Au Liban, Caritas offre un appui psychologique à des milliers de personnes (2/2)
Au Liban, des milliers d’enfants trouvent auprès de Caritas un soutien psychologique essentiel pour dépasser les états de stress post-traumatiques. Interview avec Christelle Zouein, 24 ans, psychologue au Centre médical St Michel de Beyrouth soutenu par Caritas Suisse.
Lucienne Bittar, de retour du Liban
«Des centaines de milliers d’enfants ont été traumatisés par l’explosion du port de Beyrouth de 2020, témoigne Dina Hajjar, responsable du bureau de Caritas Suisse au Liban, mais ces victimes, surtout ceux des milieux populaires, ne bénéficient que de très peu de soins.» D’où l’importance de centres médicaux tels celui de St Michel, situé dans le quartier de Sad Baouchrieh, à l’est de Beyrouth.
Toute l’équipe médicale du centre en est du reste convaincue: un bon accompagnement des enfants peut prévenir des dégâts mentaux futurs. Les explications de Christelle Zouein, psychologue.
Quels sont les signes extérieurs des traumas chez les enfants?
Christelle Zouein: Leur sommeil est affecté, peuplé souvent de cauchemars. On constate aussi des régressions à l’école. Certains enfants perdent brusquement la parole ou d’autres connaissances acquises. D’autres redeviennent incontinents. De manière générale, ils ne se sentent plus en sécurité. Le plus souvent, ils ne veulent pas s’éloigner de leurs parents ni de leur maison, car ils craignent que quelque chose de terrible ne se produise durant leur absence: que l’un de leurs parents soit tué ou que leur maison soit détruite. Or le foyer, pour un enfant, c’est le fondement de son sentiment de sécurité si essentiel à sa bonne construction.
Ces traumas apparaissent chez des enfants de plus en plus jeunes. Il y a trop de dépressions et de troubles anxieux aujourd’hui chez des petits de 4 ou 5 ans! De fait, beaucoup de gens souffrent à présent au Liban de désordres mentaux, comme l’anxiété, la dépression, les crises psychotiques.
Le traumatisme de l’explosion du port de Beyrouth est-il du même ordre que celui causé par la guerre?
Non, parce que les bombardements se reproduisent. Dans les deux cas, les enfants se sentent impuissants et ne comprennent pas ce qui se passe. La guerre, certes, les affecte beaucoup, même s’ils ne la vivent pas en direct, car elle est présente dans tous les esprits. Ils ne savent pas où les frappes vont tomber. Près d’eux ou plus loin? Et ils vivent avec cette peur. Néanmoins, leurs corps et leur esprit sont préparés à cette éventualité.
En ce qui concerne l’explosion du port de Beyrouth, c’est un trauma d’un autre ordre, plus profond car totalement imprévisible. Il n’y avait pas de menace, donc pas de préparation mentale possible. Notre système nerveux n’est pas préparé à ce type de choc. Le corps et l’esprit restent ensuite constamment en état d’alerte et c’est épuisant. L’humain est un être adaptable, c’est vrai, mais il y a des limites à l’adaptation. Les traumas apparaissent quand celles-ci sont dépassées.

J’avais 19 ans quand l’explosion s’est produite et pendant longtemps je sursautais au moindre bruit. J’ai pris plusieurs mois pour m’en remettre, alors même que j’ai des connaissances en psychologie. Et comme pour tout le monde, le tremblement de terre de 2023 a réveillé ma peur. Il s’est déroulé durant notre sommeil, à 2h du matin, et on ne savait pas si c’était une nouvelle explosion.
Comment les enfants peuvent-ils dépasser ce trauma?
C’est un long processus. Il faut essayer de les rassurer en les aidant à trier entre les peurs rationnelles et les autres. On peut leur expliquer, par exemple, que leurs parents ne vont pas les quitter. C’est encore mieux quand les parents viennent eux aussi et collaborent.
La région est déchirée par de terribles guerres. Combien d’années de paix faudra-t-il pour permettre aux victimes de retrouver une stabilité émotionnelle?
C’est difficile à dire. L’impact sur la santé mentale des gens est énorme. Mais je suis persuadée qu’un suivi thérapeutique peut aider les enfants, la génération dirigeante de demain, à s’adapter au mieux à la réalité, à mieux surmonter les crises et à être mieux préparés face aux chocs à venir.
Face à la répétition des coups, à un excès d’informations douloureuses, n’y a-t-il pas un risque de durcissement et d’altération collective des facultés d’empathie?
Ce que je vois au Liban, c’est l’inverse. Les gens ressentent la nécessité d’aider les autres. Y compris les plus anxieux, qui se rassurent en donnant, en prenant soin d’autrui. Cela fait toujours du bien de se sentir utile et de sortir de soi.
Les Libanais se disent qu’ils n’ont pas le choix. Nous vivons ici. Soit nous essayons de gérer la situation, d’aller de l’avant, soit nous nous arrêtons, nous nous disons ›c’est fini’. La majorité d’entre nous choisissons la première option. Les gens qui décident de suivre une thérapie dans notre centre ont déjà fait un premier pas essentiel en ce sens. Ils ont identifié qu’eux-mêmes ou leur enfant a un problème et ils ont décidé de travailler dessus.
La pratique religieuse est très prononcée au Liban. Est-ce là une ressource précieuse pour les gens?
Oui, la croyance en un être plus fort, plus grand, donne de la force à beaucoup de gens. Même si cela relève souvent de l’habitude, ils trouvent aussi dans les rituels religieux un sentiment de paix, de protection. Cela les aide à garder l’espoir. (cath.ch/lb)
> Ne manquez pas la première partie de ce reportage sur cath.ch.
En mars 2025, cath.ch s'est rendu au Liban, à la rencontre de communautés religieuses, de jeunes et de Caritas Liban. Reportages et interviews sur fond de guerre et d'espérance.