Genève: La ville de Calvin vue par des brasseurs de bière

Apic reportage

Genève doit prendre davantage d’initiatives avec son réformateur

Georges Scherrer, Apic / Traduction: Bernard Bovigny

Genève, 9 janvier 2009 (Apic) Il y a 60 ans, la seule brasserie installée à Genève fermait ses portes. Il y a quelques années, les deux frères Papinot décident de lancer une bière dans la «cité du bout du lac». Ils ont cherché un nom original pour leur nouveau produit et sont tombés d’accord sur celui du réformateur Calvin, dont on fête cette année le 500e anniversaire de la naissance. Celui-ci est malheureusement, «bien trop mal considéré» à Genève, déplorent les frères Papinot.

Les deux brasseurs ont d’abord pensé à nommer leur produit «Bière du jet d’eau», mais ils n’ont pas été convaincus par ce nom. C’est alors que Laurent Papinot, qui oeuvre dans le domaine commercial – alors que son frère est enseignant – a une inspiration. Il contemple une gravure montrant le réformateur genevois et où figure le nom latin «Calvinus». Une nouvelle bière est née. L’inspiration s’étend alors à l’ensemble de l’étiquette qui sera accolée sur la bouteille.

Les deux frères, issus d’un milieu plutôt catholique, avaient quelques connaissances scolaires sur le réformateur. Ils apposent des informations sur la vie et l’enseignement de Calvin sur leur bière. Sur les bouteilles de bière blanche, par exemple, l’histoire porte le titre «In birae predestinas» (Dans la bière, la providence). Le texte aborde l’enseignement providentiel de Calvin.

La ville de Genève est entourée du Lac Léman, de la chaîne du Jura et des contreforts des Alpes. Sa situation géographique confinée influence le sentiment de ses concitoyens, estime Laurent Papinot. De même pour la présence de la cathédrale, qui surplombe la cité et rappelle la présence de son illustre prédicateur Calvin. Jusqu’à maintenant, les Genevois n’ont pu se défaire de l’ombre puritaine de Calvin, affirme le brasseur, qui porte un regard presque envieux sur la Zürich de Zwingli: «A Genève, une vie nocturne comme celle que connaît Zürich n’est pas possible».

Visage austère pour une bière

Le visage austère de «Calvinus» qui figure sur les étiquettes contraste avec le contenu, une délicieuse bière. Le réformateur a le regard fixe. Une puissante barbe émerge de son menton et sa légendaire casquette semble collée à la tête. L’expression du visage est austère et pratiquement absente. Avec ses enseignements et sa vision rigoureuse de l’Eglise, Calvin a plongé Genève dans une période sombre. Un des événements les plus tragiques a été la condamnation au bûcher du scientifique et théologien Michael Servetus en 1553. «Calvin a freiné le développement des sciences à Genève durant un siècle», estime Laurent Papinot. Malgré cela, les deux frères ont brassé leur bière au nom de Johannes Calvin, mais aussi en souvenir «des scientifiques pourchassés», comme l’atteste l’histoire qui accompagne la bière blonde, intitulée «In blondae cupiditas» (Dans la blonde, l’envie).

Mais pourquoi, finalement, avoir rendu hommage à Calvin? «Post tenebrae dignitas» (Après les ténèbres, la dignité): tel est le titre de l’histoire apposée sur la bière noire. Sur l’étiquette, la tête du réformateur prend une teinte foncée et elle exprime explicitement le non-sens des réprimandes à l’égard des personnes de races différentes, explique Laurent Papinot. Cette histoire rappelle que Genève, placée sous la domination du réformateur, était une ville dans laquelle se trouvaient 15’000 réfugiés issus de toute l’Europe. Calvin a ancré la réputation de Genève en tant que ville ouverte au monde, selon Laurent Papinot. Aujourd’hui, la ville de Calvin est d’ailleurs celle qui compte le plus d’étrangers en Suisse: 45% de la population. Ils sont de 180 nationalités différentes.

Retenue genevoise face à Calvin

Le brasseur fait ensuite référence à une autre attitude des Genevois à l’égard de leur célèbre citoyen. La ville doit en partie sa renommée internationale au réformateur, dont le nom est intrinsèquement lié à Genève dans le monde entier. Et pourtant, les Genevois ont toujours fait preuve d’une certaine retenue lorsqu’il est question de Calvin. Le dernier exemple est lié au Jubilé pour le 500e anniversaire de la naissance du réformateur, en 2009. Le Grand conseil genevois ne veut consacrer que 500’000 francs pour ces festivités. Denis Etienne, rédacteur en chef adjoint de la «Tribune de Genève», commente dans l’édition du 27 novembre» «Les autorités genevoises semblent ignorer que les guerres de religion ont pris fin». On devrait, semble-t-il, rappeler aux autorités politiques que le réformateur jouit d’un rayonnement mondial. Denis Etienne rappelle qu’au Musée d’histoire de Berlin – «où Calvin ne s’est pourtant jamais rendu» – plus d’un million de francs a été consacré à une exposition sur le réformateur.

Laurent Papinot partage entièrement le point de vue de Denis Etienne. Sa bière illustre bien le pouvoir exercé par le nom de Calvin. Il est persuadé qu’elle n’aurait jamais rencontré le succès qu’elle connaît actuellement si elle n’avait pas porté le nom de «Calvinus». Elle est actuellement servie dans près de 60 des 2’500 cafés, bars et restaurants que compte la ville. Le réformateur a également permis l’ouverture de la diffusion de «sa bière» à l’étranger.

A boire sans modération

Deux questions se posent encore: Les frères Papinot auraient-ils pu brasser leur bière à l’époque de Calvin, dans une Genève où régnait une discipline rigide? Laurent Papinot réfléchit, puis affirme: «Au début de la domination de Calvin sur la ville, oui. Mais peu après, certainement plus». Deuxième question: Combien de bières peut-on boire en un soir, en tenant compte de l’enseignement de Calvin sur la modération? Laurent Papinot ne répond visiblement pas en tant que disciple du réformateur, mais comme brasseur, amateur de bière et commerçant: «Autant que l’on peut».

Un point d’attention lorsque l’on déguste une «Calvinus»: des histoires sur le temps de la réforme à Genève sont imprimées sur les bouteilles. Sur l’une d’elles apparaît un botaniste et astrologue du nom de Jean-Baptiste Cern. Ce n’est pas lui qui a donné son nom au Centre de recherche nucléaire CERN, précise Laurent Papinot en souriant. Mieux: il n’a même jamais vécu. Il ne faut donc pas croire à tout ce qui se trouve sur les bières. Tout comme il ne faut pas croire à tout ce qui se raconte sur Calvin.

Note: Des photos illustrant cet article peuvent être commandées à kipa@kipa-apic.ch. Prix de diffusion: 80 frs la première, 60 frs les suivantes.

Encadré:

Arrivé à Genève par accident en 1536

Jean Calvin est né le 10 juillet 1509 à Noyon, en France, à environ 100 km au nord de Paris, sous le nom de Jean Cauvin. Son père y était notaire du chapitre de la cathédrale, un laïc au milieu du clergé. A 14 ans, ses parents l’envoient à Paris, au Collège de la Marche, puis au Collège de Montaigu. Certains amis de Calvin sont des sympathisants de la Réforme ou se sont même convertis. Ce n’est pas le cas de Calvin. La polémique de Luther contre Zwingli lui semble trop virulente. C’est en 1528 que Calvin commence ses études de droit, à Orléans, puis à Bourges. Après la mort de son père en 1531, Jean Calvin part pour Paris et se consacre surtout à des études littéraires, en plus du droit. La conversion de Calvin à la réforme a lieu en 1533 ou 1534, selon les interprétations de sa biographie.

Installé à Bâle, il prend le pseudonyme de «Lucianus», une anagramme de Calvinus. En août 1535, il termine un catéchisme, qui sera édité en mars 1536 sous le titre «Institutio christianae religionis» (Institution de la religion chrétienne). En voulant se rendre de Paris à Strasbourg, en 1536, il doit passer par Genève en raison de la guerre entre le roi François Ier de France et l’empereur Charles. Il y est retenu par Farel, qui y a introduit la réforme en 1535. Calvin restera deux ans à Genève, avant de se rendre à Strasbourg. En 1541, après des mois d’insistance des Genevois, il se rend à nouveau dans leur ville. Contrairement à ses plans, il n’y reste pas seulement quelques mois mais jusqu’à sa mort, en 1564.

Encadré:

«L’année Calvin 09»

Environ 80 millions de protestants, dans 107 pays, se reconnaissent dans l’héritage de Jean Calvin, né en 1509. C’est dans cette ville qu’a été lancée, début novembre 2008, «l’année Calvin 09» qui est riche en événements, avec des livres, des expositions, du théâtre, des concerts ou même des chocolats. Le réformateur est en effet né le 10 juillet 1509.

Cet anniversaire est célébré avec la publication de plusieurs ouvrages, une exposition intitulée «Une journée dans la vie de Jean Calvin» au Musée international de la Réforme, des concerts et des conférences ou encore avec un «Calvindrier» illustré par une quinzaine de dessinateurs genevois de BD et un rallye oecuménique pour les enfants. Le 10 juillet 2009 se déroulera une fête avec les communautés étrangères. Parmi les «produits» mis à disposition du public figurent même des chocolats spécialement élaborés par un maître chocolatier de Vevey pour «réformer nos papilles».

(apic/gs/bb)

9 janvier 2009 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture: env. 6 min.
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