pour faire le point sur les méthodes d’approche des évangiles
Belgique: Les 41e journées bibliques de Louvain ont réuni 150 exégètes
Louvain, 25août(APIC) Tous les continents étaient représentés aux 41e
journées bibliques de Louvain, qui ont réuni du 18 au 20 août, dans la cité
universitaire belge, quelque 150 exégètes venus de 17 pays et appartenant à
différentes traditions chrétiennes. Ce colloque international avait pour
but de faire le point sur les méthodes d’approche des évangiles synoptiques
(les évangiles de Marc, Matthieu et Luc).
Le colloque a débuté par une séance d’hommage au professeur Frans Neirynck qui accède à l’éméritat, après 32 années d’enseignement à la Faculté
de Théologie de Louvain (Leuven), où ses travaux ont apporté une contribution décisive à l’étude des évangiles à travers le monde. On s’est d’ailleurs référé à ses principaux ouvrages tout au long du colloque.
Au milieu des années 1950, quand F.Neirynck suivait les cours du professeur Lucien Cerfaux à Louvain, la recherche biblique intégrait déjà largement l’étude critique des formes et des genres littéraires. Mais on n’envisageait guère les évangélistes comme de véritables auteurs, et non seulement comme des rapporteurs originaux d’une tradition antérieure. On s’interrogeait sur la parenté des évangiles de Matthieu, Marc et Luc: pour de
nombreux passages, leur texte respectif peut être disposé en colonnes parallèles ou synopses: d’où leur nom d’évangiles «synoptiques». En milieu
catholique notamment, l’hypothèse longtemps retenue pour expliquer la parenté des synoptiques était que Mathieu, sous une forme ou sous une autre,
aurait été source de Marc et de Luc.
Les deux sources
Successeur, en décembre 1960, Mgr Descamps à la chaire de Nouveau Testament à Louvain, Frans Neirynck, fort des travaux de ses devanciers, ne tarde pas à faire oeuvre originale. Travailleur acharné, pointilleux dans
l’analyse, alliant une égale exigence de rigueur dans la méthode et de confrontation à d’autres recherches, il met au point, au fil des années, de
nouveaux outils pour affiner l’étude de la composition des évangiles. Il
reprend les hypothèses émises, invalides les unes, consolide les autres.
Son hypothèse de départ est aujourd’hui très largement admise: ce n’est
pas l’évangile de Matthieu, mais celui de Marc qui a vu le jour en premier
lieu et a servi de source fondamentale aux autres évangiles. Par une étude
fouillée des particularités littéraires de Marc, F. Neirynck va même montrer que le style de cet évangéliste se caractérise par un emploi fréquent
d’expression doubles et autres redoublements. Ces procédés littéraires dénotent que Marc est plus qu’un transcripteur de traditions antérieures;
c’est un authentique écrivain et un véritable théologien. Ses techniques
narratives sont au service d’une présentation originale de Jésus.
Comparés à Marc, Matthieu et Luc apparaissent eux aussi comme d’authentiques écrivains et théologiens. L’hypothèse de l’antériorité de Marc sur
les autres évangiles aide beaucoup à apprécier l’originalité de chacun.
Marc, toutefois, n’est pas la seule source des deux autres synoptiques.
Pour les passages communs à Matthieu et Luc, mais sans parallèle chez Marc,
F. Neirynck avance également des arguments impressionnants pour conforter
l’hypothèse d’une autre source écrite, mais non conservée comme telle: la
«Quelle», dit-on habituellement à la suite des exégètes allemands.
L’étude des synoptiques a poussé le professeur Neirynck à s’intéresser
davantage, ces dernières années, aux rapports entre les synoptiques et
l’évangile de Jean. Il s’est efforcé de montrer que le quatrième évangéliste a pu s’appuyer, non seulement sur une tradition ecclésiale déjà marquée
par les synoptiques, mais sur le texte même des synoptiques. Bien que cette
hypothèse radicale ait recueilli moins d’adhésion chez les spécialistes,
elle a, une fois encore, stimulé la recherche: en 1990, les journées bibliques de Louvain, ont révélé un consensus croissant entre les exégètes sur
la dépendance de Jean envers au moins un des synoptiques.
Nouvelles approches
L’effort pour remonter des évangiles à leurs sources, pour distinguer
dans le texte ce qui provient de la tradition et ce qui émane directement
des évangélistes comme auteurs, est typique d’une approche «historico-critique» des textes. Au cours des trois dernières décennies, cette approche a
beaucoup fait progresser la compréhension des évangiles. Depuis une dizaine
d’années, elle tend toutefois à être reléguée, sinon contestée, par les
partisans d’approches nouvelles, dérivées des études contemporaines sur le
langage et la littérature. Comme d’autres oeuvres littéraires, les textes
évangéliques font de plus en plus l’objet d’analyses structurales, d’approches narrative ou rhétorique, d’études sémiotiques.
Un point commun relie ces nouvelles recherches: elles ne s’intéressent
plus à l’histoire des évangiles ni au travail des rédacteurs évangéliques
par rapport à leurs sources; seul compte le texte final, pris en lui-même
comme un ensemble organisé et significatif. Pour beaucoup, il est même vain
sinon malvenu de s’interroger sur des traditions orales ou écrites antérieures aux évangiles: ce serait soumettre la lecture actuelle des évangiles à des hypothèses fragiles sur leurs sources ou sur les intentions à jamais inaccessibles des évangélistes! Vouloir expliquer le texte par des
éléments hors texte, c’est risquer d’imposer au texte ce qu’il devrait dire
au lieu de se laisser provoquer par lui à des découvertes neuves.
Le récent colloque de Louvain avait précisémemt pour but de confronter
l’exégèse «historico-critique» des évangiles synoptiques aux approches de
la «nouvelle critique littéraire». A l’ouverture des travaux, le professeur
Neirynck a lui-même brossé un état de la question, constatant, non sans
ironie: «aujourd’hui, on propose de s’en tenir au texte final des évangiles, sans s’occuper du problème des sources. J’admets que ce puisse être un
refuge pour ceux qui, dans l’étude des évangiles, sont irrémédiablement
sceptiques sur la question des sources. Ceux qui ne partagent pas ce scepticisme (et j’en suis) ont tout de même le droit de demander: que gagne-ton à négliger ce qui relève de l’évidence».
L’exégèse demain
Les journées bibliques de Louvain n’ont jamais prétendu réconcilier les
tenants de différentes approches. Elles les invitent plutôt à dialoguer.
L’ouvrage en trois tomes, qui vient d’êtres publié en hommage au professeur
Neirynck, illustre bien, par la diversité des 125 études qu’ils réunit sur
les évangiles, l’importance de la confrontation des points de vue.
L’exégèse de demain est sans doute appelée à marier davantage les approches, pour autant qu’elles soient compatibles. L’exemple en a été donné à
Louvain par le professeur Camille Focant (Louvain-la-Neuve), président du
colloque. Se penchant sur l’épisode évangélique où Jésus guérit la fille
d’une Syro-phénicienne (Marc 7,24-31), rebaptisée en Cananéenne par Matthieu (15,21-28), il a d’abord montré la fécondité d’une analyse historicocritique des textes, puis l’a enrichie d’une analyse exclusivement centrée
sur les procédés narratifs.
Plusieurs autres interventions ont aidé à préciser les avantages et les
limites des diverses approches. Les discussions ont souvent dépassé les
néccessaires analyses techniques des textes pour embrasser des questions de
fond. Deux de ces questions ont été mises en relief par un exégète protestant suisse, Daniel Marguerat (Lausanne). Les nouvelles approches exclusivement centrées sur le texte pris en lui-même, a-t-il noté, risquent de se
couper de l’histoire, référence constitutive pour la Bible et contexte originel de la Parole. En revanche, elles aident à percevoir et à mieux recevoir les effets que le texte évangélique opère sur le lecteur. Pour D. Marguerat, «chaque évangile construit différemment son lecteur»: ainsi, Marc
le provoque sans cesse à se désinstaller par rapport à ce qu’il croit savoir de Jésus, tandis que Matthieu l’invite constamment à s’identifier au
disciple qui se laisse enseigner par le Maître.(apic/cip/ak)