Brésil: Résurrection des dieux indigènes
Plaidoyer pour un «macro-oecuménisme»
Rencontre avec le théologien noir brésilien Antonio Aparecida Silva
Jacques Berset, Agence APIC
SaoPaulo(APIC) L’Eglise doit assumer les cultures noire et indigène, lance le théologien noir brésilien Antonio Aparecida Silva, curé de Notre-Dame
d’Aquiropita, à Sao Paulo. «Padre Toninho», l’ancien recteur de la Faculté
de théologie de l’archidiocèse de Sao Paulo qui nous reçoit dans sa paroisse, est aujourd’hui assistant national de la communauté noire du Brésil.
Figure de proue de la «théologie noire de la libération» au Brésil, Padre
Toninho s’aventure sur les chemins périlleux du «macro-oecuménisme».
Comme curé d’une paroisse où se côtoient Italiens immigrés au début du
siècle, Nordestins récemment arrivés à Sao Paulo et Noirs souvent marginalisés, il est chaque jour interpellé par la réalité afro-brésilienne. «Par
rapport aux Noirs, descendants d’esclaves, comme par rapport aux Indiens,
l’Eglise ne doit pas tellement demander pardon – car je pense que dans
l’Eglise catholique, on demande pardon avec beaucoup trop de facilité mais plutôt changer concrètement ses attitudes: le meilleur moyen de demander pardon, c’est d’assumer réellement la culture noire et la culture indigène avec leurs traditions…».
Religion des maîtres et culture de résistance
Durant la longue histoire du Brésil colonial et impérial, la seule et
unique religion acceptée officiellement était le catholicisme. Les Noirs
arrachés à la terre d’Afrique étaient baptisés dans les ports d’embarquement ou à leur arrivée au Brésil, et le catholicisme représentait dans ces
circonstances de réduction d’hommes libres à la condition d’esclaves une
dimension symbolique de violence. Ainsi, comme le Noir «acceptait» d’être
esclave, il «acceptait» aussi la religion de ses maîtres. Superficiellement
souvent, car dans une sorte de culture de la résistance, il a maintenu
clandestinement sa mémoire mythique et le culte à ses divinités.
Dans la mesure où les espaces de liberté s’élargissaient, notamment à
partir du XIXe siècle (l’abolition de l’esclavage date de 1888), les Noirs
du Brésil ont commencé à s’organiser en confréries religieuses dans les périphéries des métropoles. Surgirent ainsi les cultes «afro-brésiliens» comme les Candomblé, Cangerês, Batuques, Xangôs, Macumbas… Noms régionaux de
cultes aux divinités africaines, qui ne sont plus les cultes africains originaux, mais leur réélaboration par des Noirs qui ont souffert l’esclavage
au Brésil et par leurs descendants. Ainsi apparaissent des traits non seulement africains, mais également des éléments mythiques et rituels appartenant à d’autres religions ou à des pratiques spiritistes. (1)
Une «Eglise du grand oecuménisme» ?
Face à cette réalité foisonnante, le théologien noir souhaite une Eglise
«moins préoccupée par le catéchisme du cardinal Ratzinger» mais plus proche
des gens, une Eglise différente, qui ne fait plus disparaître des cultures
autres, des religiosités différentes… Une «Eglise du grand oecuménisme».
«Aujourd’hui, ce qui nous préoccupe, ce ne sont pas tellement les problèmes de dogmes, mais les problèmes de vie. La question du moment n’est
pas tellement de définir Dieu, car en Amérique latine, actuellement, nous
n’avons pas de problèmes de définition de Dieu; pour nous, Dieu est le Dieu
de la vie, dans une situation où de nombreuses personnes meurent en raison
de la crise économique et du néo-libéralisme qui s’impose partout!»
«Nous assistons aujourd’hui en Amérique latine à la résurrection des
dieux, les dieux des indigènes – Tupan, la Pacha Mama -, les dieux afroaméricains – Olorum, Zambi -, qui sont les dieux de la vie, de l’énergie
vitale». Ainsi, affirme Padre Toninho, nombreux au Brésil sont les catholiques qui pratiquent en même temps le candomblé ou l’umbanda. La culture
africaine, profondément religieuse, est pour eux le fondement de leur façon
de voir le monde. «Ils pratiquent à la fois le candomblé et la religion
catholique, comme Jésus qui était juif et en même temps offrait une proposition différente…»
Padre Tonihno relève que dans certaines religions afro-brésilienne comme
l’umbanda, on trouve beaucoup d’éléments proches du catholicisme populaire,
comme le culte des orixas – «sources d’élan vital» – longtemps déguisé en
culte des saints. «Le peuple n’a pas de problèmes, les pratiquants, à l’exception des intellectuels qui font la différence, s’affirment en même temps
catholiques; ils ne voient pas la contradiction, c’est un moment d’une même
réalité».
Le théologien noir admet certes que la rationalité occidentale n’arrive
pas à comprendre que les deux puissent cohabiter, car elle est excluante:
ou homme ou femme, ou blanc ou noir, ou pauvre ou riche, ou catholique ou
pratiquant du candomblé… Mais la culture africaine ne possède pas la même
logique, bien que ce soit aussi une logique chrétienne.
A partir d’une réflexion sur l’identité culturelle, estime-t-il, l’Eglise va découvrir l’origine de chaque peuple et le Dieu de la vie, un Dieu
qui a plusieurs dimensions et visages: à la fois un visage féminin, le visage du pauvre, du Noir, de l’Indigène…. Un Dieu qui chemine avec les
gens, qui partage leurs problèmes et leurs luttes. Jusqu’à maintenant, en
Amérique latine, le christianisme qui s’est imposé est un christianisme
guerrier, le monothéisme occidental, poursuit Padre Toninho, tandis que
l’on redécouvre aujourd’hui une sorte de ’polythéisme’. «Pendant très longtemps, on a prêché le Dieu occidental qui tue tous les autres dieux, les
dieux indigènes, un Dieu conquistador».
Pour Padre Toninho, le moment est venu de sortir des définitions de la
théologie classique et de dépasser le «micro-oecuménisme», qui est «une
sorte de convention entre Eglises blanches», pour tenter l’aventure du «macro-oecuménisme». (apic/be)
(1) (Cf. Professeur Lisias Nogueira Negrao, dans la revue des migrants
Travessia No 10, 1991, Sao Paulo)