Sa vie de secrétaire particulier du pape, entre 1988 et 1996
Avant son décès en 2002, Mgr Thu avait laissé un témoignage sur le quotidien du pape
Rome, 1er avril 2005 (Apic) Alors que les conditions de santé du pape sont «très critiques», selon le Vatican, son entourage proche reste auprès de lui. C’est quelques mois avant son décès survenu le 15 juillet 2002, que Mgr Vincent Trân Ngoc Thu avait laissé à notre rédaction romaine un précieux témoignage. Pendant huit ans, de 1988 à 1996, ce prêtre vietnamien a été l’un des secrétaires particuliers de Jean Paul II. Il avait accepté de livrer quelques uns des souvenirs de sa vie quotidienne aux côtés du pape.
«Jean-Paul II avait pensé à moi, un Vietnamien, en hommage à la fidélité de l’Eglise persécutée du Vietnam», expliquait-il. Pas très grand et d’allure plutôt menue, le prélat a longtemps habité à quelques mètres de la basilique Saint-Pierre, près de la sacristie, avant de partir en maison de repos. L’entrée de son appartement donnait immédiatement sur une petite pièce aménagée en chapelle, toute décorée d’objets vietnamiens. En l’installant, Mgr Thu y avait placé deux fauteuils, un pour lui et un pour Jean Paul II. «Au cas où il serait venu me rendre visite.», avait-il confié en souriant.
«Pendant huit ans, j’ai passé douze ou treize heures par jour aux côtés du pape», racontait alors le prélat, âgé de 69 ans à son arrivée dans les appartements pontificaux au troisième étage du palais apostolique. A l’époque, Jean Paul II se levait à 5h30 le matin et se rendait aussitôt dans sa chapelle privée pour y prier. «Un rythme difficile à suivre pour son secrétaire !». Ce dernier disait avoir toujours été frappé de la concentration du pape en prière. «Quand il était seul, il lui arrivait de se mettre à genoux par terre, ou bien la tête entre les mains, près du tabernacle». Tout au long de la journée, Jean Paul II faisait des pauses dans son emploi du temps pour se rendre à la chapelle, et pour son ancien secrétaire, c’est ce «contact quasi-permanent avec Dieu» qui expliquait sa «grande sérénité». «Dans le prie-Dieu du pape, on plaçait des feuilles de papiers sur lesquelles se trouvaient des intentions de prière qui lui étaient confiées».
«Il restait très concentré sur sa prière, même lorsqu’il était entouré de beaucoup de monde. La messe privée du pape avait lieu à 7h00 du matin à l’époque. Jean Paul II priait ensuite seul pendant une quinzaine de minutes, avant d’aller saluer un par un les fidèles et de leur remettre un chapelet. Quelques-uns avaient ensuite le privilège d’aller prendre leur petit déjeuner avec lui».
Une journée type avec le pape
Poursuivant la description d’une journée type de ces années, le secrétaire avait alors insisté sur le silence et le calme de rigueur entre 9h à 11h. «Il ne fallait pas le déranger ! Durant ces deux heures de la matinée, se prenaient les décisions importantes. Jean Paul II écrivait les grands textes de son pontificat !». Le pape travaillait alors dans son bureau personnel, situé à côté du bureau officiel où il recevait ses secrétaires, et d’où il récitait la prière de l’Angélus le dimanche, avec les fidèles réunis sur la place Saint-Pierre.
A 11h, les secrétaires entraient chez le pape pour l’inviter à se rendre dans son appartement officiel, un étage plus bas, pour y recevoir en audience les visiteurs annoncés. «Un jour, devait raconter Mgr Thu, il était déjà prêt lorsque je suis entré, et je l’ai surpris alors qu’il était tourné vers une statue de la Vierge. Il avait le regard d’un enfant qui parle à sa mère, une attitude typique de sa ferveur mariale».
«Ce pape avait une tête bien organisée ! Il passait sans problème d’un sujet à l’autre, selon les visiteurs qui se succédaient parfois au rythme de dix minutes chacun. Aux évêques, il demandait des nouvelles de personnes de leurs diocèses qu’il avait rencontrées au cours de ses voyages. Il se souvenait facilement de leurs noms, pourtant compliqués lorsqu’il s’agissait d’Africains ou d’Asiatiques !».
Des invités
«Il y avait toujours des invités pour le déjeuner, confiait encore l’ancien secrétaire, jusqu’à dix-huit parfois. Le pape aimait la compagnie. Il écoutait beaucoup les uns et les autres, considérant que leurs conversations enrichissaient sa vision des choses. Il ne recevait pas uniquement des ecclésiastiques, mais aussi des spécialistes de tout genre et de toutes nationalités, des scientifiques, par exemple, qui le tenaient au courant de leurs travaux et de leurs recherches».
Après le repas, le pape restait seul jusqu’à 16h. Il se reposait, montait sur la terrasse du palais apostolique, marchait, ou s’arrêtait pour méditer, appuyé contre un mur, disait son chapelet ou lisait son bréviaire. Il réapparaissait ensuite dans son appartement pour travailler avec ses deux secrétaires qui avaient reçu, entre temps, une première «valise» de dossiers envoyés par le substitut de la Secrétairerie d’Etat. Jean-Paul II les passait donc en revue jusqu’à 18h, heure à laquelle il recevait ses collaborateurs les plus proches, le cardinal Angelo Sodano, secrétaire d’Etat depuis 1990, le substitut de la secrétairerie d’Etat de l’époque, Mgr Giovanni Battista Re, et Mgr Jean-Louis Tauran, alors secrétaire pour les relations avec les Etats. Le vendredi, c’était le tour du cardinal Joseph Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, et le samedi, celui du préfet de la Congrégation des évêques, le cardinal béninois Bernardin Gantin, qui resta à ce poste jusqu’en 1998. «Quelquefois, le pape recevait aussi Joaquin Navarro-Valls, son porte- parole, et il discutait avec lui des nouvelles parues dans la presse. Il lisait les journaux deux fois par jour».
Un seul mauvais souvenir
Le soir, après le dîner, une deuxième «valise» arrivait de la Secrétairerie d’Etat, avec de nouveaux dossiers à étudier. Après quoi, Jean Paul II consacrait ses derniers moments libres à la prière et à des lectures variées, notamment des oeuvres littéraires en langues originales. «Un soir il a même lu un article que j’avais écrit sur le Vietnam, s’était alors souvenu Mgr Thu. Et le lendemain, il m’a fait des commentaires à son sujet pendant le petit déjeuner».
Tous les vendredis, le pape priait le chemin de croix, raconte enfin Mgr Thu. Il montait pour cela dans la «chapelle des reliques», située au- dessus de sa chapelle privée, où se trouvaient les reliques des saints qu’il avait béatifiés. Et tous les samedis il se confessait.
«Il était toujours égal d’humeur, devait conclure Mgr Thu, serviable et disponible quand on lui demandait une bénédiction, des signatures pour des images, des photos. On pouvait parler de tout avec lui, et il faisait preuve de beaucoup d’humour, y compris sur lui-même. Il m’est même arrivé de plaisanter avec lui sur le temps qu’il lui restait à vivre !».
Sur ses huit ans passés dans le palais apostolique, Mgr Thu n’a eu donc qu’un seul mauvais souvenir: celui du jour où il a refermé une porte de voiture sur un doigt du pape. Jean Paul II, qui s’était donc retrouvé avec un large pansement, ne semble lui en a pas tenu rigueur longtemps. (apic/imedia/pr)