Xavier Maugère, président du Conseil central des Conférences Saint-Vincent de Paul du canton de Fribourg (Photo: Jacques Berset)
Suisse

Caritas Fribourg inquiète: la précarité guette les familles monoparentales

Fribourg, 19.10.2015 (cath.ch-apic) 200’000 familles monoparentales sont particulièrement touchées, en Suisse, par la précarité et la pauvreté. Dans le canton de Fribourg, elles représentent le 30% des cas d’aide sociale, révèle Petra Del Curto, directrice de Caritas Fribourg, dans le numéro d’octobre de Caritas.mag, le journal des Caritas romandes (*).

A Marly, Xavier Maugère rencontre régulièrement des familles qui viennent le trouver pour boucler les fins de mois. Président du conseil central des Conférences Saint-Vincent-de Paul du canton de Fribourg, mais également responsable de la Conférence de la paroisse de Marly, ce Breton d’origine constate que les familles monoparentales sont souvent en situation de «précarité structurelle». Venu en Suisse en 1989 pour étudier la théologie à Fribourg, il travaille comme médiateur et enseignant de religion et d’éthique au CO de Marly. Membre du Conseil pastoral de la paroisse – où c’est la Conférence Saint-Vincent-de Paul qui assure principalement le service de la diaconie – il reçoit notamment des femmes qui ont seules la charge d’enfants.

Séparation et divorce, cause de pauvreté

«Il s’agit principalement de femmes immigrées d’Afrique, quelques-unes sont originaires du Maghreb, mais il y a aussi des familles autochtones qui connaissent la séparation ou le divorce». Ces jeunes Africaines non mariées ont été abandonnées par leur compagnon quand elles sont tombées enceintes.

«Elles sont souvent à l’aide sociale… Nous travaillons en étroite collaboration avec le service social de la Commune, la situation à Marly étant excellente de ce point de vue. Le service social nous adresse des personnes pour aider à financer certaines activités, comme un camp de ski ou un camp vert, ou pour payer la garderie, voire une facture d’électricité ou de caisse-maladie», assure Xavier Maugère. L’équipe paroissiale de la Conférence Saint-Vincent-de Paul, composée de sept bénévoles, a un budget annuel qui oscille entre 30 et 35’000 francs. Elle est subventionnée par la paroisse, mais également par la commune. Elle reçoit aussi souvent le fruit de quêtes lors d’enterrements.

Absence de formation professionnelle

«Une partie de ces jeunes mères de famille africaines élevant seules leurs enfants sont sans formation. Leur scolarité en Afrique ne débouche pas sur des diplômes reconnus en Suisse. Certaines travaillent, mais ont un emploi précaire, à temps partiel, ou sont en cours de formation. Il faut trouver des solutions pour la garde des enfants, et cela se complique quand elles n’ont aucune famille sur place, aucun réseau social», poursuit ce bénévole très engagé.

«Certaines de ces femmes souffrent de déprime, et dans certains cas, la situation de détresse perdure durant des années. Sur la cinquantaine de situations d’accompagnement dont se charge la Conférence à Marly, environ 20% sont des familles monoparentales».

Xavier Maugère constate que ces familles ont de grandes difficultés à s’en sortir et à s’insérer professionnellement. «Il s’agit souvent de situations stagnantes, de précarité structurelle… ” Et de noter que même avec une formation acquise en Suisse, il n’y a pas forcément de grands créneaux pour ces femmes. Trouver une place de travail relève du parcours du combattant. Et toutes n’ont pas – ou plus – la force de mener cette lutte.

Un budget vite déstabilisé

Au bureau de Caritas Fribourg, tout à côté du Couvent des Cordeliers, à la Rue de Morat 8, Mila explique sa situation: jeune musicienne à Cuba, c’est dans une école de musique qu’elle a connu son premier mari, un Fribourgeois, qu’elle a accompagné lorsqu’il est rentré en Suisse. Après son divorce, elle a rencontré un entrepreneur italien, et a vécu trois ans en Italie à ses côtés. Comme son entreprise ne marchait pas, son mari a trouvé du travail en Suisse, puis le couple s’est séparé. Mila a fait venir sa mère de Cuba pour s’occuper de son enfant en âge scolaire. S’étant formée à l’Ecole professionnelle Santé – Social (ESSG) de Grangeneuve, à Posieux, comme assistante socio-éducative (ASE), elle a trouvé du travail dans son domaine.

Elle travaille à l’accueil extrascolaire à 70%, mais cela ne me suffit pas. Elle aimerait un poste à 80%, car outre son fils de 9 ans, sa mère, qui a 69 ans, est à sa charge, car elle n’a pas de retraite. Elle était professeur de littérature espagnole et traductrice d’allemand à La Havane. Elle pensait qu’elle pourrait donner des leçons dans une école de langue, mais en raison de son âge, elle n’a rien trouvé, sauf quelques cours privés.

Mila doit faire face aux besoins de trois personnes, avec un salaire brut de 3’900 francs et une pension pour son fils de 700 francs. Si sa mère doit aller chez le médecin, il faut payer la partie des frais qui n’est pas prise en charge par l’assurance-maladie, «et cela déstabilise le budget». D’autant plus que Mila, pour son quatre pièces, paie un loyer assez élevé: 1’590 francs. Comme ses revenus la classent au-dessus des normes d’assistance sociale, elle ne bénéficie d’aucune aide financière de la part du Service social.

Eviter à tout prix les poursuites

Face au risque d’un endettement irréversible – les premières poursuites menaçaient ! – la mère de famille s’est adressée en mai dernier au service de consultation et d’accompagnement social de Caritas Fribourg pour se faire aider dans la gestion de son budget.

«Je paie des petits montants chaque mois, pour éviter les poursuites qui m’empêcheraient de trouver un nouvel appartement, je cherche des arrangements avec les créanciers. Mais c’est éprouvant, j’ai l’impression que cela ne finira jamais. Toutes les factures sont importantes, mais les priorités sont l’appartement, la nourriture, l’électricité, le téléphone, les assurances…»

Après le divorce, la spirale de l’endettement

«Avant mon divorce, je n’avais jamais eu de retard avec mes factures. Dès le divorce prononcé, je devais tout payer, je ne recevais plus rien. Alors je me suis adressée à Caritas, car mon fils fait du taekwondo et il fallait payer une cotisation de 365 francs. C’est sa seule activité extrascolaire, alors je voulais qu’il puisse continuer. Caritas m’a aidée et je n’ai pas dû résilier le contrat. J’aurais préféré ne pas manger que de priver mon fils de sa passion».

«On n’a plus de vie sociale: soit on mange, soit on sort. La vie ici est bien différente qu’à Cuba. Quand on sort, rien n’est gratuit en Suisse. Au bistrot, il faut payer sa tournée, et le restaurant, il ne faut pas y penser. Si j’avais une voiture, j’aurais déjà dû la vendre… Après un divorce, on tombe de haut, c’est la douche froide! Si on n’a pas un peu d’économies, dans cette période de transition, c’est la catastrophe, les dettes arrivent comme une avalanche».

La consultation sociale, une bouée de sauvetage

«Quand Mila est venue chez nous, sa situation devenait difficile», confirme Caroline Vannay, responsable du Service de consultation et d’accompagnement social de Caritas Fribourg. Les premiers commandements de payer arrivaient, alors qu’elle n’avait jamais eu de poursuites auparavant.

Les retards dans le versement des pensions alimentaires ont déstabilisé la situation financière. Quand elle a pris contact avec Caritas, Mila avait 5’000 francs de retard dans ses paiements: cela concernait l’assurance-maladie, des frais médicaux, l’assurance-ménage, les activités extrascolaire de son fils… Sachant que Mila était à la recherche d’un nouvel appartement moins onéreux, il fallait à tout prix éviter de passer par la case Office des poursuites, car dans ce cas, les régies renvoient le dossier».

Continuer de participer à la vie sociale et culturelle

Dans son intervention, Caritas a cherché des solutions avec Mila, mais comme il y avait très peu de marges dans son budget, des fondations ont été sollicitées, notamment pour payer les retards concernant l’assurance-maladie. La pression de l’assurance ne permettait pas d’attendre la réponse des subsides.

Une fondation est intervenue pour prendre en charge les primes de retard, ce qui a permis d’éviter les poursuites. Mila a reçu la moitié de son 13e salaire en juin dernier, ce qui a permis de faire face à l’urgence. Le suivi de cette situation se poursuit pour qu’elle soit assainie à moyen terme. Caritas lui a également proposé de prendre la ‘CarteCulture’, qui permet aux adultes et aux enfants de bénéficier de réductions dans le domaine de la culture, du sport ou de la formation. «Il faut que les personnes à faibles revenus puissent continuer de participer à la vie sociale et culturelle», insiste l’assistante sociale de Caritas. JB


Encadré

Statistiques 2014 relatives aux familles monoparentales

La Consultation sociale de Caritas Fribourg est venue en aide l’an dernier à 39 familles monoparentales, dont 37 sont sous la responsabilité des mères de familles, et deux sous celle des pères. Dans 19 cas, il s’agissait de Suisses, les 20 autres sont des ressortissants de douze nationalités différentes. La majorité de ces personnes disposent d’un contrat de durée indéterminée, 5 sont des chômeurs inscrits à l’ORP, 4 sont des sans-emploi non-inscrits, 2 sont à l’aide sociale, 2 sont des indépendants, les autres travaillent sur appel ou occasionnellement, sont en incapacité de travail provisoire, rentiers AI ou s’occupent du foyer.

Alors que les familles monoparentales constituaient 12% des foyers en 1980, ce taux est passé à 14% en 1990, puis 15% en 2000, avant d’atteindre 17% en 2013, selon les chiffres de l’Office fédéral de la statistique (OFS), signifiant une évolution continue sur les 30 dernières années.

Sur les près de 200’00 familles monoparentales en Suisse, quelque 170’000 sont des familles dans lesquelles les mères élèvent seules leurs enfants. Une grande partie d’entre elles connaissent des difficultés économiques. En effet, cumuler activité professionnelle et garde des enfants dépasse souvent les capacités d’une seule personne. Les pensions alimentaires, pour autant qu’elles soient versées, ne suffisent généralement pas à couvrir les besoins élémentaires, engendrant souvent un recours à l’aide sociale. JB


Encadré

Le Bureau de l’égalité pour davantage de conciliation entre travail et famille

Le Bureau de l’égalité hommes-femmes et de la famille (BEF), à Fribourg, souhaite la mise en place de prestations complémentaires (PC Fam) pour familles – le canton du Tessin connaît les PC Familles depuis 1997 ! -, afin que le fait d’avoir des enfants ne puisse plus devenir une cause de précarité à Fribourg. Le BEF n’a pour l’heure, pas encore fait un travail ciblé sur les familles monoparentales, relève Geneviève Beaud Spang, sa responsable. La publication d’ici la fin de l’année du «Rapport social» va cependant fournir une vue d’ensemble sur la situation sociale globale du canton. Cette «première» dans l’histoire fribourgeoise permettra de disposer enfin d’un outil permettant de voir la distribution des revenus – anonymes – de tout le canton. Ce rapport servira de base aux instances politiques pour vérifier et réajuster les décisions à prendre en matière de politique sociale. (apic/be)

(*) Pour voir l’entièreté du dossier «Lutter contre la précarité des familles monoparentales – En équilibre sur le fil du quotidien», Caritas Mag n° 12, octobre 2015 voir: www.caritas-fribourg.ch.

Xavier Maugère, président du Conseil central des Conférences Saint-Vincent de Paul du canton de Fribourg
19 octobre 2015 | 14:46
par Jacques Berset
Temps de lecture: env. 7 min.
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