste que des hommes de main n’ont pas hésité à dévisser à plusieurs reprises les boulons des roues de sa voiture. Un banal
accident de la route, comme cela est arrivé à la même époque à un évêque
ukrainien, pour éliminer ce grain de sable qui enrayait la machine mise
soigneusement en place pour éliminer toute trace de la foi en Tchécoslovaquie, au nom de la construction de l’»homme nouveau». Mais l’»Histoire» en
a voulu autrement! (apic/be)
Encadré
Mgr Jan Chryzostom Korec est né à Bosany, dans le diocèse de Nitra, le 22
janvier 1924. Jésuite, il a été ordonné prêtre en octobre 1950 et, durant
la persécution stalinienne, consacré clandestinement évêque le 24 août
1951, à l’âge de 27 ans. Le pape Jean Paul II l’a nommé évêque de Nitra le
6 février 1990 et créé cardinal lors du Consistoire du 28 juin 1991, en même temps que le cardinal Henri Schwery, évêque de Sion. (apic/be)