Crimes commis durant la Seconde guerre mondiale

Banja Luka: Demande de pardon de Jean Paul II pour les exactions de certains Croates

De notre envoyé spécial en Bosnie-Herzégovine Antoine Soubrier

Banja Luka, 22 juin 2003 (Apic) Jean Paul II a demandé pardon dimanche pour les exactions commises par certains catholiques croates durant de la Seconde guerre mondiale. Le pape a prononcé cette demande de pardon au cours de la messe de béatification du laïc croate Ivan Merz, le 22 juin 2003 à Banja Luka, fief des Serbes en Bosnie-Herzégovine.

Quelques instants auparavant, l’évêque du lieu, Mgr Franjo Komarica, avait dénoncé la volonté de «grands puissances» de vouloir «éradiquer» l’Eglise catholique en Republika Srpska, l’entité serbe de Bosnie.

«Depuis cette ville, marquée au cours de l’histoire par tant de souffrances et de sang, j’implore le Seigneur tout-puissant afin qu’il pardonne les coups commis contre l’homme, sa dignité et sa liberté, parfois donnés aussi par des fils de l’Eglise catholique», a affirmé Jean Paul II au cours de l’homélie prononcée en langue serbo-croate devant des dizaines de milliers de fidèles rassemblés sous le soleil près du monastère franciscain de Petricevac. «C’est seulement dans un climat de véritable réconciliation, a-t-il ajouté, que la mémoire de tant de victimes innocentes et leur sacrifice ne seront pas vains».

Les jours ayant précédé la venue de Jean Paul II, une polémique a surgi quant au choix du lieu de la célébration, le monastère franciscain de Petricevac, situé à quelques kilomètres de Banja Luka. C’est en effet dans ce couvent qu’à vécu un des principaux acteurs du massacre de centaines de milliers de Serbes orthodoxes sous le régime fasciste croate des Oustachis, entre 1941 et 1945, le moine franciscain Miroslav Filipovic-Majstorovic. Filipovic, appelé aussi «Frère Satan» pour sa cruauté, avait été excommunié par le Vatican et pendu par le régime communiste de Tito après la guerre. Il avait notamment participé à la direction du camp de concentration de Jasenovac où périrent pour le moins 40’000 hommes, femmes et enfants.

Pour un pardon réciproque

Quelques instants auparavant, Mgr Franjo Komarica, évêque catholique de Banja Luka, avait lui aussi demandé pardon au nom des fidèles de Bosnie- Herzégovine, tout en insistant pour que ce pardon soit réciproque. «Même si nous sommes profondément blessés, nous nous efforçons de faire le bien à tous, travaillant avec persévérance à la réconciliation basée sur la vérité, la justice et le pardon sincère, pardonnant en même temps aux autres leurs méfaits et en leur demandant pardon pour les méfaits commis par des membres de l’Eglise catholique des générations passées et présentes», a-t-il affirmé.

Devant les quelque 80’000 fidèles réunis sur la place du couvent détruit par l’armée yougoslave dans les années 90 et aujourd’hui en partie reconstruit -, le prélat n’a pas mâché ses mots, visiblement désespéré par la situation de son diocèse. «Malgré notre attitude pacifique bien connue de nos voisins et des représentants internationaux, l’Eglise catholique de Banja Luka se trouve aujourd’hui face au danger d’une éradication totale par la volonté des puissants de ce monde». Plus de 60’000 catholiques de ce diocèse attendent encore de pouvoir rentrer dans leurs maisons, ayant fui pendant la guerre des années 90. Jusqu’à maintenant, seuls 3% d’entre eux ont pu revenir.

Menace d’éradication de la présence catholique à Banja Luka

Même si peu d’orthodoxes étaient présents à la messe de béatification le métropolite Jefrem de Banja Luka représentait l’Eglise orthodoxe serbe -, la télévision nationale a retransmis en direct la cérémonie, permettant ainsi à ceux qui le voulaient de la suivre de chez eux. Profitant par ailleurs de la présence de centaines de journalistes, le Souverain Pontife a salué le patriarche Pavle de Serbie, ainsi que les membres du Saint- Synode orthodoxe serbe. «La nouvelle vigueur que notre chemin vers une mutuelle compréhension a acquis ces derniers mois, le respect réciproque et la solidarité fraternelle, sont des motifs de joie et d’espérance pour cette région», a-t-il lancé. Un voyage du pape en Serbie qui pourrait avoir lieu en 2004 – est actuellement en cours de préparation au Vatican et à Belgrade.

Jean Paul II a ensuite procédé à la béatification d’Ivan Merz (1896- 1928), Croate né à Banja Luka. Malgré la brièveté de son existence, il a marqué l’histoire de la Croatie par son engagement de laïc au sein de la société et de l’Eglise. «Conscient de la vocation reçue à son baptême, a affirmé le pape, Ivan Merz a fait de son existence une course vers la sainteté». Les fidèles, tous coiffés de casquettes jaunes en papier à cause d’un fort soleil, ont alors applaudi. Des drapeaux du Saint-Siège, distribués au début de la cérémonie, étaient agités de temps à autre.

«Ne regardez pas en arrière, ne cédez pas à la tentation du découragement»

S’adressant plus particulièrement aux jeunes, Jean Paul II les a appelés «à travailler pour que la vie reprenne pleinement à tous les niveaux». «Ne regardez pas en arrière, ne cédez pas à la tentation du découragement, mais multipliez les initiatives qui permettront à la Bosnie- Herzégovine d’être de nouveau une terre de réconciliation, de rencontre et de paix», a-t-il lancé. «Ne cherchez pas ailleurs une vie meilleure, ne fuyez pas vos responsabilités en attendant que d’autres résolvent les problèmes, mais cherchez résolument un remède au mal avec la force du bien».

Les pèlerins étaient venus non seulement du diocèse de Banja Luka qui ne compte plus que 3’000 fidèles catholiques -, mais aussi de Croatie et du nouvel Etat de Serbie et Monténégro. De nombreux réfugiés ont profité de la venue du pape pour revenir dans leur pays d’origine, espérant que cette occasion permette une ouverture du gouvernement et de la population de la Republika Srpska à leur égard.

A l’issue de la cérémonie, Jean Paul II s’est rendu en papamobile du monastère de Petricevac à l’évêché de Banja Luka, où il devait déjeuner avec les évêques de Bosnie-Herzégovine. Dans l’après-midi, avant de prendre congé de la population bosniaque, il devait en outre rencontrer en privé les présidents de la Republika Srpska et de la Fédération croato-musulmane, les deux entités formant la Bosnie-Herzégovine. Quelques instants plus tard, toujours à l’évêché, il devait également recevoir les membres du Conseil interreligieux du pays, composé des responsables juifs, musulmans, orthodoxes et catholiques. AS

Encadré

Des atrocités d’un côté comme de l’autre

Interrogé par le correspondant de l’Apic, un journaliste catholique serbe a souligné l’importance de cette visite pour toutes les ethnies présentes en Bosnie-Herzégovine. Aujourd’hui, les catholiques en majorité croates – représentent 11% des quelque 4 millions d’habitants, contre 31% d’orthodoxes serbes et 40% de musulmans.

«Ils découvrent enfin une personne qui utilise un langage accessible à tous, et, surtout, qui vient prouver qu’il n’y a pas eu dans le passé que des assassins ou des tueurs d’enfants», a-t-il affirmé. Concernant la demande de pardon de Jean Paul II faite quelques instants plus tôt, il a confié être satisfait de ce «pas en avant». «Mais il faut arrêter de se retourner vers le passé, a-t-il conclu, car dans cette région, si vous commencez à creuser un peu l’histoire, vous découvrez qu’il y a eu des atrocités à toutes les époques, d’un côté comme de l’autre !». (apic/as/imedia/be)

22 juin 2003 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture: env. 5 min.
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