Caritas Liban: le centre médical St-Michel de Beyrouth assure entre 150 et 200 consultations par jour  | © Lucienne Bittar
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Au Liban, Caritas offre un appui psychologique à des milliers de personnes (1/2)

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Au Liban, Caritas est une véritable institution et jouit d’une estime particulière. Pour taquiner une personne faisant preuve de grande générosité, on lui lance d’ailleurs: «Tu te crois Caritas?» cath.ch a pu le vérifier lors d’une rencontre avec l’équipe d’un centre médical, soutenu depuis la Suisse, et quelques-uns de ses bénéficiaires. Il y flottait comme un parfum de respect mutuel. (Reportage en deux volets)

Lucienne Bittar, de retour du Liban

Situé dans le quartier populaire de Sad Baouchrieh, à l’est de Beyrouth, le Centre médical St Michel offre un peu de sécurité aux déshérités du quartier affectés dans leur santé physique et mentale. Ses services sont marqués par les guerres sévissant dans la région et par les crises vécues dans le pays, telle l’explosion du port de Beyrouth en 2020.

Le centre médical St Michel de Caritas se trouve dans un quartier populaire de Beyrouth, mars 2025 | © Lucienne Bittar

Fréquenté tant par des Libanais que par des réfugiés syriens, ce centre de santé primaire assure chaque jour 150 à 200 consultations, qui vont de la gynécologie aux soins dentaires, de la physiothérapie à l’orthophonie ou la psychothérapie. Il fournit aussi des médicaments, aide les patients à se faire hospitaliser en cas de besoin et propose des sessions de sensibilisation sur des thèmes précis, comme l’hygiène, le diabète ou le stress post-traumatique.

Un accueil sans discrimination

De traumatismes de guerre, il sera beaucoup question au cours de la discussion organisée par Dina Hajjar, responsable du bureau de Caritas Suisse au Liban, avec quatre bénéficiaires du Centre. Mais aussi de reconnaissance à l’égard de l’ONG pour les soins donnés, sans discrimination, avec respect, patience et empathie, selon leurs propres mots. Des qualités importantes dans un pays toujours marqué par des tensions entre Libanais et Syriens ou entre chrétiens et musulmans. «Ici, j’ai fait l’apprentissage de l’altérité», témoigne Mohammed Ali, un Kurde de Syrie, réfugié au Liban depuis 2015, converti au christianisme sous le nom de John.

Le soutien de Caritas Suisse
Caritas Liban est l’un des deux principaux partenaires dans le pays de Caritas Suisse. Elle a fourni en 2024 plus de 800’000 consultations médicales, pour 150’000 personnes. Au Centre St Michel, Caritas Suisse assure le financement de 898 sessions psychothérapeutiques et 240 consultations médicales, ainsi que de 250 hospitalisations d’avril 2024 à novembre 2025.
Les réfugiés syriens restent la priorité de Caritas Suisse au Liban, mais l’accent est désormais mis sur la réponse aux besoins urgents de toutes les communautés touchées par le dernier conflit.

Peu à peu, au fil de l’échange, les confidences se font plus nombreuses, les histoires prennent corps. Un partage qui doit beaucoup à l’atmosphère de confiance construite en amont par l’équipe soignante.

Des traumas demandant des soins spécifiques

«J’ai vécu la guerre en Syrie et j’en suis ressortie comme morte de l’intérieur. Quand je suis arrivée au Liban, j’ai passé trois mois enfermée chez moi tant j’avais peur. Mais j’ai une fille et je ne veux pas qu’elle soit aussi fragile que moi, raconte Mme Kifah, l’une des bénéficiaires. Grâce aux soins reçus ici, ma fille prend confiance en elle et s’amuse.»

La peur a quitté le domicile familial et la porte de la maison est à nouveau ouverte. Généreusement ouverte même. Quinze déplacés du sud du pays y ont trouvé refuge fin 2024. «Cela n’a pas été toujours facile pour moi de rester calme, avec les avions israéliens dans le ciel…»

Mohammed Ali et sa famille, pour leur part, font partie des réfugiés syriens qui ont eu la chance d’être enregistrés par l’UNHCR (avec l’arrivée en masse de Syriens à la frontière, ces enregistrements ont cessé au Liban en 2015). Mais si l’institution onusienne a assuré la scolarité de leurs enfants, elle ne leur a pas fourni les soins nécessaires pour dépasser leurs traumas de guerre.

«C’est rassurant de savoir que même sans argent nous pouvons être soignés.»
Mohammed Ali

«Ma fille, alors âgée de 5 ans, a fait une tentative de suicide, et l’hôpital où on l’a amenée a refusé de la soigner car je n’avais pas l’argent nécessaire. Mais ici, à Caritas, elle trouve le support psychologique nécessaire. Elle fait de grands progrès. Elle n’était plus capable de parler, et maintenant oui. C’est rassurant de savoir que même sans argent nous pouvons être soignés.»

Comme le précise Cindy Hakmé, responsable du Département médical de Caritas Liban, les soins paramédicaux de longue durée, tels l’orthophonie ou la psychologie, sont peu pris en charge par le UNHCR, raison pour laquelle tant de réfugiés syriens font appel à Caritas. Aujourd’hui cependant, poursuit-elle, de nombreux Libanais s’adressent eux aussi à l’œuvre d’entraide catholique.

«J’ai crié, j’ai pleuré»

«Avant 2020 et l’explosion du port de Beyrouth, les questions de santé mentale étaient taboues. Nous avons organisé des sessions de sensibilisation et cela a changé le regard des patients. Ils sont aujourd’hui plus conscients qu’ils ont besoin d’être aidés.» Caritas Liban assurait habituellement au Centre Saint Michel 3000 séances de psychothérapie par an; ce chiffre a doublé en 2024 et il a déjà atteint les 3000 au 1er avril 2025. (Lire l’interview de Christelle Zouein, psychologue du centre.)

Mohammed Ali, un Kurde, et Zeinab Sartor, une Libanaise, écoutent attentivement les récits des autres bénéficiaires, Beyrouth, centre médical de Caritas, mars 2025 | © Lucienne Bittar

«On parle de la résilience des Libanais, mais leur capacité d’aller de l’avant relève aussi en partie d’une forme de déni et de la colère», souligne encore Cindy Hakmé.» Zeinab Sartor, une Libanaise qui fréquente ce centre médical depuis 7 ans, acquiesce. Sa fille, raconte-elle, avait très peur des bruits forts depuis l’explosion du silo. Elle a trouvé de l’aide au centre.

Mais le problème a recommencé avec les frappes israéliennes. «Pour moi, cela a aussi été une période très stressante», confie-t-elle. «Je viens de Baalbeek, où vivent encore mes parents. J’ai craint pour leur vie quand la ville a été bombardée. En plus, j’ai accueilli seize personnes chez moi pendant deux mois. Elles dormaient sur des matelas par terre. Je n’avais plus d’intimité. C’était dur. Je me suis rendue au Centre pour me décharger de toute cette tension. J’ai crié, j’ai pleuré.»

Syriens et Libanais, des cousins tumultueux

La famille de Mme Wafa, une Syrienne réfugiée au Liban, a été victime de racisme | © Lucienne Bittar

Des millions de Syriens réfugiés au Liban; des réfugiés syriens qui accueillent des Libanais déplacés; des Libanais qui trouvent momentanément refuge en Syrie… «Nous avons toujours été comme des cousins», tiennent à dire les bénéficiaires, avant de nuancer.

La famille de Mme Wafa, une Syrienne, a été ainsi victime de racisme à plusieurs reprises. «Mes enfants ont dû quitter l’école. Des jeunes de la région s’en sont pris à nous en 2023 et nous ont dit de quitter le quartier. La municipalité n’est pas intervenue et a même fini par nous demander de partir. Ce que nous avons fait.» Établie dans son nouveau quartier, Mme Wafa, dont le mari est très affecté mentalement par la guerre – «ses jambes ne le portent plus, il ne quitte pas son lit» – dit apprécier d’autant plus l’approche non discriminatoire de l’équipe de Caritas.

Au début des années 2020, avec la crise financière et économique et l’explosion du nombre de réfugiés, Syriens et Libanais se sont retrouvés en position de concurrence face à des services de base (école, hôpitaux) débordés, explique Dina Hajjar. Mais ces tensions sont en recul depuis la récente guerre avec Israël. Le centre d’attention s’est déplacé. Quant à demain…

«Nous vivons au jour le jour, ou plutôt heure par heure, lance avec humour Mme Kifah. J’ai appris lors de sessions de Caritas à faire des petites choses que j’aime. Hier, j’ai fait une petite promenade avec ma fille. Tout ce que j’espère, c’est une journée où il ne se passe rien de compliqué.» (cath.ch/lb)

> Ne manquez pas la deuxième partie de ce reportage sur cath.ch

Amal Farfou (à g.), coordinatrice du Centre St Michel, et Dina Hajjar, responsable du bureau de Caritas Suisse au Liban | © Lucienne Bittar

L’humanitaire comme une seconde peau
Œuvrer pour Caritas, «ce n’est pas juste un travail, c’est un mode de vie, une culture, des valeurs», affirment à l’unisson Dina Hajjar, responsable du bureau de Caritas Suisse au Liban, et Amal Farfou, coordinatrice du Centre St Michel. Les deux femmes partagent la même passion pour ›l’humanitaire’, vécu comme une mission.
Dina Hajjar travaillait dans une importante entreprise d’ingénierie, avant de décider de mettre son savoir-faire au service du CICR, puis de Caritas. Amal Farfou, pour sa part, a travaillé comme infirmière à l’Hôtel Dieu de France, le centre hospitalier universitaire géré par l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, avant de prendre la responsabilité du Centre St Michel.
«On ne peut pas arrêter d’écouter, d’aider, même si c’est difficile parfois de supporter tous ces pleurs», déclare Amal Farfou. Pour tenir le coup, la petite équipe se serre les coudes.  «C’est l’esprit Caritas. Nous nous soutenons mutuellement pour pouvoir continuer de servir les autres.»
«Mes collègues en Syrie ont vu des choses inimaginables…» glisse Dina Hajjar. «Mais ici aussi nous sommes tous affectés.» De fait, beaucoup de Libanais et de Syriens sont des humanitaires, avance la responsable du bureau de Caritas Suisse, «même s’ils n’en ont pas le titre». Et de prendre pour exemple Mme Kifah, une des bénéficiaires syriennes rencontrées dans le centre. «Elle vit dans une simple chambre, mais elle a accueilli des déplacés du sud et leur a donné des vêtements et des jouets de sa fille. Elle a fait ce qu’elle pouvait pour aider. Les gens qui sont eux-mêmes dans la détresse s’entraident souvent.» LB

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Caritas Liban: le centre médical St-Michel de Beyrouth assure entre 150 et 200 consultations par jour | © Lucienne Bittar
19 mai 2025 | 17:00
par Lucienne Bittar

En mars 2025, cath.ch s'est rendu au Liban, à la rencontre de communautés religieuses, de jeunes et de Caritas Liban. Reportages et interviews sur fond de guerre et d'espérance.

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