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Un Colloque à la Faculté de Théologie de l’U.C.L. «La sagesse, une chance

pour l’espérance» =

Louvain-la-Neuve, 8 novembre 1995 (CIP)

De nos jours, «l’espérance est fatiguée». On dit même qúelle aurait déserté

le monde occidental. Par contre, les sagesses, authentiques ou frelatées,

ont la cote : elles n’ont guère de peine à occuper le vide ainsi créé. Face

à cette situation, on peut se satisfaire d’un constat désabusé, défaitiste,

ou y déceler, au contraire, une perspective d’avenir, un défi à relever.

Tout compte fait, la vraie Sagesse, art de vivre au quotidien, ne

serait-elle pas «une chance pour l’espérance» ? La Faculté de Théologie de

l’U.C.L.C a consacré, les 2 et 3 novembre, tout un colloque à vérifier

cette intuition.

C’était le troisième colloque organisé à Louvain-la-Neuve par l’Unité de

Dogmatique de la Faculté de Théologie (1). Sept conférenciers, du

dogmaticien au psychanalyste, en passant par l’exégète et le philosophe,

ont abordé le sujet selon leurs angles de vue respectifs. Leurs exposés

furent suivis de fructueux échanges avec 80 participants intéressés et

actifs.

De la mesure à la démesure

En introduction, Daniel Procureur (Tournai) esquisse à grands traits la

problématique qui va être creusée au cours des deux journées.

André Wenin (U.C.L.) s’attache à «faire goûter» la saveur du «miel»,

contenu sous forme d’énigmes, dans les écrits et passages de sagesse du

Premier Testament. Il y a, montre-t-il, «un art de vivre… l’espérance»,

d’apprivoiser la mort, de la faire reculer, par l’amour et la vérité.

Qohelet, en juif ouvert à la nouvelle culture grecque, 250 ans avant Jésus,

prône un idéal de sagese, de sérénité, de «mesure». Est-il possible de

l’articuler avec «la démesure du Christ», avec «la folie de la Croix» ? se

demande Christian Duquoc (Lyon). Si, dans sa prédication, Jésus de Nazareth

prône la mesure dans les comportements de l’individu, il refuse le statu

quo et la négociation face à un monde injuste. «Prophète» en conflit avec

la religion institutée, refusant un messianisme fantasmé, il dénonce avec

force l’injustice : ses actes de démesure symboliques autant que ses

paroles lui vaudront la peine de mort des criminels. C’est pourtant dans

cette démesure que l’espérance prend racine. Sagesse paradoxale, la mort

violente du Christ, devenue force de conversion, fonde l’espérance et la

déplace tout à la fois.

Désir, liberté et solidarité

Le psychanalyste J.-P. Lebrun (Namur) porte sur la société actuelle un

regard très critique. Le monde, dit-il, est dominé par la technoscience et

ne connaît plus le rapport spontané au réel. Il a également perdu le sens

de l’autre, en éliminant la fonction symbolique du Père, représentant du

langage et de la loi. Le sujet parlant disparaît et l’on en arrive à la

perte du sens des valeurs, en même temps qúà la négation des limites et à

l’inflation des attentes. Revenir à la sagesse, ce serait retrouver le sens

de la limite : ce serait une chance pour le désir, pour l’espérance.

La Sagesse, c’est «l’espérance» de la «philosophie». Celle-ci se définit en

sa racine comme «amour de la sagesse». Mais est-il évident que la rencontre

de cette sagesse avec l’espérance chrétienne soit une chance ? L’histoire

de leur relation est faite de heurts et de tensions, rappelle Gilbert

Gérard (U.C.L.). La religion est, en effet, souvent menacée par la raison,

qúil s’agisse de la Raison surévaluée et englobante du rationalisme

moderne, ou de rationalité technique qui prédomine actuellement. Pour qúun

dialogue devienne possible, la raison de l’homme, «être au monde», doit

s’interroger sur le sens de son existence en ce monde, dans l’espace offert

à sa créativité et à ses projets. Si elle est une école de liberté, la

sagesse, théorique et pratique, sera une chance pour l’espérance.

Avec Fernando Altemeyr (Sao Paulo/Brésil), la réflexion du theologien

s’enracine dans une expérience concrète au milieu des pauvres. Son exposé,

toujours sous-tendu par le récit, témoigne de l’émergence d’une «nouvelle

sagesse des pauvres». S’ils aspirent toujours à un monde plus juste, les

démunis ne misent plus seulement sur l’utopie révolutionnaire toujours

reportée à demain. Au coeur des terribles conditions d’aujourd’hui, ils

recherchent ce qui donne un avant-goût d’un nouvel avenir, cultivent au

quotidien des valeurs telles que l’amitié, le partage, la convivialité,

l’accueil, la beauté… Ils élaborent ainsi une nouvelle éthique, dans une

pespective d’espérance : une éthique de la solidarité et de la compassion.

Le «chrétien» a besoin du «païen»

Il revenait au professeur Adolphe Gesché (U.C.L.), initiateur du colloque,

de repenser, dans la dernière conférence, un vieux défi pour le

christianisme dans son rapport avec les sagesses ou mentalités païennes. Le

christianisme ne gagnerait-il pas à se souvenir de Dante et de Virgile,

l’auteur italien de «La Divine Comédie» ayant pris le poète païen de la

Rome antique comme «guide sur son chemin d’espérance» ?

Le vif intérêt porté par le Moyen Age et la Renaissance à la culture

antique suggère d’ailleurs une hypothèse au théologien d’aujourd’hui : ne

cherchait-on pas ainsi à sortir d’une religion répétitive, d’une orthodoxie

crispée sur elle-même, d’une identité close.

Comme l’a montré Paul Ricoeur à propos d’Israël, la Loi a donné au peuple

de Dieu son identité de fondation ; le prophétisme, son identité de

contestation face aux menaces de l’extérieur et de l’intérieur ; la sagesse

a joué un rôle de décrispation : elle a équilibré l’identité du peuple en

l’ouvrant sur l’universel.

La sagesse d’Israël s’inscrit dès lors dans la sagesse des nations : la

présence singulière du Dieu unique se trouve immergée, sous la figure de la

Sagesse, dans le divin de la «paganité» ou de la culture «païenne».

Cet affrontement à «l’autre» ou à l’altérité, qui a rendu possible le

Nouveau Testament, est indispensable à l’espérance, souligne A. Gesché.

Sans quoi, l’espérance risque d’être étouffée sous le poids d’une religion

légaliste, ou épuisée par un prophétisme trop impatient, qui néglige les

médiations.

Aujourd’hui, poursuit-il, le danger est de tuer l’espérance en faisant de

la foi un dépôt figé, une citadelle autosuffisante, en refusant

«l’impureté» qui fait l’homme. Pour échapper au repli sur soi et à

l’intégrisme, la foi chrétienne a besoin d’un «vide religieux», d’une

«interface» avec la modernité. Bref, l’espérance, ce désir affecté d’un

coefficient de probabilité, a besoin de la sagesse des «infidèles».

Le débat final entre les conférenciers et leurs auditeurs a donné lieu à de

multiples mises au point. On a néanmoins laissé en suspens le point

d’interrogation du titre : «La tâche de la théologie n’est-elle pas

d’interroger les réponses ?» (A. Gesché).

(1) Les actes d’un premier colloque viennent d’être publiés : «Destin,

prédestination, destinée», Paris, Cerf, 1995, 175 pp. Les actes du colloque

suivant sont à l’impression : «La foi au temps du risque». Renseignements :

Faculté de Théologie, Grand-Place, 45 – 1348 Louvain- la-Neuve (tél.

010/47.36.04).

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12 novembre 1995 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 5  min.
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