Un jeune théologien brésilien défend cette thèse à l’Université de Louvain

Belgique: la théologie de la libération héritière de la pensée de Cardijn?

Louvain-la-Neuve, 6décembre(APIC) Une nouvelle thèse de doctorat consacrée à la théologie de la libération, a été défendue début décembre à la

Faculté de Théologie de l’Université catholique de Louvain. Son auteur,

l’abbé Agenor Brighenti, est un prêtre du diocèse de Tubarao, au Brésil. Il

montre comment la théologie latino-américaine d’aujourd’hui a repris à son

compte, tout en la repensant, la célèbre méthode «voir-juger-agir» mise au

point par le cardinal belge Joseph Cardijn et popularisée par la Jeunesse

Ouvrière Chrétienne (JOC).

Dès les années soixante, les théologiens qui ont promu la théologie de

la libération en Amérique latine, dont le Péruvien Gustavo Gutierrez, ont

marqué leur différence par rapport à d’autres théologies. Auparavant, des

théologiens modernes s’étaient déjà efforcés d’actualiser la portée de

l’Evangile en fonction de thèmes ou de domaines particuliers. On avait non

seulement proposé des «théologies des réalités terrestres», mais aussi une

«théologie de la paix», ou encore une «théologie de la ville»… La théologie de la libération se refusant pour sa part à se cantonner à un aspect du

réel. Se voulant dès le départ une «théologie globale», bref: une «nouvelle

façon de faire de la théologie».

Agenor Brighenti a voulu cerner cette nouveauté en remontant jusqu’aux

racines de la pensée et de la méthode mises en oeuvre dans la théologie de

la libération. Les théologiens de la libération ont rompu, en effet, avec

ce mode de pensée habituel de la théologie occidentale, qui leur paraissait

souffrir d’une double faiblesse: beaucoup trop de théologiens considéraient

l’Eglise comme centre du monde et s’intéressaient moins aux personnes concrètes qu’à l’être humain abstrait, hors de tout contexte. La théologie de

la libération part, quant à elle, de la pratique de la solidarité avec des

personnes concrètes, insérées dans une histoire particulière.

De Cardijn à Boff

A vrai dire, la théologie occidentale avait déjà connu une certaine évolution, favorisée par la fécondité des mouvements d’Action catholique, où

se propageait la méthode «voir-juger-agir». Cette méthode fut mise au point

par un jeune vicaire bruxellois, le futur cardinal Joseph Cardijn, qui fonda la JOC en 1925. Quatre décennies plus tard, le Concile Vatican II la reprenait à son compte dans sa Constitution pastorale sur «L’Eglise dans le

monde de ce temps» (»Gaudium et Spes»).

Mais la rupture opérée par les théologiens de la libération avec une

certaine manière de faire de la théologie ne les a-t-elle pas éloignée de

la grande tradition ecclésiale? Et les liens que l’on peut deviner avec

l’Action catholique permettent-ils de conclure à une parentée? Pour répondre à ces questions, le jeune doctorant brésilien a procédé à une comparaison minutieuse entre la pensée de Joseph Cardijn et celle d’un théologien

actuel de la libération au Brésil, le Père Clodovis Boff.

La première partie de la thèse est une longue étude de la pensée du fondateur de la JOC. Retraçant brièvement sa vie, l’auteur fait le point sur

la recherche même du cardinal Cardijn, dont il montre la constante évolution, jusqu’à distinguer neuf périodes. Une originalité de Cardijn, observe-t-il, est d’avoir assumé la tension entre l’insertion dans les réalités

sociales et l’appartenance ecclésiale. D’aucuns, certes, lui reprochaient

de sacrifier le pôle de l’apostolat à celui de l’engagement politique, voire à la lutte des classes. Ce reproche injuste blesse si fortement Cardijn,

dit A. Brighenti, qu’il renforça son insistance apostolique et missionnaire

jusqu’à éveiller chez d’autres le soupçon de prosélytisme.

La méthode de Cardijn a si bien fait ses preuves qu’elle inspire aujourd’hui les grands axes de la théologie de la libération telle que la

conçoit le brésilien Boff, montre ensuite l’auteur. Membre de la Congrégation religieuse des Servites de Marie, C. Boff est professeur de théologie

dans plusieurs universités et auteur d’une thèse parue en portugais en

1976. Là où Cardijn parlait de «voir-juger-agir», Boff relève les «médiations» qui balisent le parcours obligé d’une théologie de la libération:

une analyse de la réalité sociale; une interprétation des enjeux de cette

réalité à la lumière de la foi; une perspective d’engagement et d’action.

Une théologie catholique

Au terme d’une comparaison entre les méthodes préconisées par le cardinal Cardijn et par Clodovis Boff, le prêtre brésilien déduit de leur parenté que «la nouvelle façon de faire de la théologie n’est pas un commencement absolu». L’héritage que la théologie de la libération a reçu de l’Action Catholique a été «assimilé». Puis «dépassé», puisque les théologiens

de la libération ont fait du neuf. «Dans la théologie de la libération,

précise l’auteur de la thèse, la confrontation entre la situation dans laquelle on se trouve produit une double modification: une nouveauté de sens

de la réalité et aussi une nouveauté de sens de la Parole de Dieu».

Au total, souligne-t-il, la théologie de la libération redécouvre la Révélation «à partir de l’expérience de Dieu dans le pauvre». A. Brighenti

estime en conclusion que la méthode des théologiens de la libération est,

en relation avec la méthode «voir-juger-agir» de l’Action Catholique, une

méthode dont «le magistère a déjà accusé réception depuis longtemps, ce qui

confirme la catholicité de la théologie latino-américaine».

En janvier prochain. Agenor Brighenti rejoindra Bogota, la capitale colombienne, où il vient d’être nommé par le Conseil épiscopal latino-américain (CELAM) directeur de l’Institut de théologie et de pastorale pour

l’Amérique latine (ITEPAL). (apic/cip/pr)

6 décembre 1993 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 4  min.
Partagez!