La ville de Sucre, la capitale constitutionnelle de la Bolivie | © Mauricio Frias/Flickr/CC BY-NC 2.0
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Bolivie: l’Eglise craint une «persécution» sous prétexte des abus

Une commission d’enquête parlementaire sur des abus sexuels perpétrés par un prêtre jésuite en Bolivie a commencé ses travaux. Des craintes ont cependant surgi que cette démarche soit politiquement instrumentalisée pour nuire à la Compagnie de Jésus et à l’Eglise.

De terribles révélations d’abus ont récemment secoué la Bolivie et suscité l’indignation de la population. Le 30 avril 2023, le quotidien espagnol El Pais publiait une enquête sur des abus commis par le jésuite espagnol Alfonso Pedrajas. Missionnaire en Bolivie dans les années 1970, il avait écrit un journal intime – diffusé par le média espagnol – dans lequel il racontait avoir abusé d’au moins 85 mineurs. Le prêtre, décédé d’un cancer en 2009, écrivait qu’un certain nombre de ses supérieurs et de ses confrères étaient au courant de ses actes mais qu’aucune action n’avait été entreprise.

Soupçons de dissimulation

Depuis la révélation de l’affaire, au moins cinq prêtres jésuites son sous enquête pour avoir potentiellement couvert les abus du Père Pedrajas. En réponse aux révélations, Mgr Jordi Bertomeu, official au dicastère pour la Doctrine de la foi et expert sur les questions d’abus, s’est rendu en Bolivie fin mai 2023 à la demande de la Conférence épiscopale bolivienne (CEB). Cette dernière a annoncé la création de quatre commissions pour enquêter sur ces affaires et améliorer la prévention.

Des procédures pénales ont été lancées, ainsi qu’une plainte collective déposée par un groupe d’anciens étudiants de l’Institut Juan XXIII contre l’actuel provincial de la Compagnie de Jésus dans le pays, le Père Bernardo Mercado. Ce dernier fait l’objet d’une enquête de la part de la justice civile.

Une commission «biaisée»?

Le secteur politique bolivien est également entré en action. Une ‘commission de vérité’, mise en place au sein de la Chambre des Sénateurs sur le suivi législatif des abus, est active depuis juin 2023.

La démarche suscite toutefois des interrogations. La Conférence épiscopale a notamment dénoncé le fait que le travail du Sénat bolivien a été l’objet de tentatives d’instrumentalisation politique. Des pressions seraient en particulier exercées par le Mouvement pour le socialisme, parti majoritaire au gouvernement, fondé par l’ancien président Evo Morales. Au total, la commission compte six sénateurs, dont trois sont membres du Mouvement pour le socialisme.

«Des craintes ont surgi que la majorité n’oriente de manière discrétionnaire l’objectif de la commission», a indiqué à l’agence catholique ACI prensa Nelly Gallo Soruco (23 avril 2024). La sénatrice est membre de la ‘commission vérité’ et du parti d’opposition Communauté citoyenne (CC). «Il est nécessaire que cette commission remplisse son rôle d’application de la loi et ne la manipule pas d’une manière politiquement partisane», a déclaré l’élue.

Craintes de dépossession des jésuites

Il semble que ce soit un secret de polichinelle que le gouvernement socialiste bolivien «a la Compagnie de Jésus dans sa ligne de mire», note ACI prensa. La sénatrice Gallo alerte sur la possibilité que les jésuites soient expropriés de leurs biens dans le pays, sous prétexte d’offrir une compensation économique aux victimes.

Nelly Gallo assure qu’elle est son équipe sont toutefois «prêts à faire face à une telle situation». Ils ont déjà prévenu que si le rapport final de la commission était entaché d’intentions politiques étrangères à sa nature, ils présenteraient un «rapport subsidiaire» dénonçant toutes les irrégularités.

L’élue estime que l’institution ecclésiastique en général n’a pas à payer pour les déviances de quelques uns de ses membres. «Nous avons constaté que l’Église et la Compagnie de Jésus ont été très ouvertes et n’ont pas eu l’intention de cacher quoi que ce soit, ce qui a beaucoup aidé à se débarrasser des idées de complicité.» Pour le média hispanophone, la liberté religieuse est de plus en plus menacée, en Bolivie, et de nombreux observateurs commencent à exprimer leur inquiétude. «Nous craignons que ces cas regrettables [d’abus, ndlr.] ne soient utilisés pour persécuter politiquement l’Église», a réaffirmé Nelly Gallo. (cath.ch/aciprensa/arch/imedia/rz)

La ville de Sucre, la capitale constitutionnelle de la Bolivie | © Mauricio Frias/Flickr/CC BY-NC 2.0
25 avril 2024 | 16:35
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 3  min.
Abus sexuels (1357), Bolivie (61), Jésuites (160), politique (181)
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