Le curé de Nazareth plaide pour la reconnaissance de l’autre

Bulle: A la fois Palestinien et Israélien, le Père Emile Shoufani enthousiasme les Gruériens

Jacques Berset, agence Apic

Bulle/Fribourg, 9 septembre 2004 (Apic) Le Père Emile Shoufani, curé de Nazareth, a plaidé mercredi soir pour la reconnaissance de l’autre, se définissant à la fois comme citoyen israélien et palestinien d’origine et de coeur. Une centaine de Gruériens se sont déplacés à la salle paroissiale de Bulle à l’invitation de l’Association suisse de Terre Sainte et du Décanat de la Gruyère.

Accueillant l’orateur venu de Nazareth, qui s’adressait pour la première fois à un public suisse, l’abbé Pascal Burri a rappelé la souffrance de la population palestinienne, notamment la construction du mur de séparation qui rappelle un autre mur, celui de Berlin, «tristement célèbre pour les Européens».

Le curé du secteur de Notre-Dame de l’Evi a salué en Emile Shoufani un «patriote arabe» adepte de la non-violence. Dans son Collège St-Joseph à Nazareth, qui accueille 1’300 élèves, le Père Shoufani présente un idéal de communion entre cultures et religion, a-t-il relevé.

Abouna Emile, comme on l’interpelle dans les rues animées de Nazareth, la ville de Galilée où Jésus passa son enfance, est à la fois arabe et chrétien. Tout sourire derrière sa barbe blanche, il a rappelé à Bulle que les chrétiens, où qu’ils soient, sont concernés par ce qui se passe en Terre Sainte. Non pas par esprit de croisade ou de conquête, mais parce qu’il est nécessaire que là où prévaut la haine, l’on mette la paix. Le prêtre grec-catholique melkite, lauréat de nombreux prix internationaux – dont le Prix Unesco de l’éducation pour la paix 2003 – , oeuvre depuis des décennies au rapprochement entre juifs, musulmans et chrétiens.

Le grand-père et l’oncle fusillés par les Israéliens

C’est ce qui l’a poussé à jumeler son école arabe de Nazareth, qu’il dirige depuis 27 ans, avec une école juive de Jérusalem. Malgré l’intifada, la révolte palestinienne qui engendre la peur, les élèves juifs continuent d’être hébergés dans les familles arabes de Nazareth, et les élèves chrétiens et musulmans dans les familles juives de Jérusalem. L’an dernier, le Père Shoufani a conduit au camp de concentration d’Auschwitz une délégation de 500 pèlerins – juifs, chrétiens, musulmans, Israéliens, Palestiniens et Européens – parce qu’il estime qu’il faut aussi entrer dans la pensée de l’autre pour le comprendre.

Cette attitude – qu’il doit en bonne partie à sa grand-mère – est d’autant plus remarquable qu’à la fondation de l’Etat d’Israël, en 1948, les soldats hébreux ont assassiné notamment son grand-père et son oncle! «Je suis pour la vie, pas pour la vengeance», disait la grand-mère d’Abouna Emile, et son petit fils défend la même idée de l’Homme: l’autre est une lumière infinie, une parcelle de Dieu, au-delà des idéologies et des partis.

Les chrétiens présents en Terre Sainte 300 ans avant l’islam

Les chrétiens sont déjà présents dans la région au temps du premier concile oecuménique de l’histoire, en 325 à Nicée; des évêques parlaient l’arabe, le syriaque, le grec. 300 ans avant l’arrivée de l’islam! La foi chrétienne est entrée dans le génie de chaque peuple de cette région. On a essayé de la modeler, ce qui lui a donné une richesse extraordinaire dans le domaine de la théologie, de la liturgie, de l’art, de la pensée, de l’architecture, souligne Emile Shoufani.

Certes, à l’arrivée de l’islam, chrétiens et juifs ont eu le droit de rester en pays musulman, mais en payant l’impôt et en subissant de temps à autres la persécution. De plus, l’effort créatif des Eglises s’est alors arrêté et elles se sont sclérosées. Le temps des croisades a produit le même effet négatif. «Aujourd’hui, dans notre pays, la division des Eglises est scandaleuse. Nous continuons dans une certaine mesure à vivre comme au Moyen Age et c’est un scandale vis-à-vis des juifs et des musulmans !».

Les chrétiens locaux ne sont pas des convertis de l’islam, ils sont là dès les premiers siècles, tient à préciser Emile Shoufani. «De l’Egypte à l’Irak, nous sommes encore 16 millions de chrétiens!». En Israël, les chrétiens ne sont que 140’000, sans compter environ 60’000 dans les territoires palestiniens occupés, mais leur vécu est profondément ancré dans l’histoire.

«Les chrétiens d’Orient peuvent être les traducteurs, les intermédiaires, car il y a près de 1’400 ans que nous vivons avec l’islam; cela ne nous dérange pas, c’est le lieu d’une communion», lance le curé de Nazareth. Si dans les territoires palestiniens, l’occupation israélienne a déstabilisé la société et la montée de l’islamisme – entre autres – a provoqué le départ de nombreux chrétiens, la situation est différente en Israël même. Les 40’000 chrétiens restés sur place – 850’000 Palestiniens à l’époque sont partis ou ont été chassés de leurs terres pour devenir des réfugiés – ont plus que triplé depuis 1948.

«Malgré la tentation de partir, les chrétiens restent, et ils veulent rester comme témoins de la rencontre avec les musulmans et les juifs.» Pour le curé de Nazareth, les chrétiens de cette région submergée par les conflits ont un rôle déterminant pour la paix: depuis longtemps l’Eglise ne pense plus les problèmes du monde en termes de violence ou de lutte armée. Mais les quelques centaines de milliers de chrétiens de Terre Sainte, seuls, ne peuvent contribuer à la paix. C’est pourquoi Emile Shoufani lance un appel à la solidarité de tous les chrétiens. JB

Encadré

Une vie riche et complexe

Le Père Emile Shoufani est né à Nazareth en 1947. En 1948, lors des combats pour la fondation de l’Etat d’Israël, son grand-père et son oncle sont abattus par l’armée israélienne pendant la déportation des habitants d’Eilabun, en Galilée. Sa grand-mère, qui a vu mourir son mari et son fils, lui a appris à se souvenir mais aussi à pardonner.

Après son diplôme du Séminaire Saint-Joseph à Nazareth, Emile Shoufani poursuit ses études pour devenir prêtre, profondément conscient de la valeur de la vie et voulant à tout prix influer sur le cours des choses. De 1964 à 1971, il étudie la philosophie et la théologie à Paris. C’est alors qu’il lit «Treblinka», de Jean François Steiner, et qu’il découvre l’Holocauste, l’extermination des juifs par les nazis. Il se rend au camp de concentration de Dachau. Cette vision de l’horreur nazie ne va pas le quitter, et il retourne en Israël/Palestine avec un point de vue métamorphosé.

C’est en 1971 qu’il est ordonné prêtre pour le diocèse catholique melkite de Galilée. Dans son premier sermon, il déclare: «Cette vie que je veux partager avec tous (…) je veux être le berger de chacun». Entre 1971 et 1979, il est affecté dans les villages d’Eilabun, de Mghar et de Rama. En 1976, son évêque lui confie la direction du Séminaire Saint-Joseph qui accueille alors 200 élèves et est sur le point de fermer. Après avoir relevé le niveau du programme d’enseignement, l’école qu’il dirige atteint un niveau d’excellence dont profitent quelque 1’000 élèves arabes des deux sexes et de religions diverses. JB

Note aux rédactions: Des photos d’Emile Shoufani sont disponibles à l’agence CIRIC, Bd de Pérolles 6 – 1705 Fribourg. Tél. 026 426 48 38 Fax 026 426 48 36 Courriel: ciric@cath.ch (apic/be)

9 septembre 2004 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture: env. 5 min.
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