Un des pionniers de la lutte contre l’analphabétisme
Brésil: Décès de Paulo Freire
Sao Paulo, 8 mai 1997 (APIC) – Paulo Freire, un des pionniers de la lutte contre l’analphabétisme, est mort le 2 mai au Brésil, à l’âge de 75 ans, des suites d’une crise cardiaque.
Né en 1921 à Récife, dans l’Etat de Pernambouc, au Brésil, Paulo Freire est connu pour sa théorie de la «conscientisation» dans le domaine de l’éducation. Selon cette théorie, exposée dans son livre «Pédagogie des opprimés», l’éducation est basée sur le dialogue et les mots-clés qui permettent aux gens d’apprendre à lire et écrire doivent être liés à leur expérience quotidienne. Paulo Freire estimait qu’il y avait un lien entre l’analphabétisme et le manque de conscience de leur oppression.
Par cette méthode, Paulo Freire est parvenu, au début des années 60, à alphabétiser 300 adultes en moins de deux mois et ses méthodes ont été rapidement adoptées par l’Etat de Pernambouc, dans le nord-est du Brésil, puis en 1964 dans tout le pays. Après le coup d’Etat militaire de 1964, le nouveau régime a dénoncé sa théorie, lui reprochant d’être inspirée par le communisme. Paulo Freire fut arrêté, et, après 70 jours passés en prison, il est parti en exil.
Durant ces seize années d’exil, Paulo Freire, laïc catholique romain, oecuméniste convaincu, il a exercé une grande influence sur l’élaboration de la théologie de la libération latino-américaine, et notamment sur la vie des communautés ecclésiales de base. Il fut entre autres, consultant auprès du Ministère de l’éducation au Chili, auprès de l’UNESCO, et professeur invité à l’Université de Harvard, aux Etats-Unis. De 1970 à 1980, il a été consultant en matière d’éducation populaire auprès du Conseil oecuménique des Eglises (COE) et professeur à la faculté d’éducation de l’Université de Genève. Durant cette période, il est devenu consultant itinérant en Afrique, dans les anciennes colonies portugaises libérées après la révolution portugaise de 1974 et dans des pays d’Amérique latine, notamment au Nicaragua après le triomphe du sandinisme.
Avant de prendre ses fonctions au COE, Paulo Freire avait averti que sa préoccupation première était pour les pauvres de cette terre et rappelé son engagement à la cause de la révolution.
Nomination contestée
Sa nomination au COE – qui rassemble les grandes Eglises protestantes, anglicanes et orthodoxes – avait provoqué une polémique et le président de l’Eglise luthérienne du Brésil, Karl Gottschald, membre du Comité exécutif du COE, avait demandé que celle-ci soit annulée. En dépit des protestations, sa nomination fut maintenue et Paulo Freire devint une des figures les plus connues du COE. C’est durant cette période que le livre «Pédagogie des opprimés» devint l’ouvrage le plus emprunté a` la bibliothèque du COE, dépassant même la Bible en popularité.
Dans un hommage rendu à Paulo Freire le 6 mai, Konrad Raiser, secrétaire général du COE, relève que «le COE, qui a reçu l’inspiration féconde de Paulo Freire durant ses années de collaboration dans les années 70, pleure la perte d’un ami et d’un des grands penseurs de notre siècle… Paulo Freire a profondément influencé l’orientation et la méthodologie de la formation oecuménique; le concept de «l’apprentissage oecuménique a beaucoup bénéficié des idées de Paulo Freire». Paulo Freire a connu l’expérience de la pauvreté et de la faim, lorsque sa famille a été ruinée à la suite de la crise de 1929, et très jeune, il s’est engagé à lutter contre la faim. Il a fait des études de droit mais a décidé très tôt de se consacrer à l’enseignement et à l’alphabétisation des adultes.
Rentré au Brésil en 1980 après l’amnistie, il a occupé plusieurs fonctions, entre autres, celles de professeur à l’Université catholique de Sao Paulo, de directeur d’un institut d’enseignement et de secrétaire à l’éducation de la municipalité de Sao Paulo.
Parlant de son exil, il avait dit en 1985: «’ai été puni parce que j’ai montré que la misère de la faim n’était pas une perversité de Dieu, mais le résultat d’un manque de conscience de ceux qui vivent dans l’analphabétisme».
A travers cette expérience, Paulo Freire a très vite constaté que l’apprentissage qui donne aux gens le sens de leur dignité peut permettre à des femmes et à des hommes, même pauvres, de devenir des producteurs de culture, prêts à affronter la culture du silence. La méthode a pour objectif central de susciter un nouveau niveau de conscience, de faire naître une conscience nouvelle chez les gens. Le terme qu’il crée – conscientizacaô (conscientisation) – est aujourd’hui le symbole de sa psychologie. (apic/eni/pr)