Un point de presse a présenté la Campagne de Carême, le 22 février 2023, à Lausanne | © Raphaël Zbinden
Suisse

Campagne œcuménique: l’agroécologie, une lutte pour un monde meilleur

L’agroécologie favorise une production et une consommation plus conscientes des aliments. La Campagne œcuménique de Carême 2023 promeut cette approche, qui, au-delà de l’agriculture, vise à transformer les structures de pouvoir de nos sociétés.

«L’agroécologie, ça marche!», lance Stellamaris Mulaeh. La coordinatrice du programme Kenya d’Action de Carême (AdC), était en visioconférence depuis l’Afrique à l’occasion du point de presse sur le lancement de la Campagne œcuménique, à Lausanne, le 22 février 2023. La Kényane a donné un plaidoyer enthousiaste sur la démarche agroécologique lancée sur place par AdC depuis 2017.

Hausse de productivité, résilience, indépendance économique, renforcement du rôle des femmes… Elle a clairement exposé les bénéfices de l’agroécologie dans le contexte du Kenya. C’est pour promouvoir cette approche que les œuvres d’entraide AdC (catholique romaine), Entraide protestante suisse (EPER) et Etre partenaires (catholique chrétienne) se sont une nouvelle fois coordonnées pour leur campagne annuelle. Elles voient notamment dans l’agroécologie une solution pour lutter contre la faim dans le monde.

Une agriculture «cyclique»

Une agroécologie «qui n’est pas à confondre avec l’agriculture bio», a tenu à souligner Olivier de Schutter, ancien rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, également en visioconférence. L’agroécologie n’est pas seulement un mode de production labellisé sans pesticides, a précisé le co-président du Panel international d’experts sur les systèmes alimentaires durables (IPES-Food). L’approche «est plus ambitieuse», car elle mise sur la complémentarité entre les différentes composantes de la biodiversité.

L’affiche de la Campagne oecuménique 2023 | © Campagne oecuménique

Les «traductions» de l’agroécologie sont diverses. Il peut s’agir d’agroforesterie, qui intègre des arbres multifonctionnels dans les systèmes agricoles, de récolte d’eau de pluie, de techniques de compostage… D’une manière générale, l’agroécologie conçoit l’agriculture non pas comme un processus qui transforme des intrants (engrais et pesticides) en productions agricoles, mais plutôt comme un cycle, où le déchet qui est produit sert d’intrant, note Olivier de Schutter. Les animaux et les légumineuses servent à fertiliser les sols, et même les mauvaises herbes remplissent des fonctions utiles.

Rompre la dépendance

Cette approche a déjà été testée avec succès dans différents lieux du monde, assure le Belge, et beaucoup d’études démontrent ses avantages. Stellamaris Mulaeh confirme que le programme au Kenya a permis d’assurer un meilleur rendement agricole et un plus large accès à l’alimentation pour les populations, notamment au travers des dernières crises subies, telles que la pandémie de Covid, les épisodes de sécheresses, ou encore l’inflation provoquée par la Guerre en Ukraine.

Olivier de Schutter, co-président du Panel international d’experts sur les systèmes alimentaires durables (IPES-Food) et Stellamaris Mulaeh, coordinatrice du programme Kenya d’Action de Carême (AdC) étaient en visioconférence | © Raphaël Zbinden

Mais l’enjeu exprimé par les intervenants au point de presse est également culturel, social et politique. Ils ont souscrit à la nécessité de sortir de l’agriculture dominante, de type industriel, qui nuit à la fois au climat, à la nutrition de la population globale et au bien-être des populations locales. «La priorité doit être de rompre la dépendance actuelle sur les intrants externes, et à utiliser de manière plus efficiente les ressources naturelles», a signifié Olivier de Schutter.

Une lutte pour l’équité

«L’agroécologie ne se résume pas à des pratiques agricoles ou à une nouvelle façon de consommer», a relevé de son côté Alberto Silva, secrétaire politique d’Uniterre, syndicat agricole basé à Lausanne. «Les dimensions sociales et politiques sont très importantes: l’agroécologie questionne le système alimentaire dans son intégralité et vise à transformer les structures de pouvoir dans nos sociétés». Ainsi, le programme d’AdC au Kenya, qui emploie principalement des femmes, a permis à ces dernières de renforcer leur capacité de défendre leurs droits. Cela les a notamment amenées à s’engager activement contre l’accaparement des terres par les hommes. «L’agroécologie est donc une lutte pour un monde meilleur, basé sur la paix, l’équité, la solidarité et l’harmonie avec notre environnement», assure Alberto Silva.

La Suisse appelée à prendre ses responsabilités

Alberto Silva, secrétaire politique d’Uniterre (g.) et Kibrom Mehari, spécialiste en politique de développement et droit à l’alimentation à l’EPER | © Raphaël Zbinden

Une conviction partagée par la Campagne œcuménique et qu’elle s’efforcera de transmettre le plus largement possible en Suisse. Car la démarche s’adresse également aux autorités publiques. «L’EPER et AdC demandent à la Confédération de prendre ses responsabilités et de promouvoir l’agroécologie», encore très marginale dans le pays, indique Kibrom Mehari, spécialiste en politique de développement et droit à l’alimentation à l’EPER. La Suisse est ainsi appelée à orienter sa politique commerciale en faveur de la transition agroécologique et de la concrétisation du droit à l’alimentation. Pour Alberto Silva, «il est indispensable d’augmenter les prix à la production et d’orienter les paiements directs de manière ciblée vers la résilience de l’agriculture». 

Les intervenants n’ont pas éludé les difficultés et les obstacles qui empêchent une acceptation globale de l’agroécologie. Ils ont relevé «un paradigme agricole totalement verrouillé», l’opposition des grands groupes industriels qui craignent pour leurs profits, ainsi qu’un certain nombre de «blocages mentaux», notamment la conception encore fortement ancrée que la modernisation de l’agriculture et sa productivité passent par la mécanisation, la monoculture de masse, ou encore la technicisation. Ainsi, malgré une certaine prise de conscience globale, aussi dans les gouvernements, «le chemin s’annonce long, très long», admet Alberto Silva. (cath.ch/com/rz)

La Campagne œcuménique de Carême
Depuis 1969, l’EPER et Action de Carême organisent chaque année une Campagne œcuménique durant les six semaines qui précèdent Pâques. Les deux organisations ont été rejointes, en 1994, par Être Partenaires, l’œuvre d’entraide de l’Église catholique-chrétienne de la Suisse. La Campagne œcuménique vise à sensibiliser le public aux inégalités à l’origine de la famine et de la pauvreté qui touchent plus de 800 millions de personnes dans le monde. Toutefois, prendre conscience de cette réalité ne suffit pas. C’est pourquoi les trois œuvres d’entraide proposent des possibilités d’action concrètes : changer son mode de consommation, faire un don pour soutenir les personnes des pays du Sud impliquées dans les projets, participer à une action… Ainsi, la Campagne œcuménique devient un exemple on ne peut plus concret de solidarité. Les trois organisations mènent des projets de développement et des projets climatiques dans plusieurs pays du Sud. Elles promeuvent, entre autres, le droit à l’alimentation pour toutes et tous et la justice climatique. RZ

Un point de presse a présenté la Campagne de Carême, le 22 février 2023, à Lausanne | © Raphaël Zbinden
22 février 2023 | 16:22
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture: env. 4 min.
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