Bernd Nilles, directeur d'Action de Carême | © Jacques Berset
Suisse

Bernd Nilles: «Querida Amazonia réalise les conclusions du synode»

Bernd Nilles, directeur d’Action de Carême, salue les positions fortes du pape François dans son exhortation post-synodale «Querida Amazonia», parue le 12 février 2020. Le responsable de l’œuvre d’entraide catholique suisse estime que le document soutient le travail de l’organisation dans les régions en développement.

Pour le directeur d’AdC, l’exhortation Querida Amazonia «va bien plus loin que de donner des bénédictions papales à des propositions individuelles», elle «constitue une ouverture encourageante et claire, dans laquelle le pape ne fait rien de moins que de mettre en œuvre le document final du synode pour l’Amazonie» d’octobre 2019. Dans une prise de position publiée le 13 février 2020 par AdC, Bernd Nilles estime, qu’avec ce texte, «François renforce la synodalité, la participation et la voix des laïcs». En effet, 87’000 personnes ont participé sur place à l’élaboration de la phase préparatoire du synode, note l’Allemand. Ce qui prouve le potentiel des Amazoniens à travailler de manière synodale.

Pour une Eglise «indignée»

Bernd Nilles se réjouit aussi que le pape François présente le mode de vie des communautés indigènes, simple et holistique, comme un modèle pour surmonter les crises écologiques. Le pontife se distingue ainsi clairement de ceux qui veulent forcer les indigènes du Brésil à s’intégrer dans le monde dit «civilisé». Il appelle de ses voeux une Eglise qui résiste à une mondialisation s’apparentant à une colonisation. «François veut une Eglise ‘indignée’ à ce sujet, et il veut que les chrétiens se rangent sans compromis du côté des pauvres», assure le directeur d’AdC. Il salue le fait que le pape nomme clairement les responsables de la destruction de l’Amazonie, condamnant sans ambages les acteurs économiques et politiques impliqués.

Les trois premiers «rêves» sur l’Amazonie, qui segmentent l’exhortation, «sont aussi ceux de nombreuses organisations partenaires» de l’œuvre d’entraide catholique, assure Bernd Nilles. Ils concernent les aspects sociaux, environnementaux et culturels liés à l’Amazonie.

Le quatrième ‘rêve’, sur le volet ecclésial, «est plus difficile à digérer et laisse de nombreuses questions ouvertes», admet Bernd Nilles, se référant notamment à la non entrée en matière du pape sur l’accès à la prêtrise pour les hommes mariés. Il cite le Père Dario Bossi, partenaire de projet d’AdC au Brésil, selon lequel, «il ne faut pas couper les ailes de l’Esprit Saint. Le rêve d’une Eglise à visage amazonien est réaliste». Le Père Bossi plaide avec force pour que des hommes et des femmes locaux éprouvés aient accès à tous les ministères dans l’Eglise.

Un impact mondial

Bernd Nilles rappelle que l’Église protège en général les droits humains et ceux de l’environnement dans la région amazonienne. C’est un travail que l’AdC soutient depuis des décennies – financièrement, mais aussi par son engagement civil en faveur de la mise en place de normes contraignantes pour les multinationales impliquées dans la destruction des écosystèmes. Le pape François renforce également cet engagement en soulignant explicitement le rôle actif de l’Église et de la société civile dans cette lutte.

Des propos qui auront nécessairement «un impact mondial», commente Bernd Nilles. Il cite Mgr Ambo David, dont l’engagement en faveur des pauvres aux Philippines est contré par des menaces de mort. Ce dernier écrit que l’exhortation «reprend également la préoccupation de l’Eglise philippine et la soutient dans son engagement en faveur des droits des communautés indigènes et contre l’exploitation de leur habitat». (cath.ch/com/rz)

«Le pape prend acte de réalités que l’on a manifestement voulu ignorer»

Le journal français La Croix a recueilli un certain nombre de réactions de personnalités à l’exhortation apostolique du pape François Querida Amazonia. Quelques extraits marquants.

Mgr Emmanuel Lafont, évêque de Cayenne, en Guyane française, juge l’exhortation «assez étonnante, car elle ne se présente pas comme le point final du travail du Synode, mais invite à lire et à travailler le document final». Pour le prélat français, «elle est étonnante également car aucune des questions et solutions proposées par le document final n’est écartée par le pape, même si le travail post-synodal, qui va se poursuivre, permettra de vérifier la faisabilité de ces propositions».

Mgr Lafont explique le silence du pape sur la possibilité d’ordonner des hommes mariés par une volonté de «décléricaliser l’Eglise, séparer pouvoir et ministère!». Selon l’évêque, le Synode et le pape souhaitent de nouveaux ministères, «mais dans une Église différente, qui ne cherche pas à cléricaliser les laïcs». Pour le pape, «il ne s’agit pas de créer de nouvelles structures mais de changer les cœurs, le rapport au pouvoir, à l’autorité», souligne l’évêque de Cayenne.

Pour la théologienne française Anne-Marie Pelletier, «le pape prend acte de réalités que l’on a manifestement voulu ignorer : il existe, de fait, un engagement des laïcs et des femmes en terre d’Amazonie qui, depuis longtemps, fait vivre l’Église!». Elle y voit «l’effet salutaire de rompre avec la problématique habituelle qui assigne les laïcs au temporel, tandis que le spirituel serait censé être la spécialité des prêtres et des religieux».

Anne-Marie Pelletier qualifie de «remarquable», dans Querida Amazonia, le constat du rôle des femmes dans la persistance de communautés dépourvues de prêtres. «Il est bon de voir reconnu ici le fait que, sans les femmes, l’Église s’effondre, en reconnaissant que sans elles,» beaucoup de communautés de l’Amazonie seraient tombées en lambeaux». Une réalité qu’il faudrait selon elle rapidement «intégrer dans notre ecclésiologie».

Le théologien jésuite François Euvé souligne «qu’en prenant un territoire particulier pour réfléchir aux grandes questions, le pape François a fait de l’Amazonie un laboratoire». Dans Querida Amazonia, le pontife «insiste sur l’inculturation, la pluralité culturelle et le respect des traditions et des racines», relève le théologien français. Ainsi le pape François fait allusion aux statuettes jetées dans le Tibre lors du Synode lorsqu’il écrit qu’il est «possible de recueillir d’une certaine manière un symbole autochtone sans le qualifier nécessairement d’idolâtrie» (n. 79). François Euvé remarque quel le pape insiste aussi sur l’importance de la vie communautaire, de la liturgie en rappelant de manière insistante que le prêtre est le seul ministre de l’Eucharistie. «Je ne suis pas certain que la réponse soit à la hauteur de la situation», note le spécialiste de Teilhard de Chardin. RZ

Bernd Nilles, directeur d'Action de Carême | © Jacques Berset
13 février 2020 | 16:39
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture: env. 4 min.
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