Père jésuite Jean-Bernard Livio, dans la chapelle de Notre-Dame de la Route, à Villars-sur-Glâne (Photo: Jacques Berset)
Suisse

Bethléem, ville des petits et des exclus

Et toi, Bethléem Ephrata, le plus petit des clans de Juda, c’est de toi que me naîtra celui qui doit gouverner Israël, prophétisait Michée à l’époque des rois de Juda. Et c’est là que naîtra Jésus, le fils de Dieu. Mais attention, note le jésuite Jean-Bernard Livio, Bethléem, présentée comme la Cité de David, n’était alors qu’une bourgade vivant dans l’ombre de Jérusalem. «David, le plus jeune des fils de Jessé, était un simple berger gardant son troupeau de moutons dans les environs de Bethléem. David n’était rien, il est devenu quelqu’un que plus tard. De plus, il n’a jamais été roi à Bethléem, qui n’a jamais été le centre…»

L’archéologue et bibliste dit avoir une lecture un peu «terreuse» de la Bible. Pour lui, cette lecture est indissociable d’un peuple et de son terroir. Cette façon d’approcher la terre qui a vu naître l’enfant Jésus, c’est d’abord sac à dos qu’il l’a expérimentée, à la fin de son gymnase. Arrivé en train à Istanbul, en Turquie, il poursuivra sa route vers la Terre Sainte en autostop. C’était au temps où il fallait encore passer de la Jordanie à Israël par la Porte de Mandelbaum, dans la vieille ville de Jérusalem, aujourd’hui occupée par l’Etat hébreu.

Bac en poche, à Bethléem, sac au dos

«Je venais de passer mon bac, je partais en curieux, mais je suis tombé d’emblée sous le charme de la Terre Sainte…» Ce fut une révélation, car depuis, il y a passé des périodes d’étude à l’Université hébraïque et à l’Ecole biblique et archéologique française de Jérusalem. Il y retourne plusieurs fois par an à la tête d’un groupe de pèlerins.

Pour la première fois à Bethléem en 1958, Jean-Bernard Livio y guide des groupes depuis 1963. D’abord des amis, des étudiants, à qui le féru d’archéologie fait découvrir les traces d’un passé souvent idéalisé et mythifié. «Quand j’ai vu pour la première fois sur un panneau de signalisation ‘Nazareth, 22 km’, cela a été pour moi un vrai choc. Je me suis alors dit: Nazareth, cela existe, et pas seulement dans la Bible! J’y suis retourné, j’ai fait de l’archéologie sur le terrain, avec l’Université hébraïque de Jérusalem, avec la Faculté d’archéologie de Jérusalem, et aussi avec l’Ecole biblique et archéologique. Je parle hébreu suffisamment pour me faire comprendre et pour lire les textes».

Un vrai ‘coup de cœur’ pour la ville qui a vu naître l’enfant Jésus

«C’est un fait, j’ai eu un vrai ‘coup de cœur’ pour Bethléem, car au-delà des fioritures que l’on trouve dans la Basilique de la Nativité, j’ai été chercher l’enfant ailleurs, en particulier l’enfant malade. Plus tard, j’ai eu l’occasion pendant plus d’une quinzaine d’années de faire partie du comité d’administration du Caritas Baby Hospital. M’étant retiré, je suis resté attaché à ce lieu qui me parle: avec des amis que j’ai emmenés avec moi dans des groupes de pèlerins, nous avons créé l’association des «Amis de la Crèche de Bethléem» (www.creche-bethleem.ch). Cette «crèche» est une œuvre des Filles de la Charité de Saint-Vincent de Paul qui recueille notamment des enfants abandonnés ou venant de familles très démunies. C’est encore une façon pour moi de retrouver l’Enfant à Bethléem».

La nouvelle de la naissance de «l’enfant Jésus», né dans une mangeoire «car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune», comme l’écrit l’évangéliste Luc (Evangile selon saint Luc 2,1-7), a été annoncée par des bergers, des gens de condition humble. «A l’époque, selon le droit juif, les bergers n’avaient même pas le droit de témoigner au tribunal. Ils n’entraient pas dans les villes, ils étaient au bas de l’échelle sociale».

Entrer dans l’intelligence de cette naissance

Quand on construit une crèche, dans une paroisse, il faudrait souligner cette dimension souvent occultée, celle des petites gens de Bethléem, à l’instar de «ceux à côté de qui on passe sans les voir, parce qu’à nos yeux, ils ne sont pas importants, les petits, les rejetés, ceux qu’on ne prend pas au sérieux», souligne le Père Livio.

«Chaque fois que je suis devant la basilique de la Nativité. Il me faut entrer dans l’intelligence de cette naissance, me faire tout petit…»

Une métaphore du temps présent

Cette naissance pauvre, dans une crèche, est aussi pour l’archéologue et le bibliste une métaphore du temps présent: celui d’une population confinée par l’Etat d’Israël derrière une muraille de séparation de 8 mètres de haut, à moins de 10km de Jérusalem, son centre naturel. «Bethléem est aujourd’hui de moins en moins habitée et visitée par les chrétiens, car la ville est majoritairement musulmane, bien qu’il n’y ait aucun lieu saint musulman. Le seul lieu saint juif est le tombeau de Rachel, au beau milieu du cimetière de la ville, une tradition pieuse de pèlerins juifs mise en valeur au XIXe siècle par Sir Moses Montefiore. En attendant, les habitants de Bethléem qui ont des parents enterrés dans ce cimetière n’y ont plus accès!»

Le fait d’emmener depuis des décennies des pèlerins à Bethléem ont fait du Père Livio un témoin privilégié du drame que vit cette région de la Palestine occupée. Car si pour les chrétiens, ce lieu représente l’enfant, la joie, la naissance, la paix, «ce sont des beaux slogans à Noël, mais la réalité sur place est moins idyllique!»

Dissuader les pèlerins de rester à Bethléem

«Pour les pèlerins chrétiens, il est impensable de se rendre en Terre Sainte et de ne pas visiter Bethléem. Cela ennuie beaucoup les agences de tourisme israéliennes. Les Israéliens tentent de dissuader les pèlerins, en disant que Bethléem est un lieu très dangereux, les incitant à se contenter de la visite de la basilique de la Nativité et d’ensuite partir sans visiter la ville. Surtout ne pas y manger ou dormir, ne rien dépenser sur place, c’est voulu!»

Le Père Livio y fait séjourner les pèlerins qu’il guide, car la population de Bethléem, enfermée derrière le mur de séparation israélien, a besoin de ressources économiques pour vivre. Le tourisme religieux est essentiel pour la ville, comme le sont la vente de broderies ou de statues de bois d’olivier.

«C’est toute la population de Bethléem qui est considérée par le gouvernement israélien comme l’étaient les bergers du temps de Jésus, c’est-à-dire comme des exclus».

«N’oubliez pas que c’est ici que tout a commencé!»

Mais ce qui est remarquable, note le religieux jésuite, c’est que ni les intégristes musulmans ni le gouvernement israélien n’ont réussi à monter les habitants des différentes communautés les unes contre les autres: malgré les divisions confessionnelles qui fragilisent une population sous tension constante, les difficultés de coordination entre les Eglises chrétiennes – qui ne peuvent se mettre d’accord sur les dates des fêtes religieuses, en raison de différences de calendriers – les gens de Bethléem se veulent avant tout Palestiniens.

Vera Baboun, la première femme maire de Bethléem, une catholique, était, avant son élection à la municipalité, directrice du gymnase catholique de Beit Sahour. «Elle l’a dit au pape François, mais elle nous l’a également rappelé: ‘n’oubliez pas que c’est ici que tout a commencé!» (cath.ch/apic/be)


Rapprochez-vous de la crèche avec cath.ch.

Sur la route vers Noël, la rédaction vous propose une série d’interviews et d’articles autour des personnages de la crèche de Bethléem. Jusqu’à l’épiphanie, allez à la rencontre de l’Enfant Jésus, de Marie, de Joseph, des mages et des bergers – sans oublier l’âne et le boeuf. Ils vous sont présentés par différentes figures de l’Eglise romande. 

Père jésuite Jean-Bernard Livio, dans la chapelle de Notre-Dame de la Route, à Villars-sur-Glâne
21 décembre 2015 | 17:46
par Jacques Berset
Temps de lecture: env. 5 min.
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