Après «l'ingérence» de Constantinople en Ukraine, fort risque de schisme dans l’orthodoxie

Le Patriarcat de Constantinople s’est «ouvertement engagé sur le sentier de la guerre» en nommant des «exarques» à Kiev pour préparer «l’autocéphalie» (indépendance) de l’Eglise schismatique du métropolite Philarète de Kiev. Cette sévère mise en garde est le fait du métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou.

Le Patriarcat de Moscou prendra des mesures sévères si Constantinople poursuit dans sa volonté de s’ingérer dans les affaires internes de l’Eglise orthodoxe ukrainienne. Cette «ingérence grossière et sans précédent» du patriarche Bartholomée sur le territoire canonique de l’Eglise orthodoxe ukrainienne «menace de provoquer un schisme dans l’orthodoxie», lance le métropolite Hilarion.

Des raisons politiques

Le responsable de la plus grande Eglise orthodoxe au plan mondial fustige la décision de Constantinople d’envoyer des représentants spéciaux chargés de travailler à l’achèvement du projet d’octroi de l’autocéphalie (indépendance totale) à l’Eglise ukrainienne, qui serait ainsi détachée du Patriarcat de Moscou. Le président ukrainien Petro Porochenko et les milieux nationalistes ukrainiens veulent, essentiellement pour des raisons politiques, mettre sur pied une Eglise nationale ukrainienne.

En avril dernier, en effet, le président Porochenko et les deux Eglises non canoniques (voir ci-dessous) se sont tournés vers le patriarche de Constantinople Bartholomée, qui jouit d’une primauté d’honneur dans l’orthodoxie mondiale. Ils lui ont demandé d’unifier sous son autorité l’ensemble des Eglises du pays en une Eglise «autocéphale», c’est-à-dire indépendante.

Bartholomée 1er, Patriarche œcuménique de Constantinople | © Jacques Berset

Le métropolite Hilarion, numéro deux du Patriarcat de Moscou, le 8 septembre 2018, dans une déclaration sur la chaîne de télévision  Rossia 24, affirme que le patriarche Bartholomée «répondra personnellement de cet acte au tribunal de Dieu et au tribunal de l’histoire». Il exhorte Constantinople à ne pas préférer la logique politique à la logique canonique.

Risque pour la communion entre Moscou et Constantinople

«Ce n’est pas seulement une guerre contre l’Eglise russe, ni contre le peuple orthodoxe ukrainien. En définitive, c’est une guerre contre l’unité de l’orthodoxie mondiale (…) L’Eglise orthodoxe russe n’acceptera pas cette décision. Nous serons forcés de rompre la communion avec Constantinople», assène le métropolite Hilarion.

«Le patriarche de Constantinople n’aura plus aucun droit à s’appeler, comme il le fait maintenant, ‘chef d’une population orthodoxe de 300 millions de personnes sur la planète’. La moitié des orthodoxes, pour le moins, ne le reconnaîtra plus. En définitive, il divisera par ses actes toute l’orthodoxie mondiale».

L’autocéphalie octroyée à des «schismatiques»

«Si Constantinople mène à bien son plan perfide d’octroi de l’autocéphalie, cela signifie que c’est un groupe de schismatiques qui recevra cette autocéphalie. L’Eglise canonique d’Ukraine ne l’acceptera pas, ni l’Eglise russe. Et nous n’aurons pas d’autre choix que de rompre la communion avec Constantinople».

Le métropolite Hilarion estime que l’envoi «illégal» de ces deux représentants spéciaux sans l’accord du patriarche Cyrille de Moscou et du métropolite Onuphre de Kiev «constitue une ingérence grossière et sans précédent d’une Eglise sur un territoire canonique possédant sa propre Eglise locale, qui répond seule de la population orthodoxe de ce pays». Cette décision du patriarche Bartholomée et de ses confrères «menace l’unité de la Sainte Orthodoxie».

Moscou promet des mesures sévères

Et Mgr Hilarion de menacer: le Patriarcat de Moscou prendra des mesures sévères si Constantinople prenait des décisions «irréparables» à propos de l’Ukraine. L’Eglise orthodoxe russe est déterminée à faire «tout son possible» pour persuader le Patriarcat œcuménique de Constantinople de ne pas s’ingérer dans les affaires ecclésiastiques de l’Ukraine, a déclaré dimanche soir 9 septembre 2018 Vladimir Legoyda, chef du Département Synodal pour les relations avec l’Eglise, la société et les médias.

L’épiscopat de l’Eglise orthodoxe ukrainienne canonique – à laquelle appartiennent plus de 12’000 paroisses et quelque 200 monastères – s’est prononcé unanimement pour le maintien de son statut actuel. L’Eglise orthodoxe ukrainienne, largement auto-administrée, fait partie du Patriarcat de Moscou et ne compte pas faire sécession.

Selon un communiqué publié le 7 septembre 2018 par le secrétariat général du Saint-Synode de l’Eglise de Constantinople, deux de ses hiérarques – l’archevêque Daniel de Pamphilon (Etats-Unis) et l’évêque Hilarion d’Edmonton (Canada) – ont été nommés au poste d’exarques du Patriarcat de Constantinople à Kiev.

Sur fond de confrontation politique aiguë

L’unité de l’Eglise orthodoxe russe remonte à l’an 988, date à laquelle le prince Vladimir fit baptiser la Rus’ de Kiev. «Ce sont les schismatiques (de Philarète Denissenko, patriarche autoproclamé de Kiev, ndr) qui ont parlé d’autocéphalie. Pour être précis, ils ne l’ont pas demandée, ils ont déclaré: voyez-vous, nous avons déjà l’autocéphalie, vous n’avez plus qu’à la reconnaître».

«Bien entendu, tout cela se produit sur fond de confrontation politique aiguë, poursuit le numéro deux du Patriarcat de Moscou. Bien plus, ce n’est pas par hasard que le patriarche de Constantinople se montre aussi pressé. Il comprend que les jours des autorités ukrainiennes actuelles sont comptés: les élections auront lieu au printemps prochain, et il est hautement probable que ce soient d’autres forces qui arriveront au pouvoir, qui ne soutiendront pas les prétentions papistes de Constantinople. C’est pourquoi ils s’efforcent de commettre leurs méfaits le plus vite possible».

Constantinople accusée d’avoir agi ” bassement et traîtreusement»

Le métropolite Hilarion rappelle que la rencontre du 31 août 2018 à Istanbul entre le patriarche Cyrille de Moscou et le patriarche de Constantinople fut «un entretien tout à fait civilisé, poli, je dirais même fraternel». Il déplore par conséquent le fait que Constantinople ait ensuite agi «de notre point de vue, bassement et traîtreusement» en envoyant des exarques en Ukraine sans l’accord ni du patriarche de Moscou, ni du métropolite Onuphre de Kiev». Le patriarche Bartholomée avait pourtant souvent affirmé que le Patriarcat de Constantinople reconnaissait dans le métropolite Onuphre «l’unique chef canonique de l’orthodoxie en Ukraine».

Le Synode épiscopal de l’Eglise russe hors-frontières, présente en Amérique du Nord, en Europe, en Australie, en Nouvelle-Zélande et dans d’autres pays occidentaux, a, à son tour, exprimé sa «profonde indignation devant la criante violation des saints canons par l’Eglise orthodoxe de Constantinople» suite à la nomination d’exarques du Patriarcat de Constantinople à Kiev. JB


Les Eglises orthodoxes ukrainiennes:

– L’Eglise orthodoxe ukrainienne (EOU-PM), regroupée derrière le métropolite Onuphre, est rattachée au Patriarcat de Moscou.

– Le Patriarcat de Kiev (EOU-PK), a été fondé après la chute de l’URSS en 1992 par Philarète (Denissenko), ancien métropolite de Kiev de l’Eglise russe, qui s’est autoproclamé patriarche et a été excommunié. Cette Eglise n’est pas reconnue par l’ensemble de l’orthodoxie (elle est non-canonique), mais elle bénéficie depuis ses origines du soutien des autorités de Kiev.

– La troisième, l’Eglise ukrainienne autocéphale (EUA), est très minoritaire et se trouve essentiellement à l’ouest du pays. Elle n’est pas canonique non plus, mais elle a des liens privilégiés avec les Eglises ukrainiennes du Canada et des Etats Unis, qui dépendent du patriarcat de Constantinople. Dans leur grande majorité, et malgré les pressions du pouvoir ukrainien, les fidèles orthodoxes (et leurs paroisses) restent pour l’instant fidèles à l’Eglise canonique. (cath.ch/mospat/orthodoxie.com/be)

 

 

 

 

Philarète, chef de l’Eglise orthodoxe d’Ukraine-Patriarcat de Kiev, non canonique
11 septembre 2018 | 15:19
par Jacques Berset
Temps de lecture: env. 5 min.
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