Le cardinal Kurt Koch,  président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens (Photo: Jacques Berset)
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Cardinal Kurt Koch : «Le dialogue entre François et Cyrille a été très fraternel»

Le cardinal suisse Kurt Koch a été l’un des principaux artisans de la rencontre historique entre le pape François et le patriarche Cyrille de Moscou le 12 février dernier à Cuba. Le président du Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens revient pour cath.ch sur l’état des relations entre catholicisme et orthodoxie. Cette première rencontre très fraternelle est une porte ouverte à d’autres, estime-t-il.

 Monsieur le cardinal, vous êtes depuis 2010 président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens. Quel est votre rôle en tant que ‘ministre de l’œcuménisme’?

Cardinal Kurt Koch : Le Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens a été fondé en 1960. Dès le début, il avait deux sections: Est et Ouest. Dans ces deux sections, les dialogues étaient naturellement très différents. A l’Est, nous avons deux grands dialogues avec l’ensemble des orthodoxes et avec les Eglises orthodoxes orientales. La récente rencontre entre le pape François et le patriarche orthodoxe russe Cyrille a été un événement important. Tout comme le synode panorthodoxe qui doit se réunir à la Pentecôte représente un défi important, également pour nous et pour le dialogue œcuménique.

Dans la section Ouest, nous avons une douzaine de dialogues avec toutes les Eglises et communautés issues de la Réforme. Actuellement, nous travaillons aux préparatifs de la commémoration commune de la Réforme le 31 octobre 2016. (Avec la visite du pape François dans la ville suédoise de Lund, NDLR)

Vous venez de citer la rencontre entre le pape François et le patriarche Cyrille de Moscou à Cuba le 12 février. Quelle importance revêt cet événement à vos yeux ?

Il s’agit vraiment d’un pas très important pour l’oecuménisme. Le pape Jean Paul II voulait déjà absolument rencontrer le patriarche orthodoxe russe. Tout était planifié et prêt pour une rencontre dans le cadre du 2e Rassemblement oecuménique européen (à Graz, en Autriche, en 1997, NDLR), mais malheureusement le patriarche y a renoncé deux jours avant. C’est pourquoi il était très important de faire maintenant enfin ce pas. Je suis très content, que, cette fois-ci, Moscou ait aussi jugé le moment opportun pour cette rencontre. Il y a en outre l’arrière-plan d’une situation mondiale brûlante et alarmante qui exige que toutes les Eglises chrétiennes se tiennent ensemble et offrent un témoignage commun face à ce défi global.

Quel a été votre rôle personnel dans cette rencontre ? Avez-vous négocié dans les coulisses?

Il fallait naturellement négocier et clarifier quand, où et dans quel cadre une telle rencontre pourrait avoir lieu. Et surtout la question se posait de savoir comment arriver à une déclaration commune. Lorsque l’on désire faire une déclaration commune entre des partenaires qui se connaissent depuis longtemps, cela n’est pas si simple. Et c’est encore plus difficile lorsque les partenaires se rencontrent pour la première fois. C’était un vrai défi.

Comment avez-vous vécu cette rencontre à Cuba ?

La rencontre à La Havane a été très amicale, très fraternelle. La formule de la déclaration qui dit que «nous ne sommes pas concurrents, nous sommes des frères» a vraiment été confirmée. Le dialogue a été très ouvert et fraternel. Bien sûr il ne s’agit que d’un début. Mais je suis très heureux que le patriarche Cyrille ait relevé qu’une deuxième ou une troisième rencontre seraient beaucoup plus faciles que la première. On ne peut certes pas tout attendre d’une première rencontre, mais elle a été en même temps une porte ouverte à d’autres et à un approfondissement du dialogue dans l’avenir.

Quels sont les principaux écueils dans ce dialogue ?

Les grandes difficultés se voient maintenant à travers les réactions à cette rencontre. D’un côté les voix du camp conservateur en Russie ne sont pas montrées très réjouies. Le patriarche craignait déjà ces réactions avant la rencontre. De l’autre, nous avons de vives réactions en Ukraine. La situation est très difficile, car réunir les points de vue des Eglises catholique et orthodoxe est très compliqué. Il faut aussi faire la différence entre un discours du pape et une déclaration commune. Dans une déclaration commune, on ne peut pas simplement tout dire, si l’on souhaite obtenir la signature des deux partenaires.

Quel progrès cette déclaration commune va-t-elle apporter ?

 La déclaration s’efforce dans un premier temps de nommer les points communs qui peuvent servir de base à la collaboration. Mais le fait de la rencontre en elle-même et la perspective d’entretenir à l’avenir les relations mutuelles sont encore plus décisifs. Mais ce qui a été dit au cours de ces deux heures de dialogue est bien entendu confidentiel et secret.

«Dans une déclaration commune, on ne peut pas simplement tout dire»

Que souhaitez-vous concrètement pour les autres discussions qui auront lieu?

Nous avions déjà une collaboration avec Moscou, surtout dans le domaine culturel. Il y a, par exemple, un pont musical entre Rome et Moscou par un concert commun entre le chœur du patriarcat de Moscou et le chœur de la Chapelle sixtine à Rome. Cela montre que la culture est aussi une aide essentielle à la compréhension mutuelle. Car beaucoup de questions qui ont divisé les Eglises catholique et orthodoxes dans le passé ne sont pas tant théologiques que liées à des considérations culturelles. C’est pourquoi, il est important d’avoir de nouvelles rencontres sur ce plan.

Deuxièmement, j’espère que les tensions à l’intérieur de l’orthodoxie pourront être mieux résolues, car elles freinent le dialogue avec nous. Nous avons une commission internationale de dialogue entre l’Eglise catholique et les Eglises orthodoxes. Quatorze Eglises orthodoxes y participent et nous constatons parfois plus de tensions entre elles qu’entre orthodoxes et catholiques.

Quelles sont précisément les raisons de ces tensions ?

 Elles tiennent au principe de base de l’orthodoxie. Ce que l’on nomme l’autocéphalie. C’est-à-dire que chaque Eglise est fondamentalement autonome. Réunir à nouveau, après mille ans, un synode panorthodoxe est ainsi un grand défi. J’espère qu’il sera l’occasion d’approfondir l’unité entre les Eglises orthodoxes.

Et quelles sont les principales divergences entre catholiques et orthodoxes ? S’agit-il principalement du rôle du pape ?

 Entre les Eglises catholique et orthodoxes, il y a d’abord une grande base commune. La question disputée est surtout celle de la primauté de l’évêque de Rome. Nous tentons d’avancer sur cette question en ne parlant pas seulement de la primauté, mais aussi d’un changement de rapport entre primauté et synodalité. La force des Eglises orthodoxes est la synodalité. La force de l’Eglise catholique est la primauté. Nous ne voulons pas de solution sur la base du plus petit dénominateur commun. Mais nous devons davantage apprendre les uns des autres. L’Eglise catholique a beaucoup à apprendre sur la synodalité, afin d’arriver à un équilibre avec la primauté. Et ce n’est pas une question facile.

Vous êtes aussi président de la Commission pour les relations religieuses avec le judaïsme. Comment jugez-vous la situation actuelle dans ce domaine ?

Je juge ce dialogue très positif. Les retours que nous avons du côté juif sont très réjouissants. Je constate que, durant les 50 dernières années, depuis la déclaration «Nostra Aetate» du Concile Vatican II, les collaborations aux plans politique, social et théologique se sont développées très positivement. L’Institut pour la recherche judéo-chrétienne de l’Université de Lucerne y apporte une contribution importante. Les juifs veulent être en contact avec l’Eglise catholique. Ils la voient comme un partenaire solide dans la lutte contre l’antisémitisme qui aujourd’hui reprend. Beaucoup de juifs souhaitent venir à Rome pour y rencontrer le pape. On pourrait arranger une audience pontificale chaque semaine. Cela montre qu’il existe actuellement une relation bonne et amicale entre juifs et chrétiens.

Lors de votre intervention à la Thomas-Akademie de Lucerne, vous avez parlé des racines juives de la foi chrétienne. Cette réalité est-elle assez présente dans la conscience catholique ? 

Lors de sa visite à la synagogue de Rome, le pape Jean Paul II avait clairement affirmé que notre relation avec le judaïsme n’est pas extrinsèque, mais intrinsèque. C’est-à-dire que nous ne pouvons pas nous comprendre nous-mêmes sans ce lien avec le judaïsme. Je ne crois pas que cela soit encore suffisamment entré dans la conscience générale des croyants. Le judaïsme est toujours vu comme une autre religion. Nous parlons de dialogue interreligieux, et nous ne ressentons pas que ce dialogue avec le judaïsme est tout à fait particulier. Je crois qu’il y a là sans doute encore beaucoup à faire. Je suis très reconnaissant que la Conférence des évêques suisses ait décidé d’instaurer, il y a quelques années, une journée du judaïsme. J’y vois une aide pour prendre conscience de ce caractère particulier du dialogue avec les juifs.

«Il est absolument impossible d’être chrétien et antisémite»

Il me paraît aussi très important de retrouver les racines de l’Ancien Testament dans la liturgie catholique. Il existe pour chaque dimanche une lecture de l’Ancien Testament, malheureusement elle est souvent laissée de côté. Dans la liturgie de Pâques, nous avons des racines juives qui nous rendent toujours à nouveau conscients du fait que le judaïsme et le christianisme sont étroitement liés.

Vous parlez des célébrations de Pâques. La question de la prière pour les juifs du Vendredi-Saint est-elle désormais résolue ?

 Je considère la formulation du pape Benoît XVI comme tout à fait en ordre. (Prions pour les Juifs à qui Dieu a parlé, en premier: qu’ils progressent dans l’amour de son Nom et la fidélité de son Alliance, ndlr). Elle traduit exactement dans une intention de prière ce que théologiquement on peut dire sur la relation entre judaïsme et christianisme. Il s’agit d’une demande eschatologique pour qu’à la fin des temps, quand tous les peuples seront dans le royaume de Dieu, les juifs puissent aussi reconnaître le Christ. Cette prière est mal comprise lorsqu’on y voit un appel à la mission envers les juifs, ce qui n’est pas du tout son sens. Il reste cependant une difficulté. Le pape a reformulé la prière d’intercession, mais l’ancien titre «pour la conversion des juifs» est demeuré. Je pense qu’il faudrait changer aussi ce titre afin qu’il corresponde au contenu de la prière. L’intention en tant que telle me semble correcte.

Vous parlez de la reprise de l’antisémitisme. En Suisse, on constate aussi que les 18’000 juifs qui y vivent se sentent moins en sécurité qu’auparavant. Quelle responsabilité l’Eglise catholique a-t-elle dans cette lutte ?

J’ai été effectivement très choqué, lorsque j’ai été invité en mai dernier à l’assemblée annuelle de la Fédération suisse des communautés israélites (FSCI), de voir le déploiement des forces de police autour de la synagogue et de l’hôtel. Pour moi, voir combien les juifs ont besoin de protection aujourd’hui a été un signal effrayant. C’est pourquoi, en tant qu’Eglise chrétienne, nous avons une responsabilité particulière de rappeler toujours qu’il est absolument impossible d’être chrétien et antisémite. Ce que le pape François a également souligné récemment. Je crois que toutes les Eglises chrétiennes doivent avoir une attitude claire pour empêcher que l’antisémitisme y ait droit de cité.  (cath.ch-apic/kath.ch/bb/mp)

Le cardinal Kurt Koch, président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens
24 mars 2016 | 10:30
par Maurice Page
Temps de lecture: env. 7 min.
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