Marguerite Barankitse, l'”ange du Burundi” (Photo: mporeburundi.org)
International

Burundi: La «Maison Shalom» dans le collimateur du pouvoir

Bujumbura, 11.11.2015 (cath.ch-apic) La «Maison Shalom», une des plus importantes ONG du Burundi, qui accueille les enfants orphelins de parents tués pendant la guerre civile (1993-2006), est dans le collimateur du pouvoir en place à Bujumbura. Fondée par Maggy Barankitse, l’»ange du Burundi» bien connue en Suisse et aujourd’hui forcée à l’exil (*), la «Maison Shalom» a vu ses comptes bloqués la semaine dernière sur ordre de Valentin Bagorikunda, procureur général de la République.

Pour s’être opposée à un troisième mandat du président sortant, Pierre Nkurunziza, Maggy Barankitse a été placée sur la «liste noire» des personnes recherchées, accusée d’être impliquée dans le coup d’Etat militaire manqué de mai dernier. Des membres de sa famille, des employés de la «Maison Shalom» et de l’Hôpital REMA qu’elle a fondé à Ruyigi, à l’est du Burundi, ont pris le chemin de l’exil. Cet hôpital de 120 lits est dédié à la mère et à l’enfant. La population a été appelée par les autorités à boycotter les activités de la «Maison Shalom» dans certaines communes où elle développe ses activités.

Depuis les débuts de la crise qui secoue le Burundi, la «Maison Shalom» a été confondue avec les autres organisations burundaises de la société civile qui se sont opposées au troisième mandat de Pierre Nkurunziza. Marguerite Barankitse, présidente de la «Maison Shalom», avait dénoncé les modifications de la Constitution nationale et le non-respect des Accords d’Arusha. Ces accords de paix, censés mettre un terme à la guerre civile au Burundi, avaient été signés le 28 août 2000.

Pris pour cibles par les milices du régime

Les opposants à Pierre Nkurunziza sont pris pour cibles par les forces armées et les milices «Imborenakure» du Conseil national pour la défense de la démocratie – Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), le parti au pouvoir au Burundi. L’état de guerre civile larvée qui ensanglante le Burundi a déjà provoqué l’exode de plus de 200’000 réfugiés, selon les chiffres fournis en octobre dernier par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). En raison de la répression et de menaces de massacres, nombre de familles et d’enfants bénéficiaires des différents programmes de la «Maison Shalom» ont dû quitter le Burundi. Elles se sont notamment réfugiées dans différentes villes du Rwanda et dans le camp de Mahama, également au Rwanda.

Le CNDD-FDD a dénoncé mercredi 11 novembre la Belgique, accusée d’armer l’opposition dans le but de «recoloniser» le pays, qui traverse depuis six mois une crise politique profonde qui risque de mener à la guerre civile. La rhétorique du pouvoir se développe sur fond ethnique, dans un pays où les tensions entre Hutus et Tutsis prennent une pente dangereuse.

Douloureuses conséquences du blocage des fonds

Les conséquences de ce blocage des fonds destinés à la «Maison Shalom» touchent directement la communauté bénéficiaire des provinces de Ruyigi, Rutana et Cankuzo, note l’ONG, active aux plans éducatif, social et culturel. Ainsi 289 ménages (1’324 personnes) se retrouvent sans revenu mensuel. La mesure touche également 935 enfants accompagnées dans la communauté, 754 enfants sous complément nutritionnel ou vivant avec le VIH, 2’872 enfants réinsérés et suivis à l’école, 99 enfants emprisonnés bénéficiant d’une assistance de la «Maison Shalom», 265 enfants de l’école internationale, 123 élèves de l’Ecole Paramédicale. La bibliothèque, la piscine et le Cinéma des Anges, qui accueillent plus de 6’000 personnes par an, sont également menacés dans leur existence.

Dans le domaine de la santé, la mesure prise par le pouvoir touche également les bébés actuellement en couveuse et les mamans en attente d’accouchement, les malades dans un état grave, sous oxygène, en besoin de transfusion sanguine, sans oublier les autres urgences chirurgicales. La «Maison Shalom» prend également en charge chaque mois 2’500 femmes et enfants au Centre de Protection Maternelle et Infantile.

En matière de développement communautaire, plus de 10’000 ménages (au moins 42’000 personnes) sont encadrés dans les coopératives agricoles, plus de 9’200 ménages (au moins 37’000 personnes) bénéficient des crédits de Iteka Microfinance. Tout cet édifice d’aide mis en place par l’infatigable Maggy Barankitse est mis en danger par la politique du régime de Pierre Nkurunziza.

Assistance aux enfants prisonniers

Pendant les manifestations appelées par certains partis politiques, les journalistes et les membres de la société civile, la «Maison Shalom» a continué son travail d’assistance aux plus vulnérables, surtout dans la protection des droits des enfants. «Pendant que la police réprimait violement et tuait les enfants et les adultes, la ‘Maison Shalom’ contribuait dans l’enterrement et l’encadrement moral des familles éprouvées, contribuait dans les soins de santé, jusqu’à l’évacuation à l’étranger des blessés et assistait juridiquement les enfants arrêtés et emprisonnés’, peut-on lire sur son site internet www.maisonshalom.org.

Le 20 avril dernier, après avoir constaté que les enfants sont utilisés comme bouclier humain et tués sans pitié, la «Maison Shalom» sortait conjointement avec une autre organisation de même vocation un communiqué «condamnant toute implication des enfants dans les parties en conflit, demandant aussi les parents d’en empêcher leurs enfants (…) La ‘Maison Shalom’ n’a fait que son travail et n’a jamais changé l’orientation de ses vision et de sa mission».

Retour au Burundi pour Noël ?

Actuellement réfugiée à l’étranger, Maggy Barankitse a déclaré vouloir retourner au pays avant Noël. Contacté par cath.ch, Marc Brouillet, de l’Association la «Maison Shalom France», doute que ce retour soit possible, étant donné les menaces qui pèsent sur elle et la dégradation de la situation. Lors de son passage à Bruxelles en juin dernier, la fondatrice de la «Maison Shalom» a déclaré avoir été menacée depuis le mois de février dernier et figurer sur la liste des cinq personnes, membres de la société civile, «qui devaient être éliminées». «J’étais alors recherchée et j’ai appris le 14 juin qu’il y avait un mandat d’arrêt contre moi pour soutien aux insurgés». JB

 


Encadré

«La folle de Ruyigi»

C’est en octobre 1993, durant la guerre civile au Burundi, que Maggy Barankitse commence son action, en sauvant la vie de 25 enfants réfugiés à l’évêché de Ruyigi. «C’est le jour le plus noir de ma vie», confie-t-elle à cath.ch. Elle vient d’assister au massacre de 72 personnes – dont des prêtres et des religieuses – dans sa ville de Ruyigi, où elle était enseignante. Comme elle tentait d’empêcher la tuerie, elle a été déshabillée, tabassée et attachée par les membres de sa propre ethnie.

Devant ces assassins, elle, la tutsie, se définissait elle-même comme faisant partie de «la tribu des enfants de Dieu, la plus belle des ethnies». Ces assassinats, qui n’épargnaient pas les enfants, étaient aussi commis par des gens de sa propre famille. Peu après le début de la guerre civile, elle crée la «Maison Shalom» à Ruyigi, l’une des provinces les plus pauvres du pays. Face à ces massacres insensés, Maggy a voulu un temps se venger, «mais je ne pouvais pas m’enfermer dans la haine, je devais pardonner à ces criminels!»

Aujourd’hui, cette récipiendaire de la «Médaille Nansen pour les réfugiés 2005» et de nombreuses autres distinctions internationales est appelée par certains extrémistes de sa propre ethnie «la punition des Tutsis». Parce que, à leurs yeux, elle a trahi leur cause en accueillant sans distinction les enfants de toutes les ethnies, affirmant que les enfants qu’elle accueille à la «Maison Shalom» sont des «hutsitwa», du nom des ethnies de son pays, les hutus, les tutsis et les twas. Pour d’autres, elle est simplement «L’ange du Burundi», voire «La folle de Ruyigi». JB

(*) Ancienne boursière du Foyer St-Justin et élève de l’Ecole Bénédict de Fribourg (de 1988 à 1990), Marguerite (plus connue sous le nom de Maggy) Barankitse a fondé la «Maison Shalom», qui a fêté son 22ème anniversaire le 24 octobre 2015. Maggy, menacée de mort, a dû quitter le Burundi en juin dernier. Voir également le site suisse «Un avenir pour les enfants au Burundi», association de soutien à la «Maison Shalom», www.maisonshalom.ch (apic/be)

 

Marguerite Barankitse, l'»ange du Burundi»
11 novembre 2015 | 17:13
par Jacques Berset
Temps de lecture: env. 5 min.
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