Belgique: centenaire de l’encyclique «Rerum Novarum» (130391)

Mgr Jacques Gaillot et le professeur Paul Gérin invités à Namur

Namur, 13mars(APIC) Les Equipes Populaires de Belgique, à l’occasion du

centenaire de l’encyclique «Rerum Novarum» ont invité samedi dernier à Namur Mgr Jacques Gaillot, évêque d’Evreux et le professeur Paul Gérin, de

l’Université de Liège. Les deux orateurs se sont exprimés sur le thème:

«1891-1991. Cent ans de défis sociaux». Paul Gérin a situé l’encyclique de

Léon XIII dans le contexte social de l’époque en Belgique tandis que l’évêque d’Evreux a parlé des grands défis lancés aux chrétiens par le monde actuel.

Tant dans l’agriculture que dans l’industrie, a commencé Paul Gérin, le

19e siècle a vu l’appauvrisement des petits par la concentration progressive de la propriété terrienne d’une part et par l’industralisation d’autre

part. Le travailleur ne possède aucun bien sauf ses bras, ce qui le met

dans une situation de grave précarité, lui et sa famille. Ce n’est qu’à

partir de 1884 que la Belgique limitera le travail des enfants.

Plus grave encore, on accuse les victimes d’être responsables de leur

situation: «les pauvres sont buveurs, paresseux, ils ont ce qu’ils méritent». L’autorité religieuse d’alors constate bien la misère, mais face à

elle, elle préconise la charité. Par la confusion qu’elle entretient entre

pauvreté libre et pauvreté imposée et par son enseignement sur l’obéissance, elle conforte inconsciemment le discours culpabilisant et moralisateur

sur les pauvres.

Cependant peu à peu va naître un autre type de réflexion dans certains

milieux d’Eglises et en particulier à Liège avec la tenue des Congrès sociaux, sous la protection bienveillante de l’évêque Doutreloux. Ce dernier

encourage un type nouveau de missionnaires auprès du monde ouvrier: c’est

la fondation des aumôniers de travail et l’arrivée des Salésiens. Le pape

Léon XIII connaît la Belgique pour y avoir été nonce et il suit attentivement ce qui se passe.

Un tournant historique

Le 15 mai 1891 paraît l’enclyclique «Rerum Novarum». Léon XIII, explique

le professeur de Liège, a bien saisi le tournant historique et les mutations politiques et économiques de son temps. Il rompt avec la tradition

pontificale qui condamnait les libertés, mais critique l’usage abusif qu’on

en fait. Il parle des droits et des devoirs des ouvriers. Il poursuit la

logique d’égalité déjà prônée par Grégoire XVI (1831-1846) et s’il condamne

le socialisme et la lutte des classes, il est cependant le premier pape et

l’un des rares auteurs non marxistes à utiliser la dichotomie capital-travail. Son intérêt pour le monde ouvrier se fonde à la fois sur un désir de

justice et sur un souci pastoral. En effet, l’Eglise qui a déjà perdu une

partie de la bourgeoisie voit en outre les ouvriers s’éloigner des paroisses.

L’encyclique est bien accueillie en Belgique, mais des divergences subsistent entre les évêques, qui ne publieront une lettre collective sur la

question sociale que l’année suivante. Trois grands points restent en discussion: l’intervention de l’Etat, les salaires, les syndicats. On assistera ensuite à de nombreuses réalisations sociales de l’Eglise, mais si le

pape Pie X, en 1905, admet les syndicats uniquement ouvriers (donc non corporatistes), la démocratie politique tâtonne et doit se chercher à l’intérieur du parti catholique. Le combat social des chrétiens est très marqué

par l’anti-socialisme et par le souci pastoral de sauver «les brebis perdues».

«Que restent ouvertes les portes de la cathédrale»

Il revenait à Mgr Gaillot d’évoquer les problèmes sociaux actuels que

l’Eglise ne peut éviter d’aborder courageusement au risque de se renier elle-même: «J’ai participé en Haïti, a-t-il raconté, à la cérémonie d’investiture du président Aristide. La cathédrale ne pouvait contenir toute la

foule et la police s’efforçait de fermer les portes, comme si l’Eglise ne

pouvait prier sans entendre en permanence la rumeur du monde. Mais heureusement, sous la poussée du peuple, les portes se sont rouvertes».

L’évêque d’Evreux a dès lors présenté quelques échos du monde actuel:

la domination exercée par l’argent, la protection due à l’étranger, le respect de la Création et la croissance démographique, chaque sujet étant illustré par des exemples concrets avec leurs implications dans le domaine

ecclésial, mais aussi politique.

Vatican II est un point de départ

Mgr Gaillot a montré la responsabilité des chrétiens dans le monde d’aujourd’hui. Il l’a fait avec sa simplicité coutumière, mais aussi avec son

sens prophétique de l’incarnation de l’Evangile dans les réalités de ce

monde: «Il ne s’agit pas de se culpabiliser, mais bien de prendre conscience des responsabilités que l’Evangile donne aux chrétiens. Vatican II a été

providentiel, mais il ne s’agit que d’un point de départ, car depuis lors,

de nouveaux malentendus sont nés concernant la relation entre l’Eglise et

le monde moderne . Ils concernent les médias, l’informatique, la bio-éthique. Nous sommes invités à poursuivre la mise en oeuvre de la dynamique du

Concile. De plus, l’Eglise a tout intérêt à reconnaître ses faux pas et ses

erreurs et à en demander pardon.

Citant Mgr Oscaro Romero, l’évêque d’Evreux a parlé de «l’honneur de

l’Eglise»: il ne se trouve pas dans les bonnes relations qu’elle entretiendrait avec les puissants, mais bien dans le fait que «les pauvres se sentent chez eux en son sein». Mgr Gaillot a terminé son exposé en citant le

texte d’Isaïe sur le jeûne: «Ne te dérobe pas devant celui qui est ta propre chair».

L’Eglise doit respecter les procédures démocratiques

Lors du jeu des questions et des réponses après sa conférence, l’évêque

d’Evreux n’a pas reculé devant la question concernant la désignation par

Rome d’un évêque jugé «conservateur» à Namur. «Depuis mon arrivée ce matin

chez vous, on me parle de la nomination du nouvel évêque. Cette nomination

vous fait mal, la déception est proportionnelle à l’attente. Dans l’Eglise

nous avons à respecter les procédures démocratiques. C’est nécessaire pour

le respect du peuple etr pour le respect de l’autorité. Celle-ci se déconsidère quand elle ne tient pas compte de la maturité du peuple chrétien. Si

l’Eglise n’est pas une démocratie, elle doit cependant respecter les procédures démocratiques». (apic/cip/ba)

13 mars 1991 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 4  min.
Partagez!