Big Bang et trous noirs se rencontrent à l'Observatoire du Vatican
L’Observatoire astronomique du Vatican organise du 16 au 21 juin 2024 une rencontre de haut niveau autour de l’héritage du prêtre astronome belge Georges Lemaître (1894 – 1966). Père de la théorie du Big Bang, ce scientifique a tenu en respect Albert Einstein en personne. L’événement rassemblera une quarantaine d’astronomes et cosmologues du monde entier à Castel Gandolfo.
Pendant une semaine, la fameuse «Specola» – l’Observatoire astronomique du Vatican situé dans les collines de la région des Castelli romani – sera animée de discussions autour des «Trous noirs, ondes gravitationnelles et singularités spatio-temporelles» (Black Holes, Gravitational Waves and Space-Time Singularities). Les scientifiques – dont deux Prix Nobel – vont «partager les idées les plus récentes en cosmologie» et «faire naître de nouvelles perspectives» ont expliqué les organisateurs.
Les participants viendront notamment des États-Unis, de Géorgie, d’Iran, du Japon, de Colombie. Parmi cette «dream team de penseurs» – comme l’a saluée le théoricien italien Fabio Scardigli –, seront présents le physicien français Thibault Damour, spécialiste de la théorie des cordes, le philosophe et éthicien belge Dominique Lambert et le physicien canadien Éric Poisson, spécialisé dans les trous noirs. Quelque 150 experts suivront les travaux en ligne.
«La théorie des deux chemins» de Lemaître
Georges Lemaître a marqué aussi bien l’histoire de la science que celle de l’Église, a rappelé le jésuite Gabriele Gionti, cosmologue et vice-directeur de l’Observatoire. En théologie, le savant belge a formulé la théorie «des deux chemins» – qui concilie foi et science en respectant leur autonomie. Dans le domaine scientifique, il a participé à découverte de la loi de récession des galaxies – appelée «loi de Hubble-Lemaître».
Selon cette loi, les galaxies s’éloignent les unes des autres à une vitesse proportionnelle à leur distance, dans l’Univers en expansion constante. Une théorie qui n’eut pas l’heur de plaire à Albert Einstein. Celui-ci «préférait que l’Univers soit stationnaire, immuable», a expliqué le physicien Massimo Bianchi. Einstein était également en désaccord avec Georges Lemaître sur le Big Bang, car «l’idée que le temps ait pu avoir un début, qu’il y ait pu avoir une création, ne lui plaisait pas».
Malgré cela, le fameux théoricien de la relativité resta «très troublé par les arguments convaincants de Lemaître», lors de leur première rencontre en 1927. Pour le Père Gionti, Lemaître a même «en quelque sorte corrigé Einstein». Au fil du temps, malgré leurs antagonismes scientifiques, ils entretinrent une amitié et une estime mutuelle.
Le Big Bang et la Genèse
Devant la presse, le frère Guy Consolmagno, directeur de l’Observatoire astronomique du Vatican, a précisé qu’il ne fallait pas confondre «le Big Bang et le moment de la création décrit dans la Genèse». «Lemaître était très ferme sur le fait que ce n’était pas la même chose», a insisté le planétologue. Et d’expliquer: «Le Big Bang est notre meilleure compréhension à ce jour de ce qu’il s’est passé après que l’Univers a été créé. Peut-être, dans cent ou mille ans, trouvera-t-on une meilleure théorie. En revanche, la Genèse décrit la création des lois de la physique elle-même, ces lois qu’on essaie encore de découvrir.»

Georges Lemaître, qui entretenait des liens étroits avec la Specola, tint d’ailleurs à soutenir cette position auprès de Pie XII en personne, a relaté le Père Gabriele Gionti. En novembre 1951, le pontife prononça à l’Académie pontificale des sciences un discours qui «sembla vouloir dire que le Big Bang confirmait la Genèse». L’astronome demanda alors à s’entretenir avec le chef de l’Église catholique, convaincu que théologie et sciences étaient «deux domaines différents, […] deux plans parallèles qui ne se croisaient pas», a commenté le Père Gionti.
«À la Specola il y a un peu plus de liberté»
La communauté scientifique a répondu avec intérêt à l’initiative de la Specola, qui entretient de bonnes relations avec les plus hautes entités du monde de l’astronomie. Cette collaboration est possible en partie «parce que nous ne sommes pas en compétition pour les positions ou pour l’argent, […] nous n’avons pas d’agenda», a affirmé le Père Consolmagno.
Selon Gabriele Gionti sj, l’Observatoire du Vatican représente «un lieu neutre où les académiciens […] se sentent libres de parler sans être conditionnés par les courants de pensées qui circulent dans les structures académiques». «À la Specola il y a un peu plus de liberté», a-t-il glissé.
Le fait que les membres de l’Observatoire soient des religieux – jésuites – est d’ailleurs bien accueilli, a assuré Frère Consolmagno. Celui-ci qui a fait partie du Conseil d’administration de l’Union astronomique internationale. Il y a constaté qu’il existe dans le monde scientifique «une grande ouverture au besoin de […] répondre à la question fondamentale: pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien ?».
Les participants à cette conférence devraient être reçus par le pape François et les actes de cet événement pourraient être publiés dans une revue scientifique, comme cela a été le cas lors de la première conférence internationale de 2017. (cath.ch/imedia/ak/lb)





