Dans son minuscule atelier, Berna exprime sa foi en couleurs | © Maurice Page
Suisse

Berna: La foi en couleurs

A la veille de sa nouvelle exposition au Centre Ste Ursule à Fribourg, Bernadette Lopez, alias Berna, ne tient plus en place. Elle n’a pas encore achevé les 27 tableaux de cet accrochage. Avec «Jésus hors piste» elle veut montrer un Christ dont la manière de parler et d’agir dépasse les convenances de la loi et de l’époque pour aller à la rencontre des hommes.

«Mon âne ressemble à une vache. Cela ne va pas.» Accroupie devant la grande toile posée à même le sol, vêtue d’une longue blouse constellée de taches, Berna est entièrement absorbée dans la parabole du Bon Samaritain qu’elle est en train de raconter en peinture. D’un coup de pinceau vif, elle rallonge les pattes, le museau et les oreilles. «Voilà, il ressemble à quelque chose!».

Exposition «Jésus hors piste»
Berna expose 27 toiles réunies sous le thème «Jésus hors piste» au Centre Ste Ursule, à Fribourg, du 25 janvier au 7 février 2020.  L’artiste sera présente sur place pour aller à la rencontre de son public. Après Fribourg, l’exposition devrait voyager en Suisse romande dans le courant de l’année 2020 MP

«Toute petite, en Espagne, j’aimais déjà beaucoup dessiner et mes images faisaient l’admiration de mes enseignants et de mes camarades. Mais je n’ai jamais fait d’école de beaux-arts, ni même de cours.» Dans son étroit atelier du quartier de la Vignettaz à Fribourg, au milieu des toiles et des pots d’acrylique, Berna raconte sa passion avec volubilité. «Regardez ces couleurs, on a envie d’y goûter» explique-t-elle en pressant sur un tube d’un beau rose bonbon.

Jeune femme, Bernadette Lopez a entrepris des études d’histoire-géo et de journalisme. Mais dans les années 1990, elle vient à la peinture. Et une évidence s’impose à elle, de manière inattendue. «Je devais m’orienter vers la peinture biblique. Je faisais des dessins notamment à partir de scènes de l’Evangile que je lisais volontiers.» Diverses personnes lui suggèrent alors de se mettre à la peinture. Une rencontre décisive a lieu avec le Père Albert Longchamp. Le jésuite est à l’époque directeur de l’Echo Magazine à Genève. Il publie ses premières œuvres. «La reconnaissance est arrivée très vite et le désir de peindre m’a alors submergée.»

Pour mieux connaître ce qu’elle peint, Berna entreprend en 1994 des études de théologie à Fribourg, couronnées par une licence en 2001. La peinture ne la quitte pas. «Elle m’a beaucoup aidée à m’approprier la théologie que j’apprenais dans les cours. De fait, j’ai du mal à trancher entre théologie et peinture. Pour moi, la peinture est clairement un moyen d’annoncer la Bonne Nouvelle de proclamer la Parole et de témoigner.»

Berna s’est essayé à la peinture de paysage et même au portrait, mais son choix s’est définitivement arrêté sur la peinture religieuse. «C’est un don que Dieu m’a fait. En ce sens, c’est un appel, une vocation.»

La parole est toujours nouvelle

Penchée sur sa toile, Berna étale de larges aplats de couleurs avec un gros pinceau: bleu pâle, rose, rouge, violet qui dessinent le ciel, les montagnes, un arbre, un chemin… «Je ne fais pas d’esquisse préparatoire. Je travaille directement sur la toile.» L’image qu’elle a longuement méditée et travaillée dans son esprit, jaillit spontanément sous les pinceaux. «Je prépare ma prochaine exposition depuis un an, mais cela fait à peine deux mois que j’ai commencé à peindre. J’ai peint plus d’une centaine de fois certains épisodes bibliques, mais je passe toujours d’abord par la lecture de la Parole. Elle est sans cesse nouvelle. Je crois que c’est une des caractéristiques de Dieu: être toujours nouveau.»

«J’associe les couleurs, toutes les couleurs à la vie: claires, vives, foncées, sombres. Elles sont toutes là.»

«Dans ma tête, les images, les couleurs, les ambiances et même les odeurs émergent. Prenez les Noces de Cana, je sens le vin et les parfums de la fête.» Elle saisit trois toiles blanches rectangulaires encore emballées sous cellophane. «C’est mon prochain tryptique, il est là dans ma tête.»

Pour Berna, l’acrylique est volubile et vivace | © Maurice Page

Artiste de la couleur, Berna explique avoir trouvé ses influences chez les impressionnistes, pour qui c’est l’ajustement et la masse des couleurs qui produit la forme. Pour le côté religieux, le peintre Arcabas (décédé en 2019, ndlr) est un de ses grands maîtres avec Chagall et Rouault. «J’associe les couleurs, toutes les couleurs à la vie: claires, vives, foncées, sombres. Elles sont toutes là. «La vie du Christ implique toujours la croix. Mais aussi l’espérance»

«Je dialogue constamment avec les couleurs»

«Je dialogue constamment avec les couleurs, elles me parlent, parfois elles crient. Je réponds. Nous avons des discussions passionnées et passionnantes.» Les couleurs acryliques, avec leurs nombreuses nuances, lui permettent cette liberté et cette spontanéité sur la toile. Elles sont couvrantes et sèchent vite.»J’ai essayé la peinture à l’huile, mais le procédé est plus délicat. L’acrylique est volubile et a beaucoup de vivacité, cela me correspond bien.»

Le rouge vif qu’elle applique sur la toile lui crie qu’il n’est pas a sa place. Elle l’essuie d’un coup de chiffon pour le remplacer par une teinte qui tire vers le marron.

Les œuvres de Berna cultivent beaucoup la lumière. «Je suis né en Espagne, j’aime la lumière du Sud. Jean ne commence-t-il pas son évangile pour la définition de Dieu comme la lumière qui ouvre nos yeux, éclaire notre vie et rend l’espérance possible?»

Peinture et vie ne sont pas dissociables

La peinture n’est cependant jamais devenue sa profession. Aujourd’hui Berna est aumônière d’hôpital à Morges. Cette activité nourrit profondément son œuvre. «Il n’y a pas un jour où je quitte l’hôpital sans avoir ressenti un peu de cette douce lumière de Dieu. Mes collègues soignants, même s’ils ne sont pas croyants ou sont éloignés de l’Eglise, partagent ce souci de l’humain, de l’écoute, de l’amour. Peinture et vie ne sont pas dissociables.» Pour sa prochaine exposition, Berna a invité tous ses collègues de l’hôpital. «Non pas dans l’idée de les ‘convertir’ mais dans la joie de partager les valeurs qui nous unissent.»

Le pinceau de Berna file sur la toile posée à même le sol | © Maurice Page

Berna n’a jamais considéré peindre pour elle-même, mais pour les autres. «Bien sûr que ma peinture dit quelque chose de moi, mais ce n’est pas ce qui compte. On m’a fait remarquer que mes personnages, la plupart du temps, n’ont pas de visage. Je n’en avais pas vraiment conscience mais je me suis approprié cette idée. Je laisse ainsi le spectateur mettre le visage et les sentiments qu’il veut dans ma peinture. Je ne crois pas à la ‘centralité’ de l’artiste. Je n’ai aucun problème avec l’idée que les gens y voient tout autre chose que ce que j’ai voulu y mettre. J’ai eu quelque fois des critiques très dures, mais dans ce sens-là, elles ne me touchent pas.»

Comme nous, Jésus, boit, mange, rit ou pleure

Si les personnages de Berna n’ont pas de visage, toutes ses toiles contiennent des personnages. «Au début, mes images étaient plus abstraites avec de simples fonds de couleur vive. Mais je suis devenue un peu plus concrète en structurant plus les lieux et l’espace. Mes personnages expriment la matérialité de la vie et la réalité de l’incarnation. Comme nous, Jésus, boit, mange, rit ou pleure, il se laisse toucher. Cette représentation des corps me semble capitale.» C’est alors la couleur qui exprime la foi ou les sentiments.

«Je ne dépends pas de ma peinture pour payer mes factures à la fin du mois ou me nourrir, donc je peux l’offrir.»

L’homme battu par les brigands et soutenu par le Bon Samaritain émerge de la toile sur le chemin désert. Dans l’ambiance violacée, les deux descendent vers la monture. Tout en haut, les murailles de Jérusalem barrent l’horizon.

Peindre pour les autres signifie aussi pour Berna que l’essentiel de son travail est offert gratuitement. «Je peux le faire, parce que j’ai une occupation salariée à côté. Mais c’est aussi un choix. Je ne dépends pas de ma peinture pour payer mes factures à la fin du mois ou me nourrir, donc je peux l’offrir.» Des personnes lui ont fait remarquer que payer une œuvre est une marque de respect pour son auteur. «Je l’entends bien et les œuvres de ma prochaine exposition seront mises en vente. Mais les prix seront toujours négociables et le bénéfice ne finira probablement pas dans ma poche.»

La parabole du Bon Samaritain racontée en quatre épisodes et quatre ambiances colorées | © Maurice Page

Une peinture ‘pétillante’

La même idée de gratuité a prévalu à la création du site internet «Evangile et peinture» qui offre chaque semaine une image et une méditation sur l’évangile du dimanche. Des gens du monde entier se sont inscrits. «Je trouve extraordinaire de pouvoir utiliser ces moyens pour témoigner.» Pas question cependant de se mettre à la peinture sur ordinateur, Berna aime trop l’aspect physique de son métier d’artiste, l’odeur des peintures, le crissement des pinceaux sur la toile. «Je travaille avec certains d’entre eux depuis plus de vingt ans. J’ai ce pot de violet depuis des années.»

«Le premier mot qui me vient à l’esprit lorsque je parle de ma prochaine exposition est pétillant. Je suis passionnée de communiquer ce qui me fait vivre. J’ai soif d’apprendre et de me laisser interpeller par les spectateurs. Une exposition exige beaucoup de lâcher-prise. Mais pour moi elle fait partie de l’acte de création.» (cath.ch/mp)

Bernadette Lopez
L’artiste-peintre Bernadette Lopez, alias Berna, est originaire de Barcelone en Espagne. Elle est théologienne, dessinatrice et musicienne. Après avoir été de longues années directrice-adjointe de l’Institut romand de formation aux ministères (IFM), à Fribourg, elle est aujourd’hui aumônière à l’hôpital de Morges.  MP

Portrait de Berna en 1998
En 1998, l’émission «Racines» de la télévision romande consacre un portrait Bernadette Lopez. Ce film a contribué à la faire connaître.

Dans son minuscule atelier, Berna exprime sa foi en couleurs | © Maurice Page
23 janvier 2020 | 17:00
par Maurice Page
Temps de lecture: env. 7 min.
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